Elections municipales : attention, chutes de pierres à gauche

Attention chute de pierres à gauche sur tout le territoire
Le 25-03-2014
Par Erwan Ruty

Exercice de météorologie lapidaire, en quelques leçons de sortie des urnes post-premier tour, suite à des élections municipales qui électrisent la vie politico-médiatique : un 21 avril de plus ? Il est probable que cette menace n’effraie même plus ni les électeurs, ni les élus « de gouvernement »…

 

1-Au petit jeu de « sortez les sortants », il ne faut pas se laisser griser


La droite en particulier ne devrait pas pavoiser (pas plus que la gauche, quand la première subit une défaite cuisante). Car ce petit jeu de bascule semble assurer aux deux principaux partis de gouvernement leur retour cyclique aux affaires, et donc l’énergie qu’ils dépensent d’une élection à l’autre pour se concurrencer, quand bien même les politiques menées, en particulier localement, auraient parfois une air de conformisme (sauf peut-être en matière de logement). Mais les électeurs, eux, dans ce petit manège enchanté, comptent finalement assez peu, en tous cas guère plus que les joueurs de casino ou du PMU, puisqu’ils sont invités à remettre épisodiquement une pièce dans la machine (ou un bulletin dans l’urne) pour qu’elle continue à jouer. Pourvu qu’ils n’accèdent pas trop au champ de courses. Les électeurs vont donc un jour soit se lasser de voter, soit décider de voter pour faire turbuler le système qui les compte pour chair à élections.



2-National-populisme et front républicain, même maladie, selon la droite ?


Que la droite renvoie dos à dos le FN et la gauche, sous prétexte que cela induirait à faire croire à son électorat que les politiques des deux camps sont les mêmes est totalement ahurissant : cela oublie juste un détail d’importance. Le vote « front républicain » n’est pas un vote d’adhésion mais de barrage à un « camp » jugé dangereux, et même plus dangereux que toutes des divisions entre partis de gouvernement, puisqu’il menace l’ordre républicain et les valeurs cardinales qui fondent la cohésion sociale. Mais au vu des arguments électoralistes, cela compte sans doute pour peu. On atteint le comble lorsque Laurent Wauquiez pérore contre le « front républicain » : « Je ne vais vendre mon âme pour un bulletin de vote ». Voter pour la République, c’est perdre son âme. Ne pas faire barrage aux forces antirépublicaines, c’est la garder. Souvenons-nous longtemps de ce genre d’argumentaire munichois.



3- L’étonnement de la gauche face à la débâcle est étonnant


Un gouvernement qui a sciemment fait le choix de faire l’impasse sur les couches populaires, sauf à la marge, qui est convaincu que cette couches (comme le suggérait le rapport de Terra Nova avant les présidentielles) n’étaient plus acquises à la gauche, notamment lors d’élections intermédiaires, doit-il s’étonner que ces mêrmes couches populaires ne votent plus, voire votent à droite ou à l’extrême-droite ? C’est pourtant ce même pari de tactique électorale qui a justifié l’inaction absolue de la gauche à l’égard des quartiers depuis deux ans.



4-Le FN est-il un parti… de gauche ?!


A c’est à cet aune qu’on peut comprendre en quoi le FN (ou son rassemblement Bleu Marine) peut dorénavant se faire passer pour un parti… de gauche. Son programme officiel et une partie substantielle de ses électeurs, notamment dans les anciens territoires ouvriers du Nord et du Nord-Est sont bien de gauche. Cela paraît nouveau pour un parti qui était traditionnellement ultra-libéral (par anti-communisme surtout). Mais cela n’est pas nouveau au regard de ce que fut l’extrême-droite des années trente, si présente dans les classes populaires. Il n’est que voir les passerelles idéologiques jetées par Alain Soral et consorts, en son temps, porteuses d’une ligne ouvertement populiste (mais trop frontalement "nationale-socialiste" pour un parti qui a fait le pari d’une stratégie de « centrisation » à la MSI-Aleanza nationale de Gianfranco Fini, en Italie). Reste que, plus que jamais, le FN est le premier parti des ouvriers. N'oublions pas, enfin, c'est sous la pression des syndicats, et notamment de la CGT, dans les années trente encore, que tout un arsenal de lois que l'on pourrait aujourd'hui qualifier de "préférence nationale" ont été élaborées, croyant aider à résoudre la crise, et visant à "fermer" un certain nombre d'emplois aux étrangers. Ces lois sont encore en vigueur aujourd'hui, et elles interdisent l'accès à près de cinq millions de postes aux étrangers, et en éloignent indirectement leurs enfants.


5-Il ne faut sans doute pas attendre de « sursaut » anti-FN dans les banlieues métissées


Le FN s’est aussi standardisé dans l’esprit des électeurs de ces quartiers, comme ailleurs. Et la volonté anti-système (ou les stratégies d’exit, de sortie du jeu politique) y dominent dorénavant. Comme dans bien des villes, sur le modèle de la capitale nationale des banlieues, Saint-Denis, les taux d’abstention atteignent des sommets, et y resteront perchés : 58% dans cette ville ou à Fort-de-France, 60% à Roubaix, 62% à Vaulx-en-Velin… Avec de telles statistiques (et souvent une population étrangère ne votant pas), les maires de villes de plus de 100 000 habitants en arrivent à asseoir leur légitimité sur un électorat de 6 000 personnes… On se croirait à Athènes à l’époque de Périclès…. Au bras d’honneur que les partis politiques de gouvernement font chaque jour aux quartiers, ne répondront bientôt plus que des quenelles d’honneur, si rien n’est fait pour inverser la vapeur. Beau spectacle en perspective…



Enfin, last but not least, concernant la capacité des médias d’anticiper, de prévenir, de renouer le lien social et de recréer des liens entre ces différentes sphères, elle est égale à zéro ; et les sondages, principale grille de lecture nationale que bon nombre de politiques adoptent, semblent totalement déréalisés : une succession de mots et de chiffres sans incarnation. Mais après tout, ce qui intéresse les journalistes, ce sont les élus, pas les électeurs, divers, éloignés, incertains bref, compliqués. Alors que les élus sont si proches (socialement, culturellement) des faiseurs de presse. Quant aux enjeux souterrains qui sont à l'oeuvre dans les élections, mêmes municipales, on n'en parle même pas : le communisme municipal existe-t-il encore, et que signifie-t-il ? Y a-t-il une alternative écologiste locale au-delà de la théorie du produire et consommer local en "économie circulaire" ? Quelles sont les différences entre les politiques de droite et de gauche, à l'échelon des mairies ? Sur tous ces sujets, on avance donc dans le brouillard, et ce ne sont pas les sondages qui nous aideront. Quant aux,  journalistes ils sont plongés dans un microcosme hors-sol totalement déconnecté de la vie de la majorité des français. Il faudra sans doute encore quelques claques pour que le patient politicien sorte vraiment du coma, et avec lui son compère, l'homme de presse.
 

 

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