La gauche et les banlieues : deux ans pour quoi ?

Le plateau d'une émission de Kaïna TV
Le 09-12-2014
Par Erwan Ruty

Les plus hauts scores obtenus par François Hollande en 2012 le furent dans les banlieues populaires et les territoires d’Outre-Mer : 76% à Bobigny, 71% en Guadeloupe (64% en Corrèze, chez lui)... Mais finalement, pour les banlieues, que s’est-il passé, deux ans et trois ministres de la ville plus tard ? Episode 1 : vu de Kaïna TV, à La Paillade (Montpellier), avec Akli Aliouat, son directeur.

 

A peine en poste le nouveau ministre de la Ville, François Lamy, relance la rénovation urbaine. Au moment où le milieu associatif se mobilise pour les 30 ans de la Marche pour l’égalité -anniversaire qui fera un flop ; et couple le tout au le rapport Bacqué-Mechmache, qui vise à une meilleure participation des habitants à cette même rénovation.


P&C : Comment est ressenti, localement, le changement de gouvernement ?
A. A. : On entend dire que c’est la même chose, avec en plus une tromperie, une trahison. Globalement, les gens n’en ont plus rien à faire de la politique. Ils n’y croient plus, ils font autrement. Ils ne passent plus par le système en place. Les jeunes ne sont plus étonnés de rien. Même si les anciens du milieu associatif, de l’éducation populaire portent encore ces valeurs, celles qui font que beaucoup ont voté à gauche pour une politique plus sociale. Ils misaient sur des valeurs, pas sur le bonhomme Hollande, qu’ils ne connaissaient pas. Maintenant, pour les municipales, que ça soit pour des gens de gauche ou de droite (ici, de l’Udi), ils acceptent de distribuer des tracts pour gagner leur croûte. Mais quand on a fait des émissions sur les municipales, au début, on nous disait « la politique on s’en tape », et puis la parole a fini quand même toujours par circuler, quand on parlait de questions concrètes. Des comités de quartier se sont réveillés. A l’Agora, il y a toujours des débats, une génération de grands frères a envie de revenir, même si leur situation n’est pas stable.



P&C : Quelle est la situation du milieu associatif, qui est l’un des derniers piliers de la vie locale ?
A. A. : On sent que les institutions sont au point mort. Ca ne répond pas quand on fait appel à elles. Tout se fait à distance, il n’y a plus de rencontre, on n’a plus le temps de partager des constats, des analyses, des propositions. Le fossé se creuse avec l’administration et les collectivités. Même à l’Acsé, ils ne sortent plus. D’ailleurs, ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir ! Entre associations, c’est pareil, on ne prend plus le temps de discuter. Chacun est dans le souci de pérenniser sa structure. Pour la participation des habitants, on a répondu à un appel à projets alors qu’on aurait pu tenter d’avoir une réflexion partagée, mais non, chacun a répondu de son côté. On est cloisonnés. On s’essouffle depuis quinze ou vingt ans. On voudrait bien transmettre le flambeau, mais on ne sait plus à qui, on ne voit pas la relève… Cela dit, ça marche bien sur les projets humanitaires, vers l’étranger, ou autour de la santé. Mais ces projets ne sont pas toujours éducatifs, pédagogiques : les gens s’auto-organisent de plus en plus, ils se mobilisent pour trouver des fournitures, de l’argent, mais ils font ça sans bilan, sans rien. Bon, ça fait moins de bureaucratie, moins de dossiers qui de toutes manières ne sont pas lus pas les administrations qui de toutes manières n’accordent que quelques % de subventions… et qui ne viennent jamais voir les résultats, ne sont jamais au courant, ne contrôlent plus rien. Avant, on rencontrait ceux qui avaient le pouvoir de décision. Maintenant, on a l’impression qu’ils n’ont plus aucun pouvoir. « C’est là-haut que ça se passe », on nous dit. Ils n’ont même plus le pouvoir d’interpeller. Et certains dossiers se perdent dans les cartons !



P&C : Du côté de Kaïna TV, où en êtes-vous ?
A. A. : Le soufflé est bien retombé depuis qu’on a monté l’anniversaire des trente ans de la Marche pour l’égalité. On continue, mais avec moins d’animation de quartier, et plus d’implication dans des projets d’économie solidaire, pour répondre aux besoins du territoire en terme de chômage. On va faire plus de formation aussi. Et faire de la prestation audiovisuelle, en direction des collectivités notamment. En terme d’image, ils aiment bien dire que des reportages sont faits par des jeunes de la Paillade ! Mais on a proposé un chantier d’insertion, on a été recalés : le marché est bien pris ! La prestation, c’est notre avenir pourtant ! La question, c’est : avec quel message ?! Parce qu’on sera moins présents dans le quartier, c’est plus possible. Cela dit, ça permettrait à Kaïna de sortir du quartier. Si ça nous permet aussi d’emmener des jeunes hors du quartier dans notre sillage… C’est une question d’utilité sociale. On verra bien. De toute façon, c’est la dernière cartouche de Kaïna…

 

 

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