Gavroches de banlieue : les jeunes de banlieue en mode positif

Projection du film "Les gavroches de banlieue" à la CNHI le 14 mars
Le 18-03-2014
Par Erwan Ruty

Des jeunes de Sevran filmés au plus près de leur quotidien, dans une action de déconstruction des clichés sur les si médiatiques « jeunes de banlieue » : c’est ce que donne à voir Beaudour Allala, de l’association Regarde, j’existe, dans un documentaire touchant de vérité qui filme la jeunesse majoritaire : celle qui fait preuve de bon esprit. Retour sur une projection-débat du 14 mars à la CNHI.

 

« Le Gavroche est un rebelle, contrairement à ses parents », assure un intervenant présent dans le public lors de la présentation du film, à la Cité de l’immigration. Ce n’est pas totalement le cas des « gavroches » filmés par celle-ci pendant cinq mois, originaires du quartier de Rougemont à Sevran (Seine-Saint-Denis) : sur le logo de leur association, ils ont troqué le pistolet du Gavroche du tableau de Delacroix (« La liberté guidant le peuple »), par une gomme… « pour gommer les préjugés », assure Zakaria, l’un des fondateurs de l’association. Une gomme contre un gun, voilà qui fera plaisir à Vincent Peillon. Un objectif qui rappellera le fameux « Ouvrir une école, c’est fermer une prison », déjà proclamé par Victor Hugo, père créateur de Gavroche, avec un sens aigu de la punchline, digne d’un rappeur du 9-3. Et la réalisatrice de citer bien entendu le même Hugo dans son dossier de presse : « Si l'on demandait à la grande et énorme ville : Qui est Gavroche ? Elle répondrait : C'est mon petit. » Tel est bien l’enjeu : montrer que les gamins de banlieue sont avant tout les enfants de leur ville, de leur environnement.



Jeunes versus… jeunes ?


Les jeunes filmés ici sont donc plutôt du genre à convaincre leurs voisins les plus supposément empreints de clichés à leur égard, qu’ils sont des gentils. Pour ce faire, ils ont monté une association, filmé à l’arrache des parisiens sur ce qu’ils pensent d’eux, « les jeunes de banlieue », réalisé des ateliers d’écriture, aidé leurs petits frères et sœurs pour leurs devoirs et même été rencontrer leurs congénères du Perreux, petite ville bourgeoise du Val-de-Marne, un peu plus au sud… Un sud distant de quelques kilomètres qui paraît un autre monde, aux uns comme aux autres. Pourtant, à en croire l’une de ces gavroches : « Tout le monde devrait pouvoir vivre un peu en banlieue, on apprend plein de choses, il y a de l’échange. Il y a toujours des trucs à faire. Quand tu es en pavillon, tu as juste un arbre et deux chiens… » Une rencontre inter-ville qui semble en tous cas avoir ravi les deux parties. Et que filme Beaudour Allala, réunissant une grosse dizaine de jeunes pour l’occasion au centre culturel de Sevran, sa ville d’origine.



Une gageure ou un avantage : vouloir filmer le hors-champ

Le tout pour un objet filmique hybride, entre fiction (il y a un script) et documentaire (ce qui est au montage - encore provisoire - n’est pas ce qui était prévu dans le scénario, soulignant les vicissitudes du tournage…)
« Il y a des éléments, des échanges, qu’on a eu pendant les repérages, précise la réalisatrice. Et puis quand tu tournes, tu fais fasse à des obstacles. Il y a des tabous. La trame narrative s’est orientée différemment. » A fortiori quand on tourne dans une cité réputée pour être une plaque tournante de la drogue en Île-de-France. Le rôle des mères ainsi semble-t-il été déterminant dans la conduite du film, et pour le rendre possible. Du coup, nécessité faisant loi, on se retrouve à donner une certaine direction : « On a peu d’extérieurs pour l’instant. Mais grâce aux petites caméras des jeunes, on a pu filmer l’intime, on a investi les intérieurs. On a finalement été dans le hors-champ, ce que ne montrent pas les médias, qui restent extérieurs justement, de manière très conformiste. »



Identité nationale


Reste que les questions soulevées par le film demeurent souvent sans réponse. Que cela soit à l’occasion du micro-trottoir parisien sur « l’identité nationale », duquel ressort essentiellement un sympathique mais superficiel « on a chacun son identité, l’identité nationale est une invention ». Heureusement présent dans le public, l’historien Vincent Gay complète : « On pose beaucoup ces questions sur l’identité aux gens issus de l’immigration. Ca met une pression sur eux. C’est parfois un mur qui sert à ne pas poser d’autres questions. Déjà dans les années 80, on demandait à des « beurs » s’ils avaient des problèmes d’identité. Ils répondaient : « non, on a des problèmes de travail, avec la police, dans le quartier »… La gauche a perdu cette capacité à construire une identité, une fierté d’être, aux classes populaires. C’est d’autant plus fort que les médias portent très souvent un regard négatif sur elles… ». On se dira qu’être « armé jusqu’aux dents pour une quête identitaire », comme l’affirme l’intention du film, ne suffit pas pour obtenir toutes les réponses à des questions aussi vastes.


 
Où sont les hommes ?


Autre thématique qui reviendra beaucoup dans le débat, à la fois suite à une remarque du public et à l’un des objectifs du film : on ne voit pas d’hommes. Ni frères, ni pères. « Vacance du père », note la réalisatrice dès l’amorce du projet du film. Que des enfants, des ados et des femmes. « Ils n’ont pas souhaité témoigner », pour l'instant, regrette la réalisatrice, rendant compte d’une réalité objective : la disparition des hommes, et notamment des pères, de l’espace public, y compris associatif, dans les quartiers. « Cette rencontre permettra de raconter le passé migratoire ainsi que le fait colonial qui reste inscrit dans un bagage culturel commun à ces jeunes et semble, entre autres, à l’origine de leur construction identitaire » est-il ainsi écrit dans le dossier de presse. Mais là encore, le documentaire n’offre pas de réponses : ces scènes ne figurent pas au montage final. Notamment, le clash prévu entre des jeunes de la cité et un « chibani », sur le mode : « le slam ça ne nourrit pas son homme, et l’usine a fermé, alors tu ne peux pas nous donner de leçons sur ce qu’il faut faire de notre vie ». Moyenne en quoi, symbole de cette défaite des pères, l’une des figures du film, Zakaria, plutôt qu’un dialogue inabouti avec son père, sera incité par sa mère à filmer la cuisine et les « projets culinaires » de celle-ci, et voudra ouvrir un salon de thé - café chicha, puis un camion de vente à emporter…



Des mères pragmatiques ?


Thierry Trémine, psychologue aussi présent dans le public, fournit une explication possible : « La fonction symbolique du père est en train de disparaître. Les femmes ne sont plus obligées de porter le nom de leur mari, cette garantie du nom et de la descendance, de la filiation, n’est plus. Et puis, il faut dire que traditionnellement, on avait la certitude que la situation des enfants serait meilleure que celle des parents. Ce n’est plus le cas. Parfois, ça créé une culpabilité que les pères ont du mal à assumer. Dans cet ordre, les mères apparaissent comme très pragmatiques ». Ce sont elles qui « gèrent ». En particulier celles qu’on voit dans ce film, et dont beaucoup sont actives dans l’association Solidarité Rougemont… elle-même pourtant en situation de survie faute de moyens.



On l’aura compris : « Les gavroches de banlieue » embrassent de très larges débats, et posent une kyrielle de questions existentielles. Qui pourra y répondre ? Amin Maalouf, peut-être, que Beaudour Allala cite : « Ces jeunes, soit, on en fait des traits d’union entre les mondes, soit on en fera un jour, une zone frontalière de confrontation ».
 

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