
Populaires, mais pas assez pour les partis

Les partis de gouvernement se détournent de l'électorat populaire, à qui ils ne savent plus s'adresser. Une aubaine pour un Front national très offensif.
Les formations politiques et leurs représentants savent l’urgente nécessité de remobiliser les classes populaires. « Les partis de gouvernement sont acculés, il faut se remettre en cause de fond en comble », diagnostique Juliette Méadel, toute fraîche porte-parole du Parti socialiste. « Il faut faire de la politique autrement », la rejoint Camille Bedin, secrétaire générale adjointe de l’UMP et élue de Nanterre (Hauts-de-Seine). Face aux taux d’abstention et à l’avancée du Front national, les déclarations d’intention de toutes parts. La réalité politique vient ensuite s’y heurter.
« Les partis politiques ne parlent pas aux classes populaires, se désole Louis Maurin, président de l’Observatoire des inégalités. Ce n’est pas qu’une question d’envie mais aussi d’origine sociale des élus, d’intérêts économiques, de lobbies qui poussent dans d’autres directions… » Président du groupe Europe Ecologie - Les Verts au Conseil régional d’Île-de-France, Mounir Satouri est également directeur de centre social dans les Yvelines. Avec sa double casquette, il confirme : « Les partis politiques cherchent-ils à s’adresser aux classes populaires ? Non, je ne crois pas. Ils ne s’intéressent aux problèmes que périodiquement, lors des élections. »
« Plan Marshall » ou « nettoyage au Kärcher » ?
En 2007, un an et demi après les émeutes qui ont embrasé les quartiers sensibles, cette urgence de parler aux classes populaires était criante. En campagne pour la présidence de la République, Nicolas Sarkozy promet un « plan Marshall » pour les banlieues, avec la formation comme vecteur principal pour lutter contre la relégation. Après quatre ans d’inaction, le ministre de la Ville, Maurice Leroy, enterre le projet.
La promesse s’est envolée. Pas certaines paroles, notamment celles du « nettoyage au Kärcher » prononcées par Nicolas Sarkozy au pied des immeubles de la cité des 4 000 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Les critiques pleuvent. L’insécurité reste.
Les banlieues n’ont pas plus vu les effets de la proposition 27 du candidat François Hollande, la seule qui leur était destinée sur les soixante du projet présidentiel pour l’élection de 20121. Les partis font alors un calcul cynique. Ils ne veulent pas concentrer les efforts de campagne sur la partie de l’électorat la moins bien informée, la moins bien inscrite sur les listes et la moins mobilisée lors des scrutins.
Face au FN, redonner un sens concret à l’action politique
L’échec patent des deux grands partis de gouvernement à s’adresser aux classes populaires laisse le champ libre au Front national, premier parti ouvrier en 2012 (28 à 35% selon plusieurs enquêtes). En plus d’accuser la gauche de « matraquer fiscalement les classes populaires et d’épargner les étrangers », Marine Le Pen s’appuie avec succès sur un discours antisystème. La présidente frontiste fustige « l’UMPS », dont chacun des membres incarne des décennies de relégation et de souffrances pour les classes populaires.
« La confiance dans la politique tend, pour les milieux populaires, à être conditionnée par un volontarisme exprimé par le refus de se soumettre à ce qui est vécu comme un diktat des marchés financiers et de l’Europe », selon le sociologue Alain Mergier et le sondeur Jérôme Fourquet. Les dénonciations anti-Europe de Marine Le Pen portent alors beaucoup mieux que le discours de responsabilité revendiqué par ses adversaires.
Pour remobiliser l’électorat populaire, les partis se de gouvernement ont bien quelques pistes communes. « Il faut retrouver la confiance avec un discours plus direct, plus spontané et plus transparent », avance la porte-parole socialiste Juliette Méadel, qui pousse également pour limiter à deux mandats successifs l’activité des élus. « Il faut redonner un sens à l’action politique, montrer qu’on n’est pas là que pour les grands discours », appuie Camille Bedin. Et chacune de pousser sa thématique de prédilection comme étant « au cœur des préoccupations des classes populaires » : « le logement et les transports » pour la socialiste, « l’éducation » pour l’élue UMP.
En droite ligne avec la direction d’EELV, Mounir Satouri leur répond « démocratie concrète » : « Il faut arrêter les logiques descendantes où on croit avoir les solutions pour les autres. Inventons des nouveaux modèles, donnons aux gens l’habitude de se mobiliser et offrons leur le maillage associatif pour comprendre quand et comment agir ». C’est également ce que Juliette Méadel veut défendre avec son association L’avenir n’attend pas. Les pistes existent. Encore faudra-t-il les creuser. Et il y a vraiment urgence, comme le rappelle Mounir Satouri : « Une fois que l’offre politique traditionnelle et le FN auront déçu, il ne restera plus rien ».
1 : « Je lancerai une nouvelle génération d’opérations de renouvellement urbain, je les complèterai par des actions de cohésion sociale en lien avec les collectivités et les associations, et je maintiendrai les services publics dans nos banlieues. J’augmenterai les moyens, notamment scolaires, dans les zones qui en ont le plus besoin et je rétablirai une présence régulière des services de police au contact des habitants. »
2 : Le point de rupture. Enquête sur les ressorts du vote FN en milieux populaires. Fondation Jean Jaurès. 2011.