
« La cité rose », un film sur la cité ou… dans la cité ?

La légende urbaine raconte que les tournages dans « les cités » s’avèrent difficiles, voire impossibles, entre vol de matériel et agressivité des habitants… Mais comme toutes les légendes, celle-ci mériterait qu’on la regarde de plus près : c’est ce que Sadia Diawara a fait en accompagnant le film « La cité rose », tourné à Pierrefitte… grâce aux habitants.
Le film « La cité rose », de Julien Abraham, sorti le 27 mars 2013, a été entièrement réalisé dans la cité du même nom, située à Pierrefitte sur Seine, en banlieue nord de Paris. Le tournage, qui a duré deux mois, dont deux semaines pleines à la cité, s’est déroulé sans aucun problème ; sous l’œil complice, voire bienveillant des habitants…. Un simple contre-exemple ? Un hasard ? Non, un état d’esprit et une préparation.
Un cinéma plus fort que le journalisme habituel ?
Si « La Cité rose » peut s’enorgueillir d’un tournage sans embûches, c’est que dès le départ, l’équipe du film n’est pas venue en « pilleurs d’images ». Comme le raconte Sadia Diawara, 34 ans, coproducteur du film : « On ne voulait surtout pas venir dans la cité et faire comme font certains journalistes : voler des images et trahir les gens. Ils filment des jeunes sur une heure, les jeunes parlent de choses positives, ils plaisantent et se lâchent. Mais ces journalistes garderont uniquement les dix minutes négatives. » Effectivement, si les habitants des quartiers populaires regardent souvent avec méfiance et même hostilité les caméras qui débarquent dans leur quartier, c’est que celles-ci les ont blessés à de nombreuses reprises, se servant d’eux comme d’une « terre à scoop » ou utilisant des prises de paroles hors contexte pour illustrer un thème caricatural.
Les habitants de ce quartier ont donc été pris non pas comme un obstacle au tournage mais comme le moteur même du tournage
Une origine et un état d’esprit
Même s’il ne s’agit pas d’un documentaire mais bien d’une fiction, l’enjeu du film « La cité rose » restait le réel. L’équipe voulait donc que leur film sonne juste du début à la fin. Sadia a grandi dans cette cité et même s’il est parti depuis dix ans, sa mère et ses amis y vivent encore. Il y va donc souvent. Mais ce n’est pas son origine qui a été le « sésame » pour réussir le tournage, c’est son état d’esprit : « C’était une évidence de faire participer un maximum de personnes du quartier. Le bon déroulement du tournage n’était que la suite logique d’une préparation bien faite où les gens étaient impliqués. » Les habitants de ce quartier situé à la limite de Sarcelles ont donc, tout simplement, été pris au sérieux et considérés, non pas comme un obstacle au tournage mais comme le moteur même du tournage. Ils n’étaient pas un élément du décor, mais bien des individus.
Plusieurs postes dans l’équipe technique, notamment des postes d’assistants en régie, sont donc confiés à des néophytes motivés
« Faire travailler les habitants »
Chaque étape du film s’est fait, en lien étroit avec les habitants : de l’écriture, aux jours de tournages. Comme le rappelle Sadia, l’essentiel est de faire confiance aux compétences des habitants : « Je n’ai pas eu d’appréhension. Nous avons travaillé avec des associations déjà en place depuis longtemps. Le but était de faire travailler les gens directement ou indirectement : par nous ou par le biais d’entreprises locales qu’on employait. » Plusieurs postes dans l’équipe technique, notamment des postes d’assistants en régie, sont donc confiés à des néophytes motivés : « C’était également un moyen de faire découvrir le métier à des personnes pas encore professionnelles, mais intéressées. Et ça s’est très bien passé. Les gens étaient irréprochables : à l’heure et investis. »
Mamans tout terrain
Des jeunes et moins jeunes occupent également quelques postes en manutention, notamment pour le transport de matériels. Mais c’est surtout dans deux postes clefs du tournage qu’on retrouve deux entreprises locales : la sécurité et les repas. « On a fait appel à un habitant qui a ouvert une boîte de sécurité depuis une dizaine d’années et qui avait embauché plein de jeunes du quartier. » Soutenir les entreprises déjà implantées dans le quartier était un choix : « On a fait le choix de laisser les camions de matériels au quartier pendant tout le tournage au lieu de les déplacer, pour faire appel à cette entreprise locale de sécurité. » L’entreprise gère la surveillance du matériel mais également des plateaux de tournage. Côté cuisine, il était important pour Sadia de donner du travail également aux « mamans ». Ils ont embauché un chef cuisinier du quartier qui a composé son équipe avec des mamans volontaires dont ce n’était pas le métier : « C’était très bon. Le chef est excellent, il a bossé dans de grands restaurants et les mamans sont des mamans tout terrain. On avait des repas variés sur le thème des cuisines du monde. »
Figuration ouverte
La figuration était, elle aussi, ouverte à « tous ceux qui voulaient apparaitre ». En revanche, un grand casting national a été organisé pour trouver les comédiens amateurs ou professionnels capables d’incarner parfaitement les rôles importants. Les habitants pouvaient tenter leur chance. Et si le rôle principal de « Mitraillette » est interprété par un jeune du quartier, c’est tout simplement parce qu’il a passé le casting et qu’il a réussi à incarner le mieux le personnage, sur deux cents autres jeunes venus de toute la France.
Quand tu vois des larmes des personnes décrites comme dures ou méchantes à travers les médias, tu te dis : « On a fait un truc ! »
Le test : projeter le film dans le quartier
Après une telle implication, Sadia, à la fin du tournage, n’avait qu’une crainte, que le film, une fois monté, déçoive les habitants, qu’ils se sentent plus trahis encore après avoir tant donné. « Ma crainte était que les gens ne s’y reconnaissent pas ». Aussi la première projection en avant-première face aux habitants du quartier a été un moment plus émouvant encore, pour lui, que la projection devant les professionnels du cinéma : « Le vrai grand test c’était de projeter le film dans le quartier. Ils étaient en attente d’un truc vraiment bien. On se disait : « si on réussit ce test, on a quelque chose de bien entre les doigts ».» Une projection de « La Cité rose » est donc organisée en avant-première dans la cité éponyme, devant quatre cent personnes, dont une majorité ayant participé de près ou de loin au tournage. Sadia en parle avec émotion : « Quand, dès les premières minutes les gens réagissent, rigolent, applaudissent, tu respires. Et quand à la fin du film, tu vois des larmes, les larmes de personnes que tu connais, des personnes décrites comme dures ou méchantes à travers les médias, tu te dis : « On a fait un truc ! ». »
La plus grande récompense pour Sadia Diawara et Julien Abraham, les deux amis à la base de ce projet, c’est lorsqu’un jeune vient les voir à la fin de cette avant-première particulière pour leur dire : « Enfin on a un film qui parle de nous sans mentir ». La nouvelle légende raconte que la participation de tout un quartier et la cuisine des mamans font partie du goût particulier de ce film au moins autant que le scénario et le casting parfaitement réussi.