Morad Aggoun : « Je ne suis pas un puriste, bientôt je serai un traître »

Morad Aggoun
Le 28-08-2013
Par Erwan Ruty

Entrevue express avec un hâbleur, ancien président de Valeurs des quartiers (proche du MIB), qui a la punchline facile et le verbe haut, mais un peu résigné quand même sur les impasses de certains de ses combats et frères de lutte. Il nous reçoit un dimanche soir dans son bureau de la mairie de Vaulx-en-Velin, PCF (ou assimilés) depuis 1944, et dont l'architecture toute en tôle et béton fleure bon l'histoire ouvrière.

 

On avait noté les véritables péroraisons, à la fois truculentes et vivifiantes, qu'il avait tenues lors d'une rencontre publique toulousaine, un an plus tôt. Ca cognait sec, ça dévalait comme un torrent.

Extraits : « On s'est rendus compte de la limite du travail associatif, alors un a créé un parti, le Choix vaudais. Sans prétention, on est devenus des politiques, mais la différence, c'est qu'on est issus d'une révolte. On est des résistants, pas des indignés avec une guitare sur la place.... La politique, c'est un rapport de force. Combien tu pèses ? J'te donne Tant ! Y' pas de copains ! Mais les places ne nous intéressent pas. On n'oublie pas d'où on vient. On n'a pas de corpus idéologique. Ce qui nous lie, c'est notre vie, nos luttes, c'est l'amour, le plaisir d'échanger. Ca fait dix ans qu'on fait du porte-à-porte, et pas parce que Barack Obama l'a fait. Pas besoin d'être énarque ou polytechnicien pour faire de la politique ; une asso où les gens se parlent, c'est aussi important qu'une grande action. Nous, on a décidé de na pas parler seulement aux quartiers, mais aussi aux agriculteurs, aux pavillons. L'école, le logement, la dette, les transports, le logement, c'est la vie de tous les jours qui nous intéresse. Y'a pas que l'ANRU ! Ici, on est en crise depuis trente ans. Ca date pas de 2008 qu'il y a 60% de chômage à Vaulx-en-Velin. 25 ans de politique de la ville à Vaulx-en-Velin, et la résultante c'est qu'avant on était la troisième ville la plus pauvre du département, maintenant, on est la deuxième la plus pauvre de France ! Ca suffit ! On n'a pas 12 ans ! J'ai 40 ans et je suis le plus jeune ! L'esbroufe, ça marche une fois ! On connaît le Muppet Show ! (…) »


" Les gens, c'est pas des murs "


On s'en doutait, un an plus tard, il ne risquait pas d'avoir raccroché la machine à parler brut. A l'image de la corpulence de ce quadra, vaudais de toujours, habitant enraciné au Mas-du-Taureau, une cité qui n'a pas changé depuis des lustres alors que l'argent de la rénovation urbaine a coulé à flots pour retaper bien des quartiers alentours, sans doute bien moins nécessiteux. « Tous les quartiers de la ville changent, sauf le Mas. Les milliards ont été dans les murs, mais les gens, c'est pas des murs », constate, amer, ce directeur d'une maison de quartier de la banlieue Sud de Lyon.


Militant mais de plus en plus père de famille

 
Et ça commence direct (du droit ?) : « Je ne suis pas un puriste, et bientôt je serai un traître ». Sans concession, ironie froide à l'attention des siens... Quelle mouche a pu piquer ce militant de trente ans de bagarres ? La paternité, sûrement. Ce père de famille ne s'en cache pas : « en vieillissant, on devient aussi parent d'élève ! La cantine, les enfants.... on a des problèmes de papounet ! On travaille pour ses enfants, et non plus pour ses petits frères. Qu'est-ce qu'on va leur laisser ? La révolte, ok, mais on ne va pas jeter des pierres toute notre vie. » Ses potes du MIB se moquent gentiment de lui. Ils le reconnaissent à peine, et ne s'en cachent pas : il n'a même plus ni Jeans, ni Baskets : « Tu ne nous ressembles plus », lui avait fait remarquer un militante compagnon de route ! D'autres, de la même ville, se sont distanciés depuis un certain temps : « Il ne parle plus au nom d'Agora-Valeurs des quartiers », tranche Abdel Delli, coordinateur de la structure. Ou encore, dans la bouche d'un autre de ses anciens camarades, parisien lui, cela donnera un laconique : « chacun veut mener ses petites luttes, créer son petit banthoustan sur son territoire »... Lors d'une rencontre du FSQP à Saint-Denis en 2011, Morad Aggoun avait d'ailleurs lui-même interpellé les militants aguerris juchés à la tribune, n'hésitant pas à parler d'école ou d'entreprise, dans un cénacle où l'on évoque plus volontiers le racisme, les violences policières, la double peine dans de virulentes diatribes...

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