Abstention : Aulnay-sous-Bois, les raisons de la colère

La démolition de la barre du Galion, prévue par la mairie, a finalement été abandonnée. © Clémence Apetogbor
Le 13-10-2014
Par Clémence Apetogbor / CFPJ

À Aulnay-sous-Bois, cinquième ville économique de Seine-Saint-Denis, l’abstention a atteint les 43,43 % au second tour des municipales en mars dernier. Les habitants des quartiers populaires du nord de la ville se sont le moins déplacés. Manque de civisme, absence d’intérêt pour la politique ? Entre désillusion et amertume, les Aulnaysiens témoignent.

 

« Voter aux municipales ? Pour quoi faire ? » s’interroge Brandon, 24 ans, Aulnaysien depuis toujours. Dans cette ville de près de 82.000 habitants, le pic d’abstention a atteint les 43,43 % au second tour des dernières municipales. Parmi les Aulnaysiens qui ne se sont pas déplacés, ce graphiste des quartiers nord évoque un « désintérêt général ». « Pour moi les élections municipales ne servent à rien. Quelle que soit l’équipe en place, on ne constate aucun changement, affirme-t-il. Le jeune homme au physique de rugbyman, lunettes vissées sur le nez et barbe de trois jours, regrette notamment que la ville ne fasse pas plus pression sur la SNCF pour que les transports soient à l’heure et le trafic plus important. « Les problématiques restent toujours les mêmes », tranche Brandon, désabusé, pour tenter d’expliquer les chiffres de l’abstention.

Dans la troisième ville la plus peuplée du département, clivée entre les rues pavillonnaires du sud et les cités populaires du nord, cette exaspération va en s’amplifiant. Le socialiste Gérard Ségura, élu en 2008 avec 204 voix de plus que le candidat UMP de l’époque Gérard Gaudron, a cette fois été largement battu par Bruno Beschizza (UMP). Ce conseiller régional d’Île-de-France, secrétaire national et départemental du parti, s’est vu parachuter par Jean-François Copé dans l’espoir qu’il devienne une des étoiles montantes du parti en Seine-Saint-Denis.

 

 

Une gestion de la ville « autoritaire et clientéliste »

Le désenchantement évoqué par Brandon est partagé par Anissa depuis longtemps. Cette opératrice téléphonique de 24 ans n’a pas voté au premier tour et ne s’est pas non plus déplacée pour le second. « La ville est toujours scindée en deux », explique-t-elle entre deux bouffées de cigarette. Selon elle, la population du sud de la ville est la plus aisée et a accès aux commerces et aux transports sans difficultés. Au nord les habitants doivent composer avec des bus qui ne sont jamais à l’heure ou qui n’arrivent jamais. « Et si on appelle la police pour tapage nocturne à 3 heures du matin, elle nous dit qu'elle ne se déplacera pas parce que c'est un  ‘quartier chaud’ », jure-t-elle.

Catherine, elle, parle d’un véritable « ras-le-bol ». Cette fonctionnaire, professeur de chant et artiste plasticienne, pointe du doigt l’absence de Gérard Ségura auprès de ses concitoyens et dénonce la gestion « autoritaire et clientéliste » du maire socialiste sortant. « Il a fini par insupporter tout le monde. Il a bétonné la ville sans demander l’avis des habitants. Les immeubles sont trop hauts et surplombent les trottoirs. On étouffe ! » 

Cet autoritarisme, notamment perceptible dans la gestion des projets d’urbanisme, a été dénoncé par les sept élus écologistes de la ville qui ont quitté le conseil municipal en 2010. C’est un projet de construction de 24 logements sociaux dans la cité Arc-en-Ciel qui a cristallisé les tensions au sein de l’exécutif. Le projet, jugé trop dense par les Verts et les associations de quartier qui ont milité pour un immeuble plus modeste, a finalement été entériné.

 

 

L’abstention comme réponse à la désillusion ?

Assis sur un banc, Nadjib, étudiant en ressources humaines de 22 ans, balaie d’un revers de la main l’idée d’aller voter de nouveau. « Gauche, droite, ça ne change rien. », estime celui qui a voté pour François Hollande en 2012 et se dit « déçu ». « La mairie ne peut rien faire pour nous, assure-t-il, qualifiant la proximité que les élus tentent d’instaurer d’illusoire. Que ça soit pour la gauche ou pour la droite, on reste de simples habitants de banlieue. Les promesses qui nous sont faites ne sont jamais tenues. » La démolition de la longue barre du Galion, finalement abandonnée, fait partie des engagements que la mairie ne tiendra pas. « On a beaucoup vu Ségura pendant sa campagne quand il a eu besoin de nous et de nos voix, rappelle le jeune homme, mais où était-il quand nous avions besoin de lui ? »

De nombreux collectifs se sont ainsi créés pour témoigner du mécontentement des habitants et tenter de faire reculer l’exécutif sur certains projets d’urbanisme ou encore la fermeture de l’usine PSA. Aucun collectif n’a toutefois été monté pour remettre en cause l’action de la mairie dans sa globalité. Alain Boulanger, président du Comité aulnaysien de participation démocratique du sud (Capade sud), témoigne de la difficulté rencontrée par les représentants associatifs à se faire entendre. « Les conseils de quartier se sont transformés en réunion d’information sur les projets menés par la mairie alors que les décisions devaient être prises de manière collégiale. » Cet ancien conseiller municipal indépendant met en exergue le dysfonctionnement de la démocratie de proximité qui explique en partie la fracture entre la mairie et les habitants.

 

 

Une confiance en la classe politique en baisse

L’impopularité des gouvernants à l’échelle locale, nationale ou même européenne, est d’abord liée à l’absence de résultats de la politique menée, notamment en matière d’emploi, explique Henri Rey, directeur de recherches au CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po). « L’action des gouvernants n’est pas en rapport avec la réalité quotidienne des citoyens. C’est une explication qui semble bateau mais qui reste valide. » La multiplication des scandales, sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande, et les promesses non tenues entraînent une perte de repères, poursuit le chercheur. « Les gens finissent par se démobiliser. »

 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...