Vague bleue sur vague à l’âme identitaire

Le 31-03-2014
Par Farid Mebarki

La défaite est cinglante. Après deux ans de « présidence normale », le Président de la République est sanctionné. Les quartiers populaires qui l’avaient plébiscité en 2012, ont massivement boudé les urnes, laissant notamment le Front National faire des percées historiques et confirmer son ancrage local ainsi que sa capacité à remobiliser des citoyens qui n’y croient plus.

 

Ces élections auront vu certains bastions de la gauche passer à droite comme Limoges, Tourcoing, Roubaix, Bobigny ou Saint-Ouen. Dans des communes où la réserve de voix en faveur de la droite est faible, les candidats de l’UMP, oubliant les sorties de Jean-François Copé sur les pains au chocolat, ont versé dans la séduction de l’électorat musulman. A Argenteuil ou Tourcoing, ils n’auront pas hésité à agiter le mariage pour tous ou la théorie du genre pour mobiliser ceux que la présidence de Nicolas Sarkozy avait érigés en boucs émissaires. A Aulnay-sous-Bois, le candidat UMP obtiendra même une vidéo de soutien surprenante d’un Saïd Taghmaoui déconnecté, teint halé par le soleil californien et Ray Ban de circonstance, annonçant son passage de la gauche à la droite.

 

Quartiers populaires sans boussole

Dans un contexte heurté où les repères basculent, les quartiers populaires sont sans boussole. La gauche, qui n’a jamais eu le monopole de l’électorat populaire, doit désormais faire le deuil d’une captation exclusive des voix des citoyens issus des outremers. Et même s’il est encore trop tôt pour le vérifier, le FN mord probablement aussi sur les voix des citoyens issus des immigrations. L’élection à la mairie du 7ème arrondissement de Marseille d’un candidat frontiste, ne saurait le contredire.

 

La social-démocratie récitée comme un mantra

Comment la gauche au gouvernement en est arrivée là ? Volontiers technocrate et consciente, finalement, que sa politique en matière économique et sociale qui se résume au naufrage de Florange, aux renoncements sur le droit du travail, au report de la grande réforme fiscale et aux pactes pour l’emploi ou la compétitivité qui ressemblent à s’y méprendre à ceux que la droite présentaient en son temps comme la panacée, la gauche aux affaires ne convainc pas et semble se barricader toujours davantage dans les certitudes d’une social-démocratie récitées comme des mantras. Pour marquer sa différence, ne restaient que ces fameuses questions sociétales que le FN laboure depuis maintenant 40 ans. Immigration, intégration, banlieues, citoyenneté, sexualité, mémoire, famille… Le discours frontiste et plus largement d’une majorité de la droite, est tranchant comme un coup de rasoir.

 

Nouvelle hégémonie culturelle de droite

La gauche, intimidée par cette nouvelle hégémonie culturelle boostée par l’internet et la libération d’une parole décomplexée jusque dans le débat public, a vite compris que son retour à l’Elysée n’allait pas se traduire par des actes irréversibles. Les avait-elle sérieusement envisagés ? Reniant ses promesses, elle a renvoyé le vote des immigrés aux calendes grecques, puis a dévitalisé toutes velléités d’intervention en matière de contrôle au faciès, pour terminer par ignorer l’apport des banlieues dans la construction du récit national en gardant le silence sur les 30 ans de la marche pour l’égalité et contre le racisme. Elle a bien essayé de rejouer les avancées de la gauche plurielle en arrachant la loi relative au mariage pour tous, mais la mobilisation qui a suivie l’a convaincue, dans une France métissée aux origines culturelles diversifiées où sévit la discrimination et la relégation des basanés, de ne rien faire et d’opter pour le consensus mou et la langue de bois. Ni les propositions nées du rapport Tuot, ni les éclairages de la Fondation Terra Nova, ne l’ont convaincu de sortir de son attitude coutumière face à la montée de la droite : se figer en attendant que la bourrasque passe ou pis, comme Manuel Valls, jouer du menton devant les caméras de télévision.

 

Selon que le sbanlieues votent ou s'abstiennent...

La bataille du courage est perdue et toute une partie de la gauche n’a plus de pensée sur ces sujets majeurs qui désormais font que l’on gagne ou que l’on perd une élection. Elle oscille entre l’évitement et la reprise catastrophique des saillies d’intellectuels germanopratins ayant le cœur à gauche mais l’indignation bien à droite. A quand la prise de conscience que ces banlieusards remuants qui crient dans le haut-parleur ou les interpellent, désormais votent… ou ne votent pas ? Et qu’à ce titre, ils sanctionnent, Nicolas Sarkozy (en 2012) ou la politique du gouvernement (en 2014). Si certains hommes politiques, tous bords confondus, les courtisent localement comme on mène une action honteuse, il est à regretter qu’au niveau national la gauche ne propose rien, ne reconnaisse rien.



En reconnaissant cet électorat comme le sien et en s’imposant de répondre à ses attentes, elle ne ferait pas que préempter des victoires électorales, elle reconquerrait son identité. Au moment où Germaine Tillion va entrer au Panthéon, il serait raisonnable que la gauche médite cette conclusion : « L'humiliation, cela ne s'oublie pas et risque toujours de se résoudre dans la violence ou la trahison » (Entretien à Télérama, avril 2008).

 

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