La vie d'Abdel, quand Kechiche sublime la jeunesse

Le 27-05-2013
Par Claire Diao

D'abord acteur puis réalisateur, découvreur de jeunes premières (Sara Forestier, Hafsia Herzi, Yahima Torrès, Adèle Exarchopoulos) et directeur d'acteurs de talent, Abdellatif Kechiche est en passe de devenir un pilier du cinéma français après huit césars. Quant à la Palme d'Or…

 
Il est passé de la crise existentielle d'un mec débarqué du bled (La faute à Voltaire, 2001) à l'adaptation de Marivaux par des ados (L'esquive, 2004), la quête de financements pour ouvrir un restau (La Graine et le Mulet, 2007) et la dénonciation du traitement qu'a subi la sud-africaine Sartje Baartman (La Vénus noire, 2009). Cette année, Abdellatif Khéchiche aborde la découverte de l'homosexualité à l'adolescence (La vie d'Adèle, sortie prévue le 9 octobre 2013) dans un film adapté de la bande-dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, situé loin des questions de représentation de la diversité.
 

Transcender la condition sociale

Car qui eût cru que ce réalisateur, arrivé de Tunisie à l'âge de six ans, s'attaque un jour à un sujet aussi tabou que l'homosexualité ? Personne. Peut-être encore moins lui qui a connu, dans les années 1980, une France marquée par le racisme, le chômage et la difficulté de s'affirmer. Mais ces thèmes, déterminants dans l'ensemble de sa filmographie, lui permettent aujourd'hui de transcender ses personnages au-delà de leur condition sociale ou culturelle, vers l'universel. 
 

Un film bien dans son contexte

Que La vie d'Adèle soit présenté à Cannes l'année même où le Parti Socialiste a validé le mariage pour tous, n'est qu'une simple coïncidence. « Quand j'ai eu l'envie de raconter cette histoire, il n'y avait pas ce contexte politique » témoignait Khechiche lors de la conférence de presse de son film au Festival de Cannes, le 23 mai 2013. « Je n'ai pas eu envie de faire un film militant avec un grand discours sur un thème précis. Mais s'il est vu comme ça, cela ne me dérange pas ». 
 

Des actrices plus qu’un sujet

Outre la révélation, une fois encore, d'une nouvelle actrice (Adèle Exarchopoulos), la magie du cinquième film de Khechiche est que l'homosexualité y est présentée, non comme leitmotiv du film mais comme toile de fond. « Ça faisait longtemps que je traînais cette idée de s'interroger sur ce qu'on appelle le coup de foudre, le désir », expliquait encore le réalisateur. De fait, la force d'interprétation des actrices fait oublier qu'il s'agit aussi d'homosexualité : le spectateur a davantage la sensation de se retrouver face aux enjeux de la vie à deux. 
 
une révolution ne se fait pas sans être une révolution sexuelle

Révolutions

Un parti pris qui dame le pion à tous les détracteurs mais qui, surtout, permet à son auteur franco-tunisien d'affirmer par rapport à son pays de naissance qu' « une révolution ne se fait pas sans être une révolution sexuelle » : « La révolution sexuelle, c'est aussi la liberté sexuelle. Je crois que toutes les libertés sont à défendre. C'est aussi une façon de dire que je n'aimerais pas qu'on récupère cette révolution [tunisienne] pour mettre un joug encore plus grand sur la jeunesse ». 
 

Jeunesse débloquée ?

L'adolescence, justement, est un thème passionnant pour Khechiche. « C'est tellement un moment décisif de la vie… Je crois que j'éprouve une grande admiration pour la jeunesse d'aujourd'hui, en comparaison avec la mienne qui était tellement plus fermée, bloquée. J'observe une jeunesse tellement libre, ouverte, à l'écoute du monde, engagée... C'est cette émotion qu'elle me procure que j'ai envie de montrer. Que ce soit lorsqu'ils [les jeunes, ndlr] dansent, lorsqu'ils manifestent, lorsqu'ils se disputent ou lorsqu'ils rient ». 
 

Au-delà de ce que l’on attend de lui

Pourtant, Khechiche était attendu au tournant. Après avoir abordé des sujets qui font mal comme dans La Vénus Noire, sortant ainsi des thématiques que l'on projetait sur lui (les maghrébins de France, la banlieue), celui que l'on surnomme aussi Abdel a choisi deux héroïnes blanches, non issues de quartiers, qui n'ont comme différences que celle de leur âge et de leur classe sociale. Certains critiqueront sans doute le fait qu'il aurait pu (dû?) profiter de son statut pour magnifier d'autres acteurs colorés comme Sami Bouajila dans La faute à Voltaire, Sabrina Ouazzani dans L'esquive, Hafsia Herzi dans La graine et le mulet ou Yahima Torrès dans La Vénus noire. Mais ce serait passer à côté de la subtilité avec laquelle Khechiche aborde aujourd'hui le sujet. 
 
Dans La vie d'Adèle, la classe multiculturelle d'Adèle est uniquement constituée d'élèves, pas de personnages portés par leur couleur de peau ou leurs origines. Le nom d'Adèle fait référence à celui d'Adel en arabe (qui signifie « justice ») et les maternelles dont s'occupe Adèle prennent des cours de danse africaine pour le spectacle de fin d'année. Sur leur route, les deux héroïnes rencontrent des  personnages qu'un directeur de casting classerait dans la case « diversité » alors même que leur essence ne se réfère en rien à leurs origines. « C'est pour cela que je trouve aussi belle cette jeunesse. Elle ne regarde plus, ou moins, les différences sexuelles, raciales, économiques... Il n'y a plus cette crispation de différence sexuelle, communautaire, d'identité ».
 
 
 

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