Jacques Donzelot : "la gauche n’avait pas de culture politique sur la question des banlieues"

Jacques Donzelot
Le 10-12-2014
Par Erwan Ruty

Pour les banlieues, que s’est-il passé, deux ans et trois ministres de la ville plus tard ? Episode 2 avec Jacques Donzelot, sociologue de l’urbain, qui juge sévèrement ces deux ans, alors que les plus hauts scores obtenus par François Hollande en 2012 le furent dans les banlieues populaires et les territoires d’Outre-Mer : 76% à Bobigny, 71% en Guadeloupe (contre 64% en Corrèze, chez lui)...

 

P&C : Sur quelles réflexions repose la politique de la ville menée depuis 201 ?
J. D. : Le message de la nouvelle politique de la ville depuis Lamy est qu’il ne faut plus qu’on ait l’air de filer de l’argent aux quartiers, car cela fait monter le Fn qui fait remarquer qu’il y a aussi des pauvres dans la Creuse ou ailleurs dans les campagnes. Mais si on ne prend en compte que les critères de revenus comme c’est maintenant le cas, c’est toute la politique sociale qu’il faut changer, pas seulement la politique de la ville !



P&C : Pourtant, avec le rapport Mechmache-Bacqué, François Lamy a quand même tendu la main aux habitants des quartiers pour qu’ils participent à la politique de la ville dont ils étaient jusqu’alors spectateurs. C’est nouveau et c’est positif, non ?
J. D. : L’empowerment [pouvoir d’agir, ndlr] est une nouvelle feuille dans le mille feuille décisionnel.  Ce projet fait un pas en avant en direction des associations, mais c’est une opération rhétorique qui cache une opération de réduction des crédits ! La politique de la ville, qui était une politique d’intégration qui ne pouvait plus dire son nom est devenue une politique sociale comme une autre. C’est même une dissolution de la politique de la ville à laquelle on assiste, puisqu’on dit : « il n’y a pas de ghettos ou de minorités, mais seulement des gens dont le niveau de vie est en dessous des autres » ! Avec ces nouveaux critères, c’est les élus locaux qui décident, et pas des agrégats complexes. Mais tout cela est en route depuis le début des années 2000 ; pour les associations, la réalité c’est une mise en concurrence par les appels à projets. Mais en France, après tout, le milieu associatif n’est pas un mode d’organisation des gens entre eux, c’est plutôt un moyen d’auto-contournement de l’Etat par lui-même !



P&C : Cette réforme globale de la politique de la ville est-elle une victoire de chercheurs comme Christophe Guilluy ?
J. D. : Hollande et Lamy ont demandé à Christophe Guilluy comment enlever des arguments au Fn qui dit qu’on ne donne de l’argent qu’aux banlieues et aux arabes. Guilluy a été reçu avec beaucoup de gentillesse par Hollande, comme par Sarkozy, et il a été de fait aidé par les scores Le Pen ! En fait, la gauche n’avait pas de culture politique sur ces questions, et le Ps n’avait pas trop envie de réfléchir dessus avant 2012. Sauf Valls, qui par ailleurs serait le seul à avoir l’énergie et le poids pour faire quelque chose.

 


 

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