La Marche, bientôt enseignée à l’école ?

Une classe en plein cours dans une bibliothèque (Copyright Wikimédia Korido)
Le 07-01-2014
Par Assia Hamdi / CFPJ

Avec la commémoration de la Marche, la question de la transmission de l’événement aux jeunes générations est centrale. Seul un jeune adulte sur dix a déjà entendu parler de la mobilisation. Sera t-elle un jour enseignée à l’école ?

 

Trente ans après, la mobilisation des jeunes des Minguettes pour l’égalité et contre le racisme a disparu de la mémoire collective. D’après un sondage de la Licra réalisé par l’Institut Opinion Way, 83% des Français citent l’école comme acteur le plus influent pour la lutte contre le racisme. Selon le même sondage, seuls 19% des Français et 10% des 18-24 ans ont déjà entendu parler de la Marche pour l’égalité de 1983, dite « Marche des Beurs ».
 

Pourquoi la Marche n’est pas enseignée

Plusieurs facteurs expliquent l’absence de la Marche dans l’enseignement au lycée. Les professeurs sont contraints par la lourdeur des programmes et de la seconde à la terminale, on voyage de l’Antiquité au XXe siècle. Les textes officiels privilégient donc les événements les plus marquants de l’Histoire, même pour les années 80 que les jeunes lycéens n’ont pas connues. « Quand je montre une photo de Mitterrand à mes élèves, ils ne savent pas qui c’est, regrette Nathalie Giniès, professeur d’histoire-géo à Lattes (Hérault).

Si les professeurs connaissent la Marche, l’initiative ne les a pas toujours marqué. « En 1983, j’étais au collège. Je m’intéressais déjà à l’actualité, mais je me souviens à peine de cet événement », poursuit Nathalie Giniès. Fin novembre, le temps d’une demi-journée, le rectorat de Créteil et le Musée de l’Histoire de l’Immigration ont formé une soixantaine d’enseignants du second degré à la Marche et à son contexte. « L’événement fait partie de l’Histoire très proche. Il faut prendre beaucoup de précautions quand on en parle », explique Adèle Momméja, doctorante en sociologie de l’immigration à l’Université Paris-Ouest. Les historiens ont travaillé sur la mobilisation, mais pas encore suffisamment. La proximité temporelle complique donc les choses pour les professeurs.
 

L’immigration écrit son histoire

« Depuis quelques années, au collège et au lycée, le programme prend davantage en compte les thématiques de l’immigration, explique Benoit Falaize, historien et professeur agrégé d’histoire à Cergy. Il y a eu une sensibilisation du corps enseignant sur ces questions. » Actuellement, au lycée, le programme d’éducation civique comporte quatre thèmes dont un facultatif, celui sur l’engagement politique et social. Le programme précise que ce thème peut être étudié via l’analyse d’un fait d’actualité, le déroulement d’un débat politique, d’un conflit social ou d’une mobilisation citoyenne. « C’est donc dans ce cadre que la Marche pourrait être enseignée », imagine Nathalie Giniès. Elle serait un reflet de la société face à des problématiques rencontrées. »

Mais si un professeur parle de la Marche dans son cours, il ne peut pas juste la relater. « Les professeurs doivent évoquer la recevabilité du mouvement, les revendications de l’époque et le contexte politique », insiste Adèle Momméja. Pour Benoît Falaize, la Marche peut-être citée lors de l’étude de l’évolution sociale et économique de la société française. C’est dans ce chapitre du programme de première qu’Antoine Tresgots, professeur d’histoire-géo à Montargis (Loiret), a utilisé la mobilisation de 1983 comme « exemple de volonté d’intégration ». Dans ce contexte, Yvan Gastaut, historien et maître de conférence à l’université de Nice, estime qu’il est nécessaire d’insister sur l’importance de la Marche et de la victoire de la France à la Coupe du Monde de football 1998 dans la thématique de l’intégration. Pour Marilaure Mahé, ancienne marcheuse et psychopédagogue, l’enseignement du mouvement de 1983 doit être « accompagné de témoignages de marcheurs ». Reste une part qu’on ne peut pas déterminer : la liberté pédagogique. Comme l’explique Benoît Falaize, « ce sont les professeurs qui choisissent les exemples. » Ceux qui ont été sensibilisés  par la Marche la choisiront. Les autres, non.
 

Des initiatives pédagogiques

C’est en dehors de l’Education nationale que l’on retrouve les initiatives pédagogiques les plus marquantes. Le département Education du Musée de l’Histoire de l’Immigration a réalisé une fiche pédagogique composée d’exercices de réflexion autour de la Marche. Par ailleurs, au moment de la promotion du film « La Marche » de Nabil Ben Yadir, fiction qui s’inspire de la mobilisation de 1983, l’équipe a contacté le ministère de l’Education nationale pour discuter de l’intégration de la Marche dans les manuels scolaires. « Malheureusement, il aurait fallu travailler sur la question depuis deux ans déjà. Les délais ne collaient pas », regrette Philippe Martin, responsable partenariats chez EuropaCorp, la société de Luc Besson qui coproduit le film. EuropaCorp admet ne pas avoir l’habitude de travailler autour de films à vocation scolaire mais « poursuivra le travail pédagogique après la sortie du film », avec un dossier de 44 pages transmis par le Conseil Général de Seine Saint-Denis aux principaux et proviseurs du département. Selon Yvan Gastaut, le film peut attirer les jeunes par son casting et servir de relais pédagogique, mais « l’enjeu sera de dépasser la médiatisation et de ne pas tout ranger au placard une fois que la commémoration sera terminée. »
 
 

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