Deux semaines de marathon pour l’anniversaire d’une Marche

La minimarche du 07 décembre 2013 dans l'Est parisien
Le 04-02-2014
Par Erwan Ruty

Il semble que la sortie du film de Nabil Ben Yadir, La Marche, ait donné le top départ d’un long cycle commémoratif du côté des militants de la mémoire des quartiers. Mais aussi, du côté des médias. Et pourtant… la mayonnaise n’a pas pris. Flop commercial côté cinéma, archi-flop civique du côté des associations, black out institutionnel… Récit d’un rendez-vous raté… sauf localement.
 

 

24 novembre, Montpellier, chez Kaïna TV


La salle du centre social de la Mosson bruisse pendant 3 jours de la présence de marcheurs/marcheuses, d’habitants, de militants associatifs ; un film sur la mini-Marche de Montpellier, le 24 novembre 1983 est diffusé, produit par l’association Kaïna, bien implantée aux pieds des barres de la Paillade. Pas mal de jeunes du quartier s’impliquent dans l’événement. Les débats se poursuivent même hors les murs, jusque dans les bars voisins, avec la présence de la Caravane de la mémoire d’Ac Le feu. Emmenée par Saliha Amara, la troupe Kahina et Cie (créée en 1975), joue la pièce « Responsables mais pas coupables ». La salle est comble, tout le quartier est venu en famille pour clore ce marathon mémoriel aux débats intenses, mais à l’accueil des plus chaleureux par l’extraordinaire petite équipe de Kaïna TV.



27 novembre, Palais de la Mutualité, Paris, meeting du PS en soutien à Christiane Taubira


Que faire ? Rien. Que dire ? Des mots. Telle pourrait être la devise du Parti socialiste en matière d’antiracisme. Un joli clip avec les grands moments de l’histoire de France, cent ans de combats républicain (et parfois de honteuses débâcles). Une cohorte de ministres qui vient faire amende honorable à la Garde des Sceaux, pour rompre enfin son trop long silence. 18 caméras de télévision, mais pas de « grande et belle voix ». Harlem Désir, qui a oublié depuis longtemps que 30 ans plus tôt, il lançait SOS Racisme, ne dit rien de son parcours ni de celui du parti qu’il dirige, sur ces questions. Amnésie, mère de tous les drames à venir.



28 novembre, à Paris, projection du documentaire de Rokhaya Diallo


Ce soir-là, au Comptoir général, un bar bobo de la capitale, le film « Les marches de la liberté » met en parallèle la marche pour les droits civiques de Washington de 1963, et celle pour l’égalité de 1983. En interrogeant surtout les jeunes de part et d’autres de l’Atlantique. La salle, comble, est très métissée (on peut noter en particulier la présence de beaucoup de jeunes Noirs, phénomène d’autant plus notable que ces derniers furent les grands absents de la Marche de 1983)… Ambiance festive et légère dans cette soirée à laquelle participe notamment Toumi Djaïdja et Hassan Ben Mohamed, frère d’un jeune marseillais assassiné par un CRS, au début des années 80 (Presse & Cité, partenaire de l’événement, diffuse un diaporama de son concours « Tape l’affiche », dédié à la représentation visuelle, en 2013, de l’événement de 1983)



30 novembre, « grande » marche contre le racisme


Les parisiens, à l’appel des organisations anti-racistes traditionnelles, font un tour de chauffe entre République et Bastille, pour condamner la montée du racisme et les attaques dont a été victime Christiane Taubira. 10 000 personnes environ. Faut-il attendre qu’un Le Pen arrive au second tour d’une élection présidentielle pour être un million dans la rue ?



01er décembre, Paris, Palais du Sénat, colloque « Histoires croisées France/Maghreb » avec Pascal Blanchard


Le gratin des marcheurs, des chercheurs et des journalistes attend le discours de Christiane Taubira, qui aurait d’autant pu être l’icône de cet anniversaire qu’elle a été la cible de la résurgence du racisme le plus moisi. Celui-là fera date pour les personne présentes, mais s’achèvera sur un triste « Nous avons raté ce rendez-vous ». On se consolera avec la qualité des intervenants et des expositions de l’Achac.



03 décembre, jour du 30ème anniversaire, Paris, Place Montparnasse


« Nous partîmes 100 000 en 1983, et sans aucun renfort, arrivâmes 16 en 2013 », aurait pu dire Corneille s’il était venu ce soir-là devant la gare Montparnasse. Heureusement, Edwy Plenel, directeur de Médiapart, était présent : il avait appelé à se rappeler. Du coup, France3 était là pour un direct, ainsi que Canal +, BFM, M6... Si vous voulez que votre anniversaire passe en direct à la télé, invitez Plenel. Les militants qui tenaient, transis, la banderole « Egalité des droits, justice pour tous » dans le froid mordant étaient satisfaits, du coup. Une bonne centaine d’organisation de gauche radicale étaient signataires de cet appel à la mobilisation, qui se télescopait avec une autre manif (un tout petit peu moins) anonyme, à la Goutte d’Or, 4 jours plus tard, pour le même motif. Misère de la gauche au XXIème siècle : ça mobilisait plus à l’époque du Cid, mais il est vrai que c’était contre les Sarrazins !



06 décembre, Bondy (93), cinéma André-Malraux, projection-débat autour du film « La Marche »


L’immense salle de cinéma est quasi déserte. Une quarantaine de bondynois sont tout de même venus discuter, alors que l’équipe du film s’est faite porter pâle. En cause : un flop en terme d’affluence pour ce film, sur toute la France. Une semaine après sa sortie, on compte 126 000 spectateurs, pour environ 500 copies. Un échec à peine compréhensible, compte tenu du battage médiatique intense. Mais un signe du peu d’engouement pour cette page de l’histoire de France, et du peu d’empressement que les élites française, gouvernement compris, ont mis à lui apporter quelque relief. « La Marche » ne sera pas à Hollande ce que « Indigènes » a été pour Chirac, l’outil d’une prise de conscience nationale. A président timoré, résultat lamentable.



07 et 08 décembre, Paris, La Belleviloise, « Ceux qui marchent encore »


Le ghota de la gauche radicale des banlieues se réunit dans cette salle devenue en quelques années le haut lieu de la contestation parisienne, pour entendre la voix des oubliés de la Marche. Débats intenses, dizaines d’intervenants, spectacle musical (Casey, Rachid Taha…), projection de film (« Les marcheurs, chronique des années beurs »), théâtre (« Et puis nous passions le pantalon français »). On notera notamment la remarquable exposition en 20 panneaux iconographiquement magnifiques, narrant 30 ans de combats dans les banlieues, avec les mots de ceux justement qui ont mené ces combats (exposition réalisée par la jeune association « L’écho des cités », issue du Mib et du FSQP, et par le Tactikollectif de la famille Amokrane –Zebda- ansi que l’association Remebeur, portée par Ali Guessoum de l’agence Sans blanc). Un objet qui est une première en 30 ans de mémoire militante et qui circulera, on l’espère… Au revoir, et à dans 10 ans : le 40ème anniversaire sera un succès, n’en doutons pas.
 
 

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