
Une mémoire de la banlieue en photos

Membre de l’agence Magnum, Patrick Zachmann présente lui-même à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, une exposition intitulée « Ma proche banlieue ». L’occasion de découvrir un album de famille singulier, objet de mémoire et d’identité des banlieues françaises qui rassemble une centaine de ses photographies prises entre 1980 et 2007. Une exposition à contre courant de certains messages qui ont perturbé l’ouverture de la CNHI.
Les mots sont importants
Messages d’autant plus forts que cette cité semble encore parfois voir ressurgir les vieux démons de l’identité « nationale » et du Ministère du même nom, deux ans après son ouverture dans un climat de défiance. En effet, l’ancien Musée des colonies, édifié pour accueillir l’exposition coloniale de 1931, apogée de la France coloniale et de sa propagande « civilisatrice », a connu une résurrection mouvementée : à peine rouvert, huit des historiens qui en avaient constitué les instances officielles démissionnent pour condamner les projets du Président de la République et de son Ministre de l’Identité Nationale d’alors, Brice Hortefeux. La polémique enfle, si bien que l’institution aux nobles ambitions n’a jamais véritablement été inaugurée, au grand dam de son directeur, Jacques Toubon. Ou plutôt, elle l’a été à la fois tardivement, à moitié et de manière chaotique : en mars 2009, le premier ministre à s’y rendre, Eric Besson, successeur de M. Hortefeux, avait du renoncer à cette inauguration de la seule bibliothèque suite à une manifestation intempestive des opposants à la politique migratoire du gouvernement.
Est-ce donc un hasard si, pour accéder à la visite guidée de M. Zachmann, et à l’évident insu de celui-ci, tel agent d’accueil parle de « laisser passer » donné aux visiteurs, et finit par enfoncer le clou, droit dans ses bottes : « Vous comprenez, on va expulser des gens pour la visite guidée ». Expulser ? « Bah, oui. Il y a des gens qui n’ont rien à faire là. Ils ne doivent pas rester pendant la visite »… Les mots sont importants, on devrait le savoir, à la CNHI plus qu’ailleurs.
La banlieue par l’humain
Pourtant, une fois passée cette entrée en matière pour le moins déconcertante, on est porté par le discours de l’exposition, à la fois authentique et empreint de tendresse pour les « proches de banlieue » d’un photographe véritablement humaniste, discours qui finit par dissiper le malaise. L’exposition s’ouvre sur des clichés du journal télévisé chinois qui figent la banlieue française dans son expression la plus violente: le feu des émeutes qui ont eu lieu à l’automne 2005. Un dispositif qui renforce la position de spectateur dans laquelle se trouve P. Zachmann, de sa chambre d’hôtel à Shanghai : « Je me suis demandé quelle aurait été ma réaction si j’avais été sur place. Je n’y serais pas allé», avoue-t-il sans détours.
Pourtant, le photographe n’est pas un étranger en terre inconnue dans ces banlieues : « Ma proche banlieue », titre révélateur de sa démarche : « C’est la banlieue que j’ai aimée et dont je me suis senti proche. C’est par des recherches sur l’histoire de ma propre famille que je suis arrivé en banlieue ».
En effet, né d’un père juif ashkénaze et d’une mère juive séfarade, P. Zachmann, a éprouvé le silence de ses parents sur leurs origines. Ainsi, comme il le résume : « A la maison, on ne parlait ni Yiddish, ni Arabe ». C’est cette absence de mémoire qui a guidé les premiers pas de Patrick Zachmann en banlieue. Il découvre ainsi, chez l’une de ses tantes, une photographie des grands-parents déportés et morts dans le camp d’Auschwitz durant la seconde guerre mondiale. Ce parcours initiatique dans les banlieues parisiennes donne naissance à la série « Enquête d’identité ».
Le ton est donné. Plus qu’un sujet d’étude, P. Zachmann s’attache à montrer la banlieue par l’humain : « Mon véritable sujet, ce sont les gens. C’est pour cela que je suis allé si souvent en banlieue ».
Relations dégradées
La visite guidée emprunte la chronologie de l’exposition. Un parcours de onze séquences d’images construit de manière thématique : No man’s land, Paysages de la banalité, Jardins ouvriers Quartiers Nord de Marseille, Enquête d’identité, pour finir sur la série Implosion. Identité, le mot est décidément omniprésent en ces lieux…
Ainsi P. Zachmann s’arrête longuement sur le travail qu’il a effectué dans les quartiers Nord de Marseille, en 1984, auprès d’adolescents à qui il avait confié des appareils photos pour capter leur quotidien. Vingt ans plus tard, le photographe est parti à leur recherche : « Lorsque l’on parle des banlieues, on parle toujours des jeunes ou des vieux, mais pas de la génération entre, celle qui a 40 ans aujourd’hui et que j’ai photographiée. Comme si les jeunes de ces quartiers ne vieillissaient pas et étaient interchangeables ». Il prend alors le temps de nous présenter chacune des personnes photographiées, de confronter leurs espoirs et questionnements de jeunesse avec la réalité de leur vie adulte. Cet aller-retour dans le temps a également donné naissance au film « Bar centre des autocars », du nom du bar que tenait Ali, l’un des adolescents, au moment où le photographe le revit pour la première fois en 2005.
Pourtant, tout humaniste qu’il est, Patrick Zachmann doit se faire à la réalité : « Aujourd’hui, je ne pourrais pas aller en banlieue de la même manière qu’à mes débuts. Les relations entre les médias et les habitants des quartiers se sont tellement dégradées qu’il faut avoir l’accord d’un « caïd » pour y entrer. J’ai du mal à accepter cette idée ».
Yslane Haïda
Du 26 mai au 11 octobre 2009.
Site Internet : www.histoire-immigration.fr
Lien : http://www.histoire-immigration.fr/index.php?lg=fr&nav=591&flash=0