
Anesthésiée, Mantes-la-Ville cohabite avec le FN

Historiquement à gauche, Mantes-la-Ville (Yvelines) est la seule commune d’Ile-de-France dirigée par le Front national depuis les élections municipales de 2014. Six mois après le naufrage du Parti socialiste, le choc de la victoire du FN s’est estompé.
La victoire du frontiste Cyril Nauth (30,26 % des suffrages) s’explique en premier lieu par la guerre ouverte entre ses deux adversaires socialistes, la maire sortante Monique Brochot (29,35 %) et Annette Peulvast-Bergeal, étiquetée divers gauche (25,29 %). En refusant de s’allier contre le Front national, elles ont offert la mairie à Cyril Nauth. A 32 ans, ce professeur de français et d’histoire-géographie dans un lycée de Porcheville n’en demandait pas tant. Encarté bleu marine depuis 2010, il est décrit comme un amateur. « On a à faire à un FN pas préparé qui fait profil bas pour ne pas provoquer de réactions de la part des habitants », analyse Romain Carbonne. Pour son acolyte Eric Jaouel, l’opposition est invisible et n’engage pas la vie citoyenne. Seul Saïd Benmouffok, numéro 2 de la liste PS sur la liste de Mme Brochot, est monté au créneau au lendemain des élections. Se posant en principal adversaire du FN, il a déposé un recours administratif contre l’élection de Cyril Nauth après avoir découvert « une centaine d’irrégularités dans les signatures sur les listes d’émargement. » Dans ce contexte chaotique, la victoire des frontistes résonne comme un découragement des Mantevillois qui « ne veulent plus se faire flouer ».
« La politique, j’y crois de moins en moins »
Sur la petite place du marché, un technicien métallo en pause déjeuner boit une bière avec deux collègues. Le 30 mars, il a voté sans avoir d’opinion sur les listes électorales. « Tous les partis font la même politique. A Mantes, les gens ne voient pas de changement et perdent leurs convictions. » Un point de vue partagé par Chebil Fatah, gérant d’un kebab, qui dit ne rien attendre du nouveau maire. « La politique, j’y crois de moins en moins. » Déçu par une gauche inactive, il préfère se concentrer sur le futur de son commerce.
Selon les habitants de la commune, le Front national n’a pas profondément changé leur quotidien. Le maire ayant gagné de justesse, la voix du FN est peu audible. Néanmoins, un dossier suscite toujours le débat, celui du blocage d’une nouvelle mosquée. En réaction à ce projet validé par la municipalité précédente, des manifestants, essentiellement des fidèles musulmans, se sont rassemblés devant l’hôtel de ville le 17 mai dernier. Mais pour beaucoup d’habitants, cette bataille ne suscite pas d’intérêt.
Pour le Collectif de Réflexion et d’Initiatives Citoyennes, le programme du Front national renforce l’individualisme en jouant notamment sur l’aspect sécuritaire ou en baissant les subventions des associations de 20 %. Samir Gambarou, président de l’association Urban Mediation, met en place des « grands frères » dans chaque quartier de la commune pour prévenir les éventuels dérapages entre les quartiers. Mantes-la-Ville reste en proie à des tensions entre les habitants des différentes cités, notamment depuis le 9 juin où un adolescent a été tué par arme à feu. « Le maire ne fait confiance qu’aux pouvoirs publics pour apaiser les liens sociaux entre les quartiers. Il n’a pas voulu financer notre association alors que justement nous voulons rapprocher toutes les communautés. De son côté, le CRIC tente de ranimer l’esprit collectif en instaurant de petites actions au sein de la ville. Cet été, par exemple, la municipalité a annulé le bal du 14 juillet pour des raisons de sécurité. Afin de célébrer la fête nationale avec les moyens dont il dispose, le Collectif a installé une scène ouverte où des musiciens amateurs se sont succédés toute la journée. Néanmoins, l’initiative du CRIC ne semble pas avoir un impact significatif auprès des Mantevillois. Déçus par les maires précédents, ils font part d’un sentiment de lassitude par une vie publique morose.
« Ceux qui s’en foutent n’ont pas d’idées »
A quelques minutes de la mairie, au-dessus du cimetière, culmine le quartier des Merisiers, classé zone de sécurité prioritaire depuis 2012. Le panorama n’offre pas grand chose à part quelques petites tours entre lesquelles émergent une placette bordée par des commerces de proximité. Un groupe de jeunes traîne devant un kebab. « Ici, personne ne s’intéresse à la politique. Les partis se bougent uniquement pendant les élections. Et le nouveau maire, il n’est pas venu nous voir. » L’un d’entre eux n’a pas voté car il est étranger. Parce que la politique ne lui apporte aucune réponse, il a interdit à son petit frère de se rendre aux urnes. « Tant que je touche mon RSA, le reste ne m’intéresse pas. » Marine ? Elle ne l’effraye pas. « Si on met les étrangers à la porte, la France coule. » Dramane, membre de l’association « Jeunes sans frontières » qui propose des activités aux jeunes, tempère ces propos. « Il faut voter, ceux qui s’en foutent n’ont pas d’idées. » Même s’il évoque rarement la politique auprès des jeunes qu’il accompagne, il les pousse à prendre leur carte électorale au moment des élections. « Le problème à Mantes, c’est que les politiques nous ont abandonnés. »