
Un "pion" dans la crise
Quel pion suis-je devenu dans cet échiquier social ? Quel rôle puis-je encore remplir dans ce marasme sociétal ? J’avais pour ambition d’apporter mon soutien aux personnes qui rencontreraient des difficultés dans leur vie. J’en ai même fait mon métier ! « Assistante Sociale », non pas la Jöelle Mazart, jouée par Véronique Jeannot dans le feuilleton des années 80 «pause café » ; non sérieusement, il fallait en avoir de la vocation à faire reculer l’injustice sociale, faire évoluer le monde pour apporter du mieux être dans la vie des gens… ! C’est le genre d’engagement avec lequel on ne peut pas tricher. Quelle meilleure fonction dans une société que celle d’être là pour aider son prochain… de préférence quand il en a besoin. Il n’est pas nécessaire d’être religieux pour penser comme ça, la laïcité s’accommode très bien des valeurs du partage et de l’entraide.
Alors, je me suis lancée dans cette formation d’assistante sociale en me disant mais qu’est ce qu’on peut bien y apprendre pendant trois ans ? J’y ai étudié des disciplines intéressantes comme la sociologie, la psychanalyse, la juridiction de la famille, l’économie sociale, les politiques transversales…
On nous a souvent expliqué que l’Homme étant un animal social, il fonctionne avec ses pairs et s’organise au sein d’un groupe comme la famille, la société. Il évolue en s’imprégnant des repères, des règles que lui ont transmis les anciens ; ce qui lui donne ce sentiment d’appartenir au groupe.
Des évènements comme une perte d’emploi, une rupture familiale, un problème de santé sont des facteurs qui fragilisent « l’individu » dans le groupe « société ». Il ne peut plus occuper la place qu’il avait, ses repères s’en trouvent perturbés. La famille, les amis, les collègues doivent être là pour aider à passer les caps difficiles, mais la société qui s’organise en Etat (groupe suprême) a son rôle à jouer.
C’est comme ça qu’a été réfléchie notre société. La collectivité doit être capable de soutenir et de protéger l’individu des risques liés à la vie : la santé, la famille, la vieillesse, et plus tard, le chômage. C’est l’Ordonnance de 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui pose les fondements de la protection sociale, en créant : la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, la Caisse Nationale d’Allocations Familiales et la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse. L’UNEDIC sera créé plus tard pour le chômage. A cette époque notre société se réorganise de manière innovante et intelligente ; si bien qu’il demeure notre modèle aujourd’hui et fait des envieux dans divers pays du monde.
C’est avec cette idée de bon sens de protéger les plus faibles que j’ai investi ma mission, avec ma culture de travailleur social, fruit de mes trois années passées en formation. Il aura fallu une grande capacité d’adaptation aux outils tels que les dispositifs d’accompagnement des personnes en difficulté. Que sont les dispositifs ? Ce sont les réponses concrètes apportée aux gens, après de grandes réflexions élaborées par nos élites politiques sur : quel est le problème ? et comment on y répond ? Alors, on met en place des procédures à suivre en fonction de la situation.
Ce qui est important pour le travailleur social, c’est de partir de la demande de l’usager (celle qui est formulée voire celle qui ne peut pas l’être car le problème est parfois trop douloureux) et de voir avec lui comment améliorer sa situation. On a souvent taxé le travail social de n’être que de l’assistanat, ce n’est pas vrai pour la majorité des personnes rencontrées. Il a pour objectif de rendre les gens un peu plus connaisseurs, autonomes et acteurs de leur situation de vie ; il comprend une grande part éducative et pédagogique que l’on tend à ignorer.
Je me suis contentée d’un contexte économique peu favorable au plein emploi, mais j’ai pu durant quelques années, exercer mon métier en m’y sentant en conformité avec les fondements culturels cités précédemment. Deux années m’ont éloignée de mon poste de travail que j’ai retrouvé récemment. J’ai le sentiment que ce n’est plus le même monde ; La culture Sarkozy est passée par là !
Aujourd’hui, à force de penser qu’on conduit une société, un pays, comme on gère une entreprise, on risque de perdre la dimension humaine du « super groupe ». ?! Si le seul objectif d’être ensemble est de faire du profit et des économies que nous reste-t-il de ce que nous ont transmis nos aînés ? C’est ce qu’ils appellent « Rationnaliser »
Alors « Rationnalisons » ! Peu importent les besoins réels, bien identifiés de nos pauvres dont le nombre ne cesse d’augmenter. Désormais, des gens biens pensants payés très cher nous disent sans cesse comment on est le plus efficace… au plus bas coût ! La notion d’efficacité devient, de fait, un peu plus floue. Les problèmes sociaux ne se décrètent pas, ils doivent faire l’objet d’observations et d’analyses. Pour observer il faut être présent, dans la proximité. Qui d’autres que les professionnels de terrain peuvent être les meilleurs témoins des dysfonctionnements qu’ils soient enseignants, infirmiers, juges, travailleurs sociaux ?
C’est bien connu, ceux qui peuvent avoir un regard expert ne sont pas ceux qui se collent aux réalités des situations au quotidien ! Ceux qui savent ce que vivent les gens des banlieues « difficiles » (à vivre ou à gérer ?) sont ceux qui restent à Paris dans des bureaux à dorures ostentatoires, cachés derrière leurs statistiques. La Sacro Sainte loi du nombre ! Le QUANTITATIF, il n’y a que ça de vrai ! Faisons beaucoup… mal, mais beaucoup ! La qualité on s’en fout ! Tout cela crée une résonnance malsaine dans les Services Publics tels que le travail social, la justice, l’éducation ou la santé. Aujourd’hui on ne doit plus chercher à répondre à la demande de l’usager, mais adapter la réalité à la commande institutionnelle qui n’a plus que pour objectif la réduction de ses dépenses.
C’est toute cette culture noble du « collectif » au service de « l’individu » qui s’effondre, face à un contexte économique basé sur la gestion du profit qui a montré ses limites dans le service qu’il rend au plus grand nombre. On voit des salariés pris en otages de cette obsession du rendement. Je pensais que le capital devait être au service de l’humanité et non l’humanité prise en otage par le capital. Où allons nous comme çà ? Puisque la valeur humaine ne vaut presque plus rien, ma mallette à outils d’assistante sociale me semble bien légère. J’ai le sentiment qu’elle est devenue un matelas troué sur lequel on ne rebondit qu’une seule fois, car, à la deuxième on passe à travers… et on s’écrase.
Valérie Marillesse - Vu d'ici / Le Blanc-Mesnil