
Qui veut la peau des assos ? Episode 2 : Fédération des Maisons des potes

Samuel Thomas, directeur de la Fédération nationale des Maisons des potes (et ancien vice-président de SOS Racisme), peut être considéré comme un responsable historique du milieu associatif impliqué en banlieue. Depuis les années 80, et à ce titre, plus que proche du PS. Pourtant, il ne mâche pas ses mots sur la situation dans laquelle est laissé le milieu associatif.
P&C : La situation des associations de banlieue a-t-elle changé depuis un an qu’un nouvelle majorité est arrivée aux affaires ?
ST : Les différents ministres prétendent qu’on a fait plus pour ceux qui ont moins. C’est faux, c’est l’inverse, dans l’éducation, dans les médias ou dans la culture… Il y a aussi une politique qui consiste à transformer des associations locales en centres sociaux pour casser les contestataires, comme avec la maison des potes de Narbonne. Et puis maintenant, c’est le rythme de travail de l’administration qui dicte ses choix au politique ! Par exemple : il faut déposer ses dossiers de financement entre telle et telle date. C’est une technique inventée pour donner moins d’argent. Celui qui est capable de présenter un budget en octobre pour l’année d’après, c’est celui qui est là depuis longtemps. Ca demande aux associations de fonctionner comme l’Etat. Il faudrait plutôt aider les associations à être plus efficaces et plus inventives. Sous la droite comme sous la gauche, c’est la même politique : on a laminé les associations qui venaient en soutien aux immigrés au profit de nouvelles structures « techniciennes », incapables de critiquer les choix politiques nationaux.
P&C : Vous travaillez beaucoup sur la question des discriminations à l’emploi. Sur ce dossier, quelle est la situation ?
ST : En matière de discriminations, on en est à environ cent procédures devant les tribunaux (beaucoup sur le logement ou la consommation : banques, commerces…). Il y a des crédits pour lutter contre les discriminations, localement, dans les départements notamment. Mais il y a un refus de financement local : on nous fait comprendre qu’il ne faut pas parler de discriminations dans le logement, ni faire de testings, et préférer la négociation. En plus, on nous demande de travailler sur les 18 critères de discrimination, sinon, on se fait traiter d’extrémistes ! Il faudrait une circulaire aux Préfets pour leur dire d’aider financièrement les associations. L’association des maires de France devrait y aider. C’est pas aux Préfets d’apprécier qui aider, ils doivent exécuter les politiques. En matière de discriminations, la gauche n’a rien changé, sauf grâce à l’Acsé. Mais partout ailleurs, à la région Île-de-France, au CG93, les actions ont quasiment disparu, sauf pour financer des cabinets d’étude… La lutte contre les discriminations, c’est pas la diversité ! C’est pas tout le monde il est beau, tout le monde il est différent ! C’est plus conflictuel ! Au lycée de Pavillons-sous-bois, on nous dit : « Aidez-nous à placer des jeunes en stage dans les entreprises, mais surtout, ne parlez pas de discriminations ».
P&C : Sur les stages, justement, vous menez une action phare depuis plusieurs années. Où en est-on ?
ST : Cette action devait être prioritaire, disaient nos financeurs. Or la somme qu’on nous donne a été baissée de 70% depuis un an ! Quand on a lancé SOS Stages avec le ministère de la Jeunesse et des sports, de l’Education nationale, on avait eu deux fois 30 000 euros en 2 ans. Maintenant, c’est 8000 euros ! Et pourtant, ils n’ont pas critiqué notre travail, notre efficacité ou notre « productivité » ! Ce sont de simples économies. On nous a alors dit : « on ne veut plus financer les associations nationales mais les locales. Demandez de l’argent localement » aux préfectures, aux municipalités… Mais nous on s’attaque à un système national ! A l’Education nationale qui sacrifie les Zus de manière tellement radicale que c’est même dit dans ses propres rapports, on y parle des lycées repoussoirs où l’on n’arrive pas à trouver des professeurs qui restent et garantissent un réseau stable capable de créer une contractualisation avec les entreprises pour fournir des stages aux élèves. Au lycée de Pau, les profs c’est 50% de vacataires… Or il n’y a aucun système de compensation. Nous, on essaie de créer ce système. On créé des liens pérennes via notre structure, entre lycées et entreprises. On nous dit : « Redéployez vos moyens ! » Et au local, en Préfecture, on nous dit : « Il n’y a plus de financement en 2012, ni en 2013 ». J’ai écrit à 30 Préfets en 2012 pour obtenir un soutien pour notre action sur les stages : 100% de réponses négatives ! Les raisons de ces refus sont toujours techniques !
P&C : Pourtant, il y a quand même un volontarisme politique, sur les emplois aidés par exemple, non ?
ST : Les emplois d’avenir font un carton en milieu rural, dans la Drôme par exemple. Mais dans les grandes villes, ça ne marche pas. Quand la Ligue de l’Enseignement s’engage sur un volume certain d’emplois issus des quartiers pour ses centres de vacances et de loisirs (30%), elle échoue : ils en sont à 10% la première année ; pourtant, dans les quartiers, on accepte des emplois d’avenir qui ont jusqu’à Bac +3. On dit « les jeunes des quartiers sont inemployables » ; ça veut dire quoi ? Que parce qu’on n’a pas fait d’études on n’est pas employable ? Avant, on ne disait pas que ceux qui travaillaient sur les chantiers et apprenaient sur le tas étaient inemployables ! La vraie question est : qu’est-ce que la société est prête à faire pour transmettre un métier à un jeune en l’employant… ? Le problème est plutôt que le milieu associatif n’a plus les reins assez solides pour employer des encadrants, tellement il a subi de tracasseries administratives et de baisses de financements. Sur les 300 000 emplois jeunes prévus, déjà, le milieu associatif n’en avait embauché que 9000 [à la fin des années 90, ndlr]. Alors qu’il était dans une bien meilleure situation ! L’Etat, pas plus que l’Acsé ou la DIV, n’a même pas fait le recensement des associations qui pourraient embaucher. Les associations qui demandent de l’argent au Préfet devraient être répertoriées, et incitées à embaucher des emplois d’avenir. Mais l’Etat ne sait même plus comment mettre en place une politique nationale quelle qu’elle soit... On est entre 2500 et 5000 emplois d’avenir dans les quartiers, contre 50 000 prévus par Michel Sapin. Pourtant, c’était le dispositif le plus soutenu par les élus, qui se souvenaient que les emplois jeunes avaient été une vraie soupape contre les émeutes, sous Bartolone [ministre de la Ville de 1998 à 2002, ndlr]. Deux ans après leur suppression, on avait les émeutes de 2005.