
Ceuta, un purgatoire du XXIème siècle ?

Une caméra suit Guy de dos. Il va laver des voitures sur un parking ensoleillé. On lui parle en espagnol, il ne parle que français, mal. Guy est l’un de cette poignée de jeunes hommes que suivent les réalisateurs Jonathan Millet et Loïc Rechi dans leur errance entre deux mondes : dans une de ces enclaves espagnole au Maroc nommée Ceuta.
Cet eldorado européen rêvé, on l’aperçoit par temps clair de l’autre côté du détroit de Gibraltar. Quant au monde quitté, ils sont en contact régulier avec lui par le biais du téléphone portable, l’un de leur plus gros poste de dépense, pour rester si peu que ce soit en lien avec la lointaine famille.
Cet entre-deux mondes d’errance est une sorte de sas du limes de la fortress europa où viennent s’échouer tant de migrants essentiellement africains, et où ils semblent patienter indéfiniment, en proie à un arbitraire qui leur reste aussi étranger que celui qui opprime le K du Procès de Kafka. Un entre-deux mondes sans temporalité, comme suspendu, avec ses propres petits jobs et ses relations dominant-dominé spécifiques avec les citoyens espagnols de la ville. Les immigrants semblent se fondre dans le quotidien de ces européens, spectateurs-participants de ce petit théâtre d’ombres en plein soleil méditerranéen. Sans trop de haine ni trop de désespoir d’ailleurs – bien au contraire, puisque l’espoir est juste là, à portée de main. Seulement une forme de dépit, de lassitude, comme si les mille et unes aventures vécues par eux avaient anesthésié de ces migrants, désabusés mais pas pour autant abattus car trop désirants, que filment les deux documentaristes.
Ces derniers sont parvenus à réaliser une œuvre d’une très grande humanité, qui donne chair et corps à des êtres dont on n’entend habituellement parler que de deux manières très réductrices : statistique (le JT de 20 heures) ou misérabiliste et souffrante (Envoyé spécial).