Banlieue et VIH - Safia Soltani : « On n’est pas une assoc’ de pédés blancs »

Le 08-09-2009
Par xadmin

ACT-UP, association phare de la lutte contre le sida, a 20 ans en 2009. Longtemps, le communautarisme gay affiché a été un des leviers de son action. Safia Soltani, la nouvelle co-présidente de l’association se proclame ouvertement séronégative et hétéro. Act-Up évolue-t-elle vers un mode d’action moins communautaire ? Va-t-elle davantage cibler d’autres communautés, dont la population immigrée et issue de l’immigration, gravement touchée par la maladie ? Existe-t-il un « SIDA du Marais » et un « SIDA de la banlieue » ? Quand il s’agit d’autres communautés que la communauté gay, le discours se retrouve d’un coup plus universaliste, moins « segmentant ». Interview tiraillée entre positionnement historique marqué de l’association et franche volonté d’affronter la maladie partout ou elle se trouve.

Pouvez-vous revenir brièvement sur votre parcours ?
Mon père est Algérien et ma mère est italienne, mais on est « deuxième génération ». J’ai grandi à Montreuil dans le 93. J’ai fait une école d’éducateur spécialisé et d’entrée de jeu j’ai travaillé auprès des usagers de drogue. Notamment les consommateurs de crack dans le 18ème, une population surtout africaine et antillaise. Ensuite j’ai travaillé pour Médecins Du Monde sur les programmes de réduction des risques liés à l’usage de drogue. Puis j’ai été directrice d’une association de réduction des risques dans le 93. Après j’ai fait une école d’infirmière. J’ai travaillé pour le SAMU Social sur la mission tuberculose et je suis retournée travailler dans la rue auprès des usagers de drogue. Je suis arrivée en 98 à Act-Up Paris , pour faire du lobbying et du combat politique, ce que ne me permettaient pas les autres associations. C’est cet aspect qui m’a conduit à Act-Up, parce que je ne suis pas gay et je ne suis pas Séropo. On est deux co-présidents complémentaires puisque que Stéphane (Stéphane Vambre, l’autre co-président NDLR) est séropositif et gay et moi, ça va être tout ce qui est lié aux sans-papiers, à la précarité, aux travailleuses du sexe et aux usagers de drogue. L’histoire c’est que Stéphane et moi on s’est rencontré à l’hôpital, il était mon patient. Ce qui est nouveau c’est que lui est un homme et moi une femme.

Un des combats importants contre le VIH est lié à la précarité. En quoi le vécu de la maladie est différent pour une personne précaire ?
Cette année ce sont les 20 ans d’Act-Up. On a accentué notre discours sur le combat politique en disant que le SIDA engendre la précarité et la précarité engendre le SIDA. On a moins accès à l’information et à la prévention quant on est dans une situation précaire. Quand on doit penser à d’autres choses, à la survie, comment manger ou dormir. Il y a précaire et précaire aussi : est-ce que c’est la personne qui vit dans la rue, celle qui touche le RMI ou celle qui arrive en fin de mois avec un salaire et qui doit faire les poubelles ? Ca peut-être des mères de famille qui travaillent toute l’année mais qui vont se prostituer pour arrondir les fins de mois. Puis il y a la question de l’accès aux soins. Par exemple l’échange de seringues est plus compliqué en banlieue qu’à Paris où il ya des distributeurs un peu partout. Quand on vit dans une cité il y a une connaissance entre les gens. S’assumer en tant qu’usager de drogue ou homosexuel n’est pas évident. A Paris l’anonymat permet de vivre les choses plus facilement.

Quelles sont les actions que vous menez qui visent plus particulièrement les personnes précaires ?
On a une commission droits sociaux parce qu’il y a 22% des personnes séropositives qui sont sans logement. On s’est battus pour les franchises médicales : on ne peut pas demander de payer pour être soigné à ceux qui n’ont pas d’argent. Après il y a aussi la manière de vivre et de percevoir la maladie en fonction des cultures des origines de chacun.

Reda Sadki, du Comité des Familles disait en 2005 « Il y a un Sida du riche et un Sida du pauvre, un SIDA du Marais et un SIDA de banlieue » Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Si on veut combattre le SIDA on ne peut pas le différencier entre SIDA du riche, du pauvre. C’est en fonction de la personne qu’il va falloir s’adapter. On ne peut pas commencer à dire « les blancs riches et les pédés d’un côté et les noirs de l’autre…».Chaque association va avoir ses particularités. Mais on n’est plus dans une époque où c’est « les pédés blancs et riches » qui sont à Act-Up.

Est-ce que c’est plus compliqué pour vous, par rapport à l’histoire de l’association et son image pro-gay et provoc’, de faire du terrain dans les quartiers populaires ?
Act-Up ne fait pas d’actions de terrain. On fait du lobbying politique. Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui notre image soit négative. Les gens savent que nos actions ont des résultats quand par exemple on sort des sans-papiers atteints du VIH des centres de rétention, parce qu’on a frappé fort tout en étant non-violent. Notre mode d’action a été repris par plein d’associations aujourd’hui. On est plus les seuls à faire des actions tape-à-l’œil. Prenons l’exemple de Ni Putes Ni Soumises rien que le nom…

Elles ont justement parfois eu du mal dans les quartiers par rapport à ce positionnement…
Mais ça a eu du sens. Dans les quartiers les gens ont besoin d’images fortes. Si on parle d’Act-Up dans les quartiers certains vont dire « les pédés blancs ». On n’est pas une assoc’ de « pédés blancs ». C’est l’image que les gens ont en tête alors que nous sommes dans toutes les manifestations inter-associatives avec les sans papiers. Nous faisons partie du Réseau Education Sans Frontières. Après, pour faire avancer les dossiers, nous sommes obligés d’avoir notre propre identité.

Pendant de nombreuses années, la force d’Act-Up résidait dans son communautarisme gay revendiqué. Pourquoi ne pas utiliser davantage cette expérience pour la mobilisation d’autres communautés ?
Mais c’est ce qu’on fait à Act-Up ! Oui, on est issus de la communauté gay mais il ne faut pas oublier nos combats pour les sans-papiers. On a obtenu la loi de non-expulsion des personnes séropositives. Chez les usagers de drogues on a été les premiers à faire de la réduction de risques. Mais à Act-Up on parle à la première personne. C’est « Je suis séropositif ». Il n’y a que la communauté qui peut parler d’elle-même et de la réalité de terrain. On est un peu en guerre avec L’INPES sur leur campagne de prévention (campagne ciblant particulièrement la population noire de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé NDLR). D’une part c’est stigmatisant pour les noirs et de l’autre, on a trouvé qu’ils délaissaient un peu la communauté gay. On est Paris capitale européenne du SIDA. Dans la communauté gay, une personne sur 5 est séropositive. Donc je ne suis pas sûre qu’on ait obtenu de bons résultats sur ce point. D’un autre côté les gays sont la population qui se fait le plus dépister comparé aux gens en banlieue.

Peut-être que les gays sont plus conscients du risque que les primo-arrivants ou que certains jeunes en banlieue par exemple.
Oui, mais en même temps est-ce que l’Etat français donne les moyens pour faire de la prévention SIDA dans les cités ? Je ne crois pas.

Est-ce qu’il ya des cas concrets ou vous avez essayé d’adapter votre discours aux populations des banlieues ?
Dans les services d’immunologie avec les primo-arrivants, quand on dit « il y a des traitements», on nous répond parfois « mais non il faut que j’aille voir mon marabout ». Et là on ne peut pas dire simplement « c’est des conneries ». A Act-up on n’est pas dans ce registre, mais quand on va former des associations activistes africaines, on prend bien sûr toute leur identité en considération. Là on revient de l’IAS, la conférence internationale sur le Sida à Capetown (Afrique du Sud). On a réussit à faire des actions dites « actupiennes » tout en adaptant par exemple des chants qui luttent contre le SIDA.
Puis il y a les nouvelles lois sur la régionalisation hospitalière qui, elles, ne concernent pas uniquement la banlieue mais aussi les villes de province. Ca va avoir des conséquences. Il faudra être vigilant. Les patients n’auront plus le choix de leur médecin. Par ailleurs je m’inquiète du devenir d’un établissement comme l’hôpital Avicenne à Bobigny qui prend en compte l’ethno-psychiatrie et où les femmes enceintes peuvent accoucher dans les mêmes conditions qu’au pays. Que va-t-il devenir ? Comment va-t-on pouvoir suivre ces patients ? Tout ça ne va peut-être plus exister. Act-Up va rester vigilant.

Propos recueillis par Yannis Tsikalakis

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