Daouda Sanogo : l’environnement a-t-il un avenir en banlieue ?

Daouda Sanogo (Photo : Gdf / Suez)
Le 08-06-2015
Par Erwan Ruty

Il a été fonctionnaire, entrepreneur, en Seine-Saint-Denis. Il est maintenant élu… et s’est lancé comme consultant à l’international. Cet enfant d’Aulnay-sous-bois, 38 ans, a donc déjà plusieurs vies derrière lui et sans doute autant devant. Pragmatique avant tout, il avance au gré des opportunités, sans se vouer exclusivement à une seule chapelle, mais sur le créneau de l'environnement.

 

Monsieur a été ambassadeur. Certes, c’était « ambassadeur du tri » ; ce n’est qu’un début, mais vu le palmarès du personnage en près de vingt années bien remplies, il n’est pas interdit de rêver à d’autres ambassades, plus prestigieuses. Pourtant, Daouda Sanogo n’a pas les dents qui rayent le plancher. Son destin a été plutôt tranquille, depuis le quartier des Merisiers (qu’il appelle « la Suisse aulnaysienne »)… jusqu’à sa récente fonction de conseiller des ministères ivoiriens. Il fait juste son petit bonhomme de chemin.
 

Du terrain, surtout du terrain

Il a d'abord été successivement « emploi ville » puis « emploi jeune » puis est rentré dans la fonction publique, est devenu chef d’une TPE et puis… Mais reprenons au début : en 1996, les questions environnementales ne sont l’apanage que d’élites militantes, ou de collectivités tenues de répondre à des impératifs législatifs. La mairie d’Aulnay fait du tri sélectif, pas plus. Mais le gars se débrouille bien, son poste « d’ambassadeur du tri » (solliciter les entreprises, puis les particuliers) qui a donc commencé par un bête CDD de trois mois, a finalement été pérennisé par la mairie. Il monte progressivement en gamme dans le métier : il passe à l’encadrement d’équipes, puis à la gestion des prestataires, puis travaille à la mise en place de filières de recyclage « D3E » (équipements électriques et électroniques) dans les collectivités, encore balbutiantes. La communauté d’agglomération voisine, Plaine commune, le débauche : il sera Directeur adjoint propreté. Il n’a pas trente ans. Il est alors en relation avec les élus, et paraît ainsi au somment de la montagne. « Mais je voulais faire du terrain, avec les ripeurs [qui déchargent les camions, Ndlr], les gardiens d’immeuble plus qu’avec les élus. Je ne voulais pas rester dans un bureau derrière un ordinateur jusqu’à 23 heures… J’avais 28 ans, j’aspirais à autre chose. » Les ordinateurs, il les préfère donc trimbalés, désossés, triés et recyclés. Comme la plupart de ceux qui se penchent sur les questions environnementales, il n’est pas né avec la fibre écologiste. Qu’importe, puisqu’il fait avancer le schmilblick.
 

Un risquophile en banlieue

Ainsi doté d’un savoir-faire hors norme puisqu’il a occupé toutes les strates du métier, mais aussi dorénavant armé d’un solide carnet d’adresses sur tout le territoire, il perçoit la faille, que tout bon chef d’entreprise qui se respecte a le devoir d’exploiter : « Je voyais que le marché local des Pme n’était pas adapté aux grosses entreprises travaillant dans le domaine de la collecte et du recyclage, comme Véolia : c’est un marché trop diffus, il faut beaucoup se déplacer, et à chaque fois pour de petites quantités ». Pas fou, le gars ne se jette pas pour autant à corps perdu dans l’aventure. Il mène une étude de marché et fait une formation… de chef d’entreprise ! Transports, logisique, gestion, comptabilité, communication, tout y passe, notre homme n’est pas un aventurier, mais il a tout du fameux self made man méthodique. « Je me lance en 2008, mais quand je vais voir les banques, elles me disent d’abord : votre activité, je ne vois pas, c’est la crise, et moi, mon frigo, quand il ne marche plus, je le jette ! Même avec les prêts d’honneur, ils ne voulaient pas. Ou alors, 15 000 euros. Et puis ça a fini par marcher. Mais pendant un an, j’ai fait à la fois fonction publique et entreprise. Ce qui m’a plu, c’est la prise de risque, l’innovation, la sortie de la fonction publique après dix ans. » Ca plaît beaucoup moins à sa compagne d’alors, elle aussi fonctionnaire. Il aurait bien aimé pouvoir compter sur ses talents juridiques, sur son soutien… mais non, définitivement, ça ne le fait pas. La séparation sera la solution… Son père non plus au début n’est pas trop chaud… Mais rien n’arrête notre ancien ambassadeur.  
 

L’envol… jusqu’au plafond de verre

Le véritable envol de son entreprise, Alliance & co (lire « alliance éco ») viendra du concours Talents des cités ; en 2009. « J’ai eu un prix au moment de la conférence sur le climat de Copenhague ! Du coup, je me suis retrouvé sur le plateau de Lci ! Et avec plein d’éautres émissions à la clef, télés, radios… Ca m’a apporté pas mal de clients. » Un membre du jury, de Gdf, lui fait réaliser un film de promotion. La spirale vertueuse s’enclenche. D’autres prix suivent, comme celui porté par Initiative France, ou un trophée de Seine-Saint-Denis. Des partenariats se nouent, y compris avec Véolia. A l’époque il est seul sur certains marchés. L’Oréal, le ministère de la Défense, des hôpitaux deviennent clients. « A un moment, c’était affolant ! J’avais 4-5 camions pleins qui attendaient dans la rue ! Et puis les grandes entreprises sont arrivées sur le marché. Je faisais beaucoup de collecte, je me suis mis au triage, au réemploi, la remise en état et à la revente à coût solidaire... Les grandes entreprises sont aussi venues dessus ! Pour continuer à lutter, il aurait fallu que j’investisse beaucoup dans une installation de traitement. Et que je convainque des élus de l’accepter sur leur territoire ! Imaginez ! Une usine de déchets, même à retraiter ! Les associations s’y seraient opposées ! Ou alors j'aurais dû aller ailleurs, dans le 77 ou en province. Mais mes réseaux sont locaux. » Le chiffre d’affaires frôle alors les 100 000 euros. Mais cela reste de la petite entreprise familiale (lui-même gérant, frère salarié, sœur qui met la main à la pâte…). Plusieurs employés sont alors en intérim et en insertion (« eux, ils sont toujours motivés, ils viennent dès six heures du matin, ils savent que c’est leur dernière chance… »).
 

L’Afrique, nouvelle frontière commerciale ?

De cette époque germe l’idée d’un développement à l’international. L’Afrique en particulier. « C'est là-bas que ça se passe. La Côte d’Ivoire, en 2013, c’est 13% de croissance ! Le développement de l’électronique, télés, radios, frigos etc, c’est là-bas que ça se fera ! C’est là qu’il faut investir ! » Daouda Sanogo créée Alliance & co international en 2011. « Je voulais créer de l’activité là-bas, y payer des salaires, déclarer des taxes. Il y une législation, mais pas d’application, de concrétisation ! » Le business marche très bien. Le chiffre d’affaire de cette entreprise de droit ivoirien dépasse celui qu’il avait connu en France. Notre homme tente d’y reproduire ce qu’il avait fait dans l’hexagone... puis se ravise : trop compliqué. Problèmes techniques, matériels, embauche d’équipes importantes, et même corruption… trop de facteurs l’en dissuadent finalement. Et puis il veut rester l’essentiel de son temps en France. La Seine-Saint-Denis, quand ça vous tient ! Du coup, il penche vers une activité de conseil et de formation des acteurs ivoiriens. « Je vends de la matière grise maintenant. Mais pas seulement : on a eu un marché de retraitement de l’éclairage d’Abidjan : j’ai fait revenir toutes les ampoules de la ville ici, car là-bas, il n’y a pas encore de filière. Il y a beaucoup d’enfouissement de ce qui n’est pas valorisé… »
 

Un entrepreneur (de plus) en politique

Une autre raison le pousse vers l’étranger, paradoxalement : son engagement politique local… Il avait créé une liste indépendante pour les cantonales de 2011. Son score, méritoire mais médiocre, lui permet cependant de négocier ensuite avec… Bruno Beschizza, ténor de l’Ump, qui remporte la mairie en 2014. Daouda Sanogo y occupe dès lors le rôle d’élu au développement économique. « Dans l’ancienne municipalité, comme souvent ailleurs, je n’avais pas d’interlocuteur quand j’étais petit entrepreneur, pointe-t-il. En général, on s’intéresse à la grande entreprise, pas aux Pme, pas à la création d’entreprise. Moi, maintenant, je peux conseiller, passer des coups de fil, créer les conditions pour le développement d’activité, par exemple en créant un espace de co-working, une pépinière… » M. Sanogo a encore la fraîcheur du nouvel élu. Il est pourtant dans la droite ligne de ces entrepreneurs qui ne connaissent pas de frontières dans l’activisme, et finissent par franchir le pas de la politique. Mais préfèrant ne pas mêler politique avec affaires, localement, il ferme donc Alliance & co (France), pour ne garder que son activité internationale.

Parcours atypique d’un entrepreneur passé en politique ? Pas seulement. Il y a chez Daouda Sanogo à la fois une bonne dose de pragmatisme et de réalisme, l’absence de complexes, la capacité à changer de modèle en cours de route sans s’accrocher à la même branche… Le monde de l’entreprise compte un nouveau self made man dans ses rangs, et celui de la politique peut-être aussi, l’avenir le dira. Quant au monde de l’environnement français, il a perdu une belle occasion en laissant Daouda Sanogo s’envoler vers de nouveaux horizons…
 

 

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