
Mohamed Gnabaly élu maire : une autre écologie est possible

Voilà un citoyen pas ordinaire qui a vécu plusieurs vies à 31 ans à peine : analyste financier, entrepreneur dans le bio, leader associatif, responsable de mission locale et même maintenant… maire de l’Île-Saint-Denis ! Mohamed Gnabaly est un condensé saisissant du dynamisme du 93. Qui a réussi à concilier insertion sociale, écologie et business ! L'écologie dans les quartiers, c'est possible et c'est frais !
Un matin frisquet de décembre aux confins de Stains et de Saint-Denis. Le Clos Saint-Lazare est en pleine rénovation, certains immeubles ont fait place à des tas de gravats. De l’autre côté de l’avenue de Stalingrad, des friches et les terrains agricoles de René Kersanté, le dernier maraîcher de Saint-Denis. Mohamed Gnabaly lorgne sur certains d’entre eux d’un regard gourmand : il convoite d’y installer une partie de ses futurs maraîchages bios… si toutefois il parvient à trouver les financements (un million d’euros !) pour dépolluer ces parcelles ! Un parfait résumé des projets parfois osés de ce « riscophile » né.
Bio, business et banlieues, une formule qui peut marcher !
Il nous alpague depuis une petite voiture un peu déglinguée mais vaillante d’un de ses collègues, pour nous inviter dans un restaurant « solidaire » (produits issus de « l’agriculture raisonnée », service par des employés en insertion…). Avant de nous faire visiter le terrain où il aménage un potager bio de 1,3 hectares, en prévision d’un déménagement depuis Saint-Denis, où il a développé son activité depuis 2012. Bio, insertion, agriculture locale, circuits courts, Seine-Saint-Denis… autant d’éléments qui a priori ne paraissent pas faire bon ménage. Et pourtant, ça marche ! Et même très bien : le chiffre d’affaires de son entreprise, Novaedia, est passé à 470 000 euros en 2014, en hausse de 25% par rapport à l’année précédente. Et de +178% entre 2013 et 2014 ! Le tout avec 74% de vente et mécénat privé. Fulgurant… Comment un gamin de la balle que rien ne prédestinait à se lancer dans ce genre d’activité s’y est-il pris pour engranger de tels chiffres ?
Ebullition citoyenne
Mohamed Gnabaly n’est pas né entrepreneur, et encore moins écolo. Son père est le recteur de la mosquée de l’Île-Saint-Denis. Sa mère a été longtemps active dans une association d’entraide locale, Ebullition. Une partie de la clé du tempérament du fils réside dans la ville de résidence des Gnabaly : l’Île-Saint-Denis. Sans doute la ville la plus dynamique écologiquement en Île-de-France, à partir d’un territoire très difficile (72% de logements sociaux, un revenu annuel autour de 9 000 euros par an…). Mais depuis la fin des années 90, l’association Ebullition a su, à partir des méthodes de base de la participation citoyenne, créer un mouvement (« L’Île vivante ») qui a conduit quelques dizaines d’habitants à diriger la mairie, en allant à l’encontre d’une culture de l’assistanat et de la victimisation : ces citoyens ont humblement retroussé les manches pour gérer au mieux le maigre gâteau qui leur était laissé par les décombres d’une économie industrielle qui a fait tant de dégâts dans les banlieues. Et ils ont même développé de multiples projets écologiques, sans pour autant rogner les dépenses sociales (bien au contraire)… ni même s’endetter ! Une gageure ! Conscience de sa situation dans un monde injuste, solidarité et volonté de ne pas se laisser abattre par ce destin sont à la base de ce mouvement dont Mohamed Gnabaly est l’un des plus beaux bourgeons.
Capital banlieue
Il le revendique d’ailleurs : selon lui, le maire de la ville, Michel Bourgain, « a institutionnalisé son approche associative, cette culture qui vient de la société civile et qui n’a de ressources qu’elle-même. Il n’y a qu’à voir le poids de cette ville de 8000 habitants dans le département ou à Plaine Commune [la communauté d’agglomération locale, Ndlr], c’est sidérant ! » Ces ressources locales sont avant tout humaines. Les Bourgain, mari et femme, l’ont toujours clamé : ils ont valorisé partout, tout le temps, cette sorte de sens commun populaire que chérissait l’écrivain George Orwell. Mohamed Gnabaly en a pris de la graine : « J’ai quitté un lycée de Seine-Saint-Denis vers une prépa parisienne parce que des gens me faisaient sentir que j’avais un gap à franchir. Mais je voyais aussi que j’avais une expérience, un capital banlieue » (c'est d'ailleurs le nom de la première association qu'il créé). En quoi consiste donc ce « capital banlieue » ? A « valoriser l’informel » assure notre homme. Alors que trop souvent, l’autocensure et les préjugés nuisent au développement de ce « capital ». « Bourgain m’a appris que la différence entre les intellectuels et les manuels, c’est que les premiers vont réfléchir avant d’agir, et les seconds vont réajuster en fonction du terrain ». En un mot : ils sont pragmatiques.
Fils d'un imam et d'une médiatrice sociale
Bien sûr, la ville de naissance n’est pas tout. L’éducation compte aussi : « Je ne me considérais pas comme défavorisé, ni économiquement, ni socialement. Je suis issu de la classe populaire, mais mon père a un doctorat en théologie et ma mère est médiatrice. J’ai structuré l’association qui gère la mosquée, et l’école de commerce que j’ai fait m’a donné une méthodologie ». Le fils d’imam a donc fait une école de commerce. Et pas dans n’importe quelle discipline : la finance de marché ! Il sera auditeur en investissements sur le marché des capitaux pendant cinq ans… Ce qui le mènera a exercer en France et à l’étranger (Canada, Mexique…) pour les plus grandes banques (Bnp, Société générale, Natixis…) – qui ne sont pas les plus réputées pour leurs engagements sociaux et solidaires. Un petit ange a dû alerter Mohamed Gnabaly : « J’ai fait la voie royale, mais je ne m’éclatais pas en finançant les marchés. J’aimais mon travail, ça m’intéressait, il y a des personnes très humaines, mais ça ne vaut pas le coup de travailler pour travailler. Je suis moins bien payé maintenant mais à terme, le sentiment d’utilité, ça n’a rien à voir, c’est un projet de vie global… »
Une écologie de la troisième voie ?
En 2011, Mohamed Gnabaly a donc fini par rejoindre un monde associatif lui aussi en pleine évolution. Mais ne goûte guère pour autant aux normes un peu trop théoriques du bio ou de l’économie sociale. « On y a vu un peu n’importe quoi ces derniers temps : il faut surtout regarder la mise en application, pas seulement l’étiquette. Avec les nouveaux indicateurs sociaux, on est de plus en plus dans la duplication du modèle capitaliste à l’économie sociale et solidaire, façon Groupe Sos*. A l’opposé, Andines, Halage [des coopératives de l’insertion et du commerce équitable qui se sont développées naguère depuis l’Île-Saint-Denis, Ndlr] ne comprennent pas qu’on puisse travailler pour Nestlé. La société, nous on pense qu’il faut la faire muter. C’est à nous de changer les gens qui sont dans le capitalisme et qui ont conscience de leurs limites. » Novaedia s’en donne dorénavant les moyens : cette entreprise a le statut de Scic, ce qui lui permet de compter dans son conseil d’administration des acteurs privés, publics et associatifs. Il s’agit pour cette structure de livrer des paniers de fruits et légumes bio aux entreprises de Plaine Commune. Une centaine de clients sont fournis. Une entreprise dont les salariés sont, qui plus est, pour partie en insertion.
La formule : conjuger l'écologie et le social
Mais cette activité n’est pas tout : depuis quelques années, Mohamed Gnabaly a attrapé le virus citoyen : sa première association, Mon éco-cartable, lancée en 2011, visait à insuffler une culture de l’économie dans des couches de populations victimes selon lui de « messages de masse leur disant : consommez ! » Mon éco-cartable recycle les invendus de fournitures scolaires. Depuis ce coup d’essai, il suit la même logique : proposer des paniers bio à cinquante familles du CCAS d’Epinay, à des tarifs variant en fonction des revenus (à partir de 4 euros le kilo). Mohamed Gnabaly le sait, « il faut avoir une approche sociale de l’environnement. Il semble que la moitié des dépenses de la Caf servent à rembourser les impayés d’eau, de gaz et d’électricité. L’idéal de la sensibilisation, c’est d’apprendre à mieux utiliser ce qu’on a et à ne pas dépenser ». Mohamed Gnabaly est aussi obligé d’appliquer de tels préceptes en tant que… responsable la Mission locale couvrant les territoires d’Epinay, Villetaneuse, Saint-Ouen et L’Île-Saint-Denis ! Un poste où là aussi, il tente d’insuffler « une culture du partenariat » entre secteur associatif, public et privé. Et de « sortir de la logique hiérarchique » ! Vaste programme, dans des organismes parapublics ! Mais ce n’est pas tout : depuis 2014, notre homme est aussi adjoint au maire de l’Île-Saint-Denis, en charge du développement économique et du Grand Paris ! Le tout, dans une ville qui a lancé il y a dix ans un énorme projet d’écoquartier avec activités économiques intégrées. Soit pas moins de 50% de son temps de travail passé pour la petite commune !
Entre mairie, mission locale, association et entreprise, Mohamed Gnabaly n’a même plus le temps de faire un foot avec ses employés. Gare au surmenage, donc. Mais si l’avenir appartient à ceux qui n’ont pas les deux pieds dans le même sabot, alors, il est permis d’espérer en de grandes choses pour notre homme, et pour les projets qu’il mènera. L’un d’eux (et qui n’est pas le moindre) : devenir le premier maire noir d’Île-de-France ! Cette élection a été officialisée aujourd’hui 07 juillet lors du conseil municipal d’investiture, suite à la démission pour cause de volonté de passer le témoin, du maire actuel, Michel Bourgain (EELV, élu en 2001 pour la première fois). Ses premiers mots sont allés à la jeunesse, qui est à la peine dans notre pays : « Je suis ici pour que la palette des possibles s'élargisse pour la jeunesse ! » Et de citer l'un des tubes du rappeur Kery James (signe qu'il n'a pas oublié le jeune qu'il a été -qu'il est ?-, tout premier édile de sa commune fût-il dorénavant) : « Qu'avons-nous fait pour nous-mêmes ? (...) On n'est pas condamnés à l'échec ! » La banlieue est bien un capital, et Mohamed Gnabaly sait faire fructifier le capital ! Tous les espoirs sont permis !
*groupe leader de l’économie sociale et solidaire en France
La Ferme des possibles
Comment rester les pieds sur terre ? En foulant de temps à autre la glaise du futur terrain de maraîchage bio, cette Ferme des possibles de Stains ! Un lopin qui sera mis en culture et exploité avec les méthodes les plus exigeantes : permaculture pour quelques centaines d’arbres fruitiers, basse-cour, marre, espace pédagogique, serre, potager, ruches. A chaque fois avec un mélange de variétés commerciales, rares et anciennes et récupération des eaux de pluie… Le tout, en partenariat avec des acteurs spécialistes : Miel Béton, Halage, Les croqueurs de pommes, Belastoc (pour l’aménagement), et avec des matériaux et ustensiles recyclés et des méthodes de travail traditionnelles quasi non mécanisées. L’idée : « diversifier les produits et ne pas faire dans le volume, mais dans l’éducatif. Ce projet est un concept : créer une filière agroalimentaire urbaine ». Pour le volume, Mohamed Gnabaly compte plutôt travailler avec d'autres producteurs locaux. Au-delà de la distribution, Novaedia devrait donc se développer vers la production (avec aussi l’acquisition d’une cuisine).