Minguettes 83, paroles de flic et jeunes en galère

Le quartier des Minguettes, à Vénissieux
Le 27-12-2013
Par Matthieu Delacharlery/CFPJ

 

Violences policières, crimes racistes, rébellions urbaines... Peu après l’élection présidentielle en 1981, les émeutes de la cité des Minguettes à Vénissieux accélèrent la prise de conscience de la « crise des banlieues ». Retour sur ces événements à travers la parole de flics.

 

 

« J'avais pris la défense du policier qui avait tiré sur Toumi Djaidja (l'initiateur de la Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983, ndlr), se souvient Bernard Grasset, l'ancien patron des flics lyonnais de 1981 à 1984. Il avait fait usage de son arme en légitime défense, c'est pourquoi il n'a pas été inquiété par la justice. A l'époque, le jeune Toumi n'était pas le saint qu'il est devenu aujourd'hui » juge ce serviteur de l'Etat. Le 20 juin 1983, dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux ce jeune français d'origine algérienne, porte secours à un adolescent attaqué par un chien de la police. Quand il se retourne, un policier braque une arme sur lui. Le coup de feu part, le blessant gravement au ventre.

 

Un peu partout en France, les crimes racistes et les déviances policières explosent entre 1979 et 1983, sur fond d’affrontements incessants entre force de l'ordre et jeunes de banlieue. Dès 1979, les premières émeutes éclatent dans le quartier de la Grappinière à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue est de Lyon. Aux Minguettes, à Vénissieux, plus de 200 voitures sont incendiées durant l’été 1981. Surnommé « l'été chaud », c'est la première fois qu'une émeute en banlieue est retransmise en direct au journal de 20 heures. Les Français découvrent l'état d'abandon de ces quartiers modernes, désertés par les classes moyennes, prémisses de la « crise des banlieues ».

 

« ON DONNAIT AUX POLICIERS UN PERMIS DE TUER »

 

C’est dans ce contexte qu’au printemps 1983, en réaction à de nouvelles violences policières, des jeunes des Minguettes organisent une grève de la faim et créent l'association SOS Avenir Minguettes, dont le président n'est autre que Toumi Djaïdja, l'initiateur de la Marche de 83. Ils revendiquent l’arrêt des violences policières, ainsi que la reconnaissance des crimes racistes. Selon l'historien Emmanuel Blanchard, spécialiste de l'histoire des polices françaises, ce qui était dénoncé par les marcheurs de 83, ce n'est pas tant les déviances policières, mais surtout l'impunité des auteurs des crimes racistes face à la justice. « On donnait aux auteurs de crimes racistes un permis de tuer, dans le sens où les peines prononcées à leur encontre, ne dépassaient pas quelques années, même pour un meurtre. »

 

A l'époque, le préfet de police Bernard Grasset n'hésite pas à dénoncer l'attitude de « voyou » de certains policiers, après de nouveaux affrontements dans le quartier des Minguettes. C'est la première fois qu'un haut fonctionnaire reconnaît publiquement les déviances policières. « Les jeunes du quartier étaient livrés à eux-mêmes et sans la moindre perspective d'avenir, reconnaît aujourd'hui Bernard Grasset, l'ancien préfet de police. C'était un appel au secours. On n’aurait jamais dû construire les Minguettes, c'était une grave erreur. » D'après lui, les jeunes du quartier avaient le sentiment d’être exclus : « Il n'y avait aucune structure sociale pour les aider à s’insérer. Pas de moyen de transport pour aller à Lyon. Les commerces fermaient les uns après les autres, à cause des dégradations. Les habitants quittaient le quartier par centaine. Il n'y avait plus que la police qui se rendait dans le quartier. C'était devenu intolérable. »

 

« Les policiers étaient sous pression en permanence »

 

Ce qui n'empêche pas l'ancien préfet de dénoncer aujourd'hui le « procès injuste » qui était fait à la police,à l'époque : « Quand j'ai pris mes fonctions, on assistait à une explosion de la criminalité dans l'agglomération lyonnaise. Les policiers étaient sous pression en permanence. Il y avait le gang des Lyonnais, les attentats d'Action directe... Des flics se faisaient assassiner. » Chez les policiers lyonnais, personne n’a oublié ces événements : « Un sentiment d’impuissance régnait dans la police. Ils étaient en permanence accusés d'actes racistes, alors qu'ils ne faisaient que leur métier. Quand les policiers se rendaient aux Minguettes ils étaient insultés, caillassés », rapporte Thierry Clerc, porte-parole du syndicat Unsa Police.

 

Entre 81 et 83, un climat d'insécurité s'installe dans le quartier des Minguettes, et les descentes des forces de l'ordre se multiplient. « C’était de la délinquance ludique, pour des faits mineur : petits vols, casses, dégradation, problèmes de voisinage, souligne l’ancien préfet de police. Cela n'avait rien à voir avec la délinquance d'aujourd'hui. Il n'y avait pas de trafic de drogue, de problèmes religieux... » C'est pour tenter d'apaiser les tensions qu'émerge en 1982 le dispositif « anti été chaud », sous l'impulsion du ministre de l'Intérieur Gaston Deferre (81-84). « Un an avant la Marche, un camp d'été avec des jeunes du quartier des Minguettes avait été organisé en Ardèche, se rappelle Roberet Belleret, ancien faits-diversier au Progrès de Lyon. Defferre était arrivé en hélicoptère, accueilli comme un père Noël. Au lieu de faire de la répression, on va faire de la prévention, l'idée c'était d'aider ces jeunes à sortir de leur quartier.  »

 

Déjà en 81, les banlieues étaient stigmatisées, reprend Robert Belleret : « On en parlait très peu dans les journaux, ou de façon négative. Pour la presse, les flics c'étaient les gentils, et les jeunes les voyous. Ce qui n'est pas étonnant, puisque la police était la principale source des journalistes. » Il se souvient très bien de l'atmosphère qui régnait au sein des commissariats de police dans les années 80 : « Gris, bougnoule, raton... il y avait du racisme ordinaire chez certains policiers. Parmi eux, il y avait des anciens rapatriés d'Algérie, des nostalgiques de l'Algérie française qui menaient une guerre sourde. Ce n'était pas la majorité des policiers, mais c'était tabou d'en parler. »

 

AVANT 86, AUCUN CODE DE DÉONTOLOGIE DANS LA POLICE

 

En 2009, Toumi Djaidja raconte lors d'un entretien accordé au sociologue Abdellali Hajjat que « les policiers tiraient très facilement car ils savaient qu'ils pouvaient faire justice eux-mêmes et qu'ils allaient être couverts par la loi. » Une version que conteste l'ancien préfet de police de Lyon : « Certains policiers, il faut l'avouer, avaient la gâchette facile. Mais je n’ai jamais eu le sentiment qu’il y ait eu deux poids deux mesures dans les décisions de justice. Leur mission était de maintenir l’ordre, et la grande majorité le faisait dans le respect de la loi. En cas de bavure, il était immédiatement sanctionné. »

 

Dès son arrivée au pouvoir, la gauche engage pourtant sous l'impulsion de Gaston Defferre, le ministre de l'intérieur de l'époque, un vaste programme de modernisation de la police nationale française. La Direction de la formation des personnels de police est créée en décembre 81 avec pour objectif d'améliorer le recrutement et la formation des gardiens de la paix. « Avant 1986, il n'y a aucun code de déontologie au sein de la police nationale française, relève Christian Mouhanna, sociologue au CNRS, spécialiste de la police. L'IGPN, bien quelle existait déjà, va également être renforcée. Au cours de la fin des années 80, puis dans les années 90, il y a une volonté de renforcer toutes les instances de contrôle de la police nationale française. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les déviances vont disparaître. »

 

« Dans les années 80, il y avait une forme de laxisme face aux actes racistes, reconnaît Philippe Capon, secrétaire général de l'Unsa Police, un syndicat policier de gauche. La loi s'est durcie depuis, et ils sont aujourd'hui beaucoup plus sévèrement réprimés. Et c'est une bonne chose. » Et d'ajouter : « Aujourd'hui, entre les associations, la presse, le défenseur des droits, la Cour européenne des droits de l'homme, les policiers passent leur temps à rendre des comptes. C'est devenu le métier le plus contrôlé de la fonction publique. »

 

La Marche a abouti en effet à un net recul des crimes racistes. Dans les années 1980, le ministère de l’Intérieur avait recensé des violences sans précédent : 225 blessés (dont 187 Maghrébins) et 24 morts (dont 22 Maghrébins). Les peines prononcées pour crime raciste se sont considérablement alourdies. Et cela, dès le jugement de l’affaire Habib Grimzi, un jeune Algérien défenestré du train Bordeaux-Vintimille, le 23 novembre 1983, en pleine Marche pour l'égalité et contre le racisme. Deux des trois auteurs du crime, apprentis militaires, avaient été condamnés à la prison à perpétuité.

 

 

 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...