Mohamed Bensaada : « Il y a une soralisation des quartiers, comme il y a une lepénisation des classes moyennes »

Mohamed Bensaada lors d'une rencontre autour des quartiers populaires en 2012
Le 09-04-2014
Par Erwan Ruty

Le PS rêvait de ravir la mairie à l’inusable Gaudin (réélu à 42% des voix contre 31% au PS et 26% au FN). Il a été étrillé, y compris sur les arrondissements populaires où il régnait naguère (les 13 et 14ème, tombés aux mains du FN). Il conserve les terres de son égérie contestée, Samia Ghali. Retour sur une déroute marseillaise avec Mohamed Bensaada, du Collectif des quartiers populaires de Marseille.

 

Mohamed Ben Saada n’en est pas à son premier collectif : il était déjà l’un des responsables de Quartiers nords, quartiers forts. Inscrit sur les listes Front de gauche, c’est un militant dépité qui nous parle de l’ambiance locale… d’autant qu’il habite dans le quartier où le FN a remporté la mairie (dans la circonscription de Sylvie Andieux, députée PS condamnée à 100 000 euros d’amende, trois ans de prison et 5 ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics en 2013… et qui s’agrippe à son poste, tant que les recours ne sont pas tous épuisés). Un quartier très clivé entre grands ensembles et îlots pavillonnaires « villageois », où 68% des 15-25 ans ne sont pas diplômés et où le revenu moyen est de… 389 euros par mois (secteur dit du « Merlant »). Tout est dit.



 P&C : Les politiques de gauche paraissent-elles très différentes de celles de droite, pour les électeurs ?
MB : On sentait des choses bizarres, on savait que les zones villageoises votaient très à droite, et qu’on avait une sorte d’extrême-droite des quartiers. Par exemple, « le libre penseur » [Salim Laïbi, auteur d’un blog proche des thèses d’une Farida Belghoul, NDLR] était très actif avant la campagne. On a l’impression que tout le monde dormait, et que cela a réveillé les jeunes. Il y a une soralisation des quartiers, comme il y a une lepénisation des classes moyennes. Même si on est bien accueillis. A la base, les jeunes ont la même analyse que nous quand on discute avec eux… avant qu’ils ne dévient sur les Illuminati, le complot judéo-maçonnique etc... Je suis déboussolé. C’est un vote coup de boule.  On nous dit : « on souffre tous les jours, vous allez prendre ça dans la gueule ». Le « tous pourris », c’est tout le monde qui le dit maintenant, même à nous. On nous dit : « avec le mariage pour tous, vous êtes tous corrompus ! ». On a beau leur répondre qu’on est aussi musulmans, qu’il faut se battre pour l’égalité des droits, c’est devenu un gimmick. Pourtant, ils nous voient tous les jours, dans la mobilisation pour Hakim Hajimi [mort des suites de violences policières en 2008, NDLR], au moment de la manif du 1er juin [menée par des femmes et mères de famille suite aux multiples assassinats ayant eu lieu en 2012-2013 notamment, NDLR]... Mais on nous dit : « si tu veux discuter avec moi, dis-moi ce que tu as comme logement ou comme emploi ». Les campagnes à la papa, avec tracts, affiches, meetings, c’est fini, c’est plus dans l’air du temps. On nous dit qu’on n’est pas crédibles. Il faut faire de la vidéo. Même s’il y a un manque de sens, ça a un impact. Mais c’est parfois difficile de faire bouger certains camarades communistes là-dessus...


P&C : Comment rebondir ? Avec des listes différentes ?
MB : Dans toutes les listes, il y a des gens issus de l’immigration. Ca ne fait plus la différence, sauf quand on est très impliqué parfois. La liste Diouf, ça a un peu marché, 8% environ dans les 13 et 14ème arrondissements. Mais c’est tout, ailleurs, c'était 1 ou 2%.



P&C : Faut-il tout reprendre à zéro pour mobiliser, sur des sujets culturels, sur le sport ?
MB : Ca dépend de quelle culture on parle ! Stéphane Ravier [dorénavant maire FN des 13 et 14ème arrondissements, NDLR] prône la "culture provençale" ! Maintenant, le FN aura la gestion des centres sociaux et des centres de santé dans ces quartiers marseillais. La compagnie Mémoires vives [à l’origine de spectacles de théâtre / hip-hop, essentiellement, sur l’histoire coloniale et le multiculturalisme, NDLR], qui travaille avec beaucoup de jeunes comoriens, ne poursuit pas son projet, elle n’aura plus de salle. Si tu veux faire du slam, du rap etc, ça sera des mesquineries tous les jours. Pour les papiers, tu te vois demander un certificat d’hébergement à ta mairie d’arrondissement FN ? Et quel symbole : un secteur de plus de 150 000 habitants qui tombe au FN ! Les tensions vont encore se creuser entre zones villageoises et grands ensembles… La grande faillite des militants des quartiers populaires, c’est qu’on n’a pas su s’appuyer sur les bases de l’éducation populaire pour capter cette colère ; il faut recommencer tout ça à zéro, à la sortie de l’école. C’est l’Etat qui doit se poser la question du statut de ces quartiers, avec des budgets conséquents, du même ordre pour ces quartiers qu’ailleurs dans la culture...


 

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