Dix ans d’histoire en banlieue : entre explosion et implosion

Affiche de la rencontre "Ma banlieue n'est pas un problème..."
Le 30-10-2015
Par Meriem Lariri

Samedi 24 octobre, tandis que sur le parvis de l’Hôtel de ville de Saint-Denis on célébrait des mariages avec des youyous retentissants, dans la salle du conseil municipal, une table ronde questionnait : 2005, « Emeutes urbaines / Révoltes sociales : état des savoirs », dans le cadre d’un marathon de trois jours et 8 débats, sous le titre de "Ma banlieue n'est pas un problème mais la solution".

 

En guise de bilan, peu encourageant, de ces dix années écoulées.
Olivier Klein, maire socialiste de Clichy sous Bois a rappelé les circonstances de ces événements. Remontant le fil, il a décrit le choc et la douleur qu’ont entraînés les décès de Zied et Bouna le 27 octobre 2005, morts électrocutés alors qu’ils tentaient d’éviter un contrôle de police.

 

« Contre qui diriger la colère ? »

Il s’est également souvenu de la « très grande incompréhension qui s’est installée. L’absence de compassion de la part des pouvoirs publics conjuguée à une sorte de suspicion sur ce qu’avaient pu faire les deux jeunes, a donné lieu à une première nuit de colère. Le samedi, la marche qui réunissait les habitants, les amis et les familles est passée devant les voitures brûlées » s’est souvenu l’élu. Mais « Grâce à l’appel des familles, la nuit suivante a été calme ». C’était sans compter un autre événement qui est venu s’ajouter tout de suite après et qui a fini de tout embraser : le lendemain, lors de la veillée de la nuit du Destin, durant le ramadan, alors que les CRS étaient aux abords, une grenade lacrymogène a été lancée à l’intérieur de la mosquée de Clichy Sous Bois : « Encore une fois, il n’y a pas eu de réaction des pouvoirs publics, pas de déplacement de ministres, rien. Les pouvoirs publics n’ont pas eu les mots qui auraient pu apaiser la colère. C’est à partir de là que les émeutes qui ont fait tâche d’huile en Seine-Saint-Denis et qui ont duré trois semaines ont commencé ». Le maire a assuré que, en l’absence de réponse de l’Etat, les acteurs locaux ont pris le relais : « tous les acteurs associatifs sur le terrain ont été mis à contribution pour jouer un rôle de médiateur et poser la question de savoir contre qui diriger sa colère », afin de sortir de l’introversion.


« Constituer une force politique qui soit la voix des quartiers »

Pour Michel Kokoref, sociologue à l’université de Paris VIII et intervenant à cette table ronde, la réponse à cette question est  très claire : « Cette colère était dirigée contre la police, représentante des pouvoirs publics et il est significatif  que la situation se soit calmée à Clichy à partir du moment où il y a eu un retour au droit et que la justice a été saisie dans cette affaire ». Et de juger : « Tout cela part d’abord d’une émotion, les enfants ont vu leurs parents en colère, cela renvoie aux émeutes de la faim dans les campagnes françaises au 18ème siècle. » Mais à l’heure du bilan, le sociologue s’est demandé : « Quel rapport de force on installe pour devenir incontournables ? » En effet, à la suite de ces mouvements de révoltes spectaculaires de 2005, des forces vives se sont constituées en divers collectifs. Mais on peut se demander de quelle représentation de poids les quartiers populaires peuvent-ils se prévaloir aujourd’hui ? L’intervenant Annouar Sassi a, à cet effet, rappelé comment et dans quel but s’est créée la Coordination Pas sans nous : « Nous avons décidé de mettre de côté les egos et les divisions afin de créer une coordination de toutes ces forces pour essayer de constituer une force politique qui soit la voix des quartiers ».


« Un mouvement social bien français »

Cette question de la représentation et de la place des problématiques de quartiers au niveau national a en effet de quoi surprendre. Comme le signalait Annouar Sassi : « Ce mouvement de révolte est systématiquement ethnicisé, associé à une religion. Il faut refuser cela et au contraire l’inscrire dans le cadre des révoltes sociales, au même titre que toutes les autres, comme celles des agriculteurs, du CPE, des retraites, etc. En France, notre tradition n’est pas celle du consensus, on ne se met pas autour d’une table pour négocier un accord-cadre ! Pourquoi, dès qu’il s’agit des banlieues, on a l’impression qu’on parle d’un territoire étranger, d’un problème qui ne fait pas partie de la société française ? C’est pourtant bien un mouvement social français ». Henri Cohen Solal, psychanaliste, a quant à lui proposé de réfléchir à partir des principes de la psychothérapie institutionnelle : « Qu’est-ce qu’on fait de cette colère, de cette humiliation ? Il faut écouter et faire sortir les mots. Quelle qualité et quel dispositif d’écoute on met en place ? Il faut un espace d’expression qui permette la traduction de toute cette frustration ». A propos de psychothérapie, Annouar Sassi n’a pas hésité à parler de certains de ces jeunes actifs à l’époque et déclare, les mots sont très forts : « il y a zombification des jeunes avec de très nombreux cas psychiatriques déclarés ».

Les intervenants semblaient d’accord pour affirmer que les événements de 2005 n’ont pas permis un diagnostic ni une prise de position politique.  Pour Michel Kokoref,  l’analyse est sans appel : « La situation d’indigence dans les quartiers a empirée et même si ça n’explose plus, ça implose ». Anouar Sassi abonde dans son sens : « On a une poudrière. 2005, ça sera Disneyland, comparé à ce qui peut arriver. Les jeunes sont déconnectés, on n’a plus d’accroche avec eux. » Une violence qui, par ricochet, pourrait bien toucher le reste de la société, tôt ou tard…

 

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