
MC Jean Gab’1 : Thug life

Si Tupac a pris plusieurs balles dans la peau, l’ex-MC Jean Gab’1, lui, a survécu. Supériorité de la France sur les Etats-Unis ?! A vous de voir ; en tous cas, à en croire l’autobiographie de l’ancien rappeur, ancien braquo, ancien bastonneur, ancien taulard, « Sur la tombe de ma mère », l’instinct de survie ou l’ange gardien des enfants de la balle lui a permis d’échapper aux balles.
Et de balancer un livre pour le moins ébouriffant. « Quand l’ennui est conjugué à l’inaction, les embrouilles et les carottes ne sont jamais loin du potager ». Vous avez bien lu : le gars qui a pondu cette punchline agricole n’est autre que le Jean Gab’1 qui « emmerdait » naguère toute la fine fleur du hip-hop français. Ledit lascar ne s’est pas reconverti en Nicolas le jardinier du rap, faisant fleurir les vannes au milieu des courges, il a juste sorti un opus de 310 pages, au langage très fleuri, pour le coup.
Tout le reste, c’était trou de bal et peau de zob
Monde de brutes
Mais pas fleuri à la manière d’un Frédéric Dard (San Antonio), bourgeois réac installé dans une gentilhommière suisse depuis belle lurette, et qui pond au kilomètre des romans au style farci d’un argot tellement irréel qu’il en devient aussi ampoulé que du Corneille. La plume de Jean Gab’1, elle, est plongée dans le sang, la chique et le mollard. Pas de chichis, peu de bisous, que du clash et de la baston ? Quasi. Surnage à peine dans ce monde de brutes, un petit peu d’amour pour trois femmes : sa fille, sa grand-mère et une seule et quasi unique femme d’un moment (« Gigi et ma grand-mère étaient les seules personnes que j’écoutais sur cette putain de planète. Tout le reste, c’était trou de bal et peau de zob »). Il assume, sans états d’âme : « Je me branlais de faire mouiller les greluches en balançant des liasses en boîte, comme tous ces crétins qui taffent pour leur gonzesse. A se demander qui est le julot et qui est la greluche ». Vous l’aurez compris : âmes sensibles s’abstenir.
Mais de banlieue, rien. Il le clame haut et fort : il ne se reconnaît pas dans cette identité-là.
Bête humaine ?
La crudité du propos n’étonne plus (en ces temps où telle mondaine se tapant DSK pour écrire un livre afin de baver sur lui, faisant passer un acte de prostitution littéraire pour de l’enquête sociologique), les saillies gouailleuses de Gab’1 restent quand même loin, très loin de la classe retenue de l’autre Gabin, celui de La Bête Humaine. Pourtant, il y a bien une bête humaine, et même un sérieux côté popu chez ce Gab’1 de la balle, de la bastos même, pourrait-on dire, lui qui n’a jamais hésité à faire parler la poudre en dégainant le « 9 millimètre », le « 38 spécial » ou le « 45 auto » pour régler ses menus différends. Mais de banlieue, rien. Il le clame haut et fort : il ne se reconnaît pas dans cette identité-là. Pas plus qu’il ne s’érige en modèle de bandit : « Il ne faut pas compter sur moi pour être le grand frère de qui que ce soit ». Comment le pourrait-il d’ailleurs ? Les années de « calèche » (prison) se suivent et s’enquillent les unes après les autres ; il affirme même que certaines d’entre elles sont parmi les plus belles années de sa vie, en particulier celles passées en Allemagne (d’où le surnom de « Kaiser » dont il se verra affublé à son retour en France).
Ce qu’ils ne réalisaient pas, c’était qu’à leurs concerts, les cinq premiers rangs étaient composés de casseurs de gueule certifiés.
Relations sociales en mode gifle
Il faut aussi dire que ce n’est pas la moralité de ses actes qui l’étouffe. Vols avec violence en veux-tu en voilà, règlements de compte pétaradants et arme au poing, cassages de gueule en série, braquages incessants, tabassage et sévices divers sur co-détenus, deal en gros et demi-gros, relations sociales en mode gifles et insultes, méchants coups de pression sur les tocards comme sur les ténors du rap. Notamment américains. Morceau choisi : « Très souvent les rappeurs américains arrivaient de Londres, la France étant leur dernière date. Ici, personne ne parlait anglais, pour eux, c’était le Mali. Ce qu’ils ne réalisaient pas, c’était qu’à leurs concerts, les cinq premiers rangs étaient composés de casseurs de gueule certifiés. Au concert de Naughty by Nature, au Zénith, en 1996, quand Method Man, après avoir livré une première partie déplorable, se jeta dans la foule, je vis se refermer sur lui un véritable banc de piranhas. Quand il réussit à remonter sur scène, il s’était fait arracher chaînes, pompes, et ses cheveux ressemblaient à des ressorts détendus. » Amen, et God bless America…
Taquets et pichenettes
Rassurons-nous, les rappeurs français qu’il croisera nombreux vers la fin de sa carrière mouvementée, un peu plus légale celle-là, en prennent aussi pour leur grade. On sent que le conseiller juridique de la maison d’éditions (Don Quichotte) a dû réfréner les ardeurs et la tendance naturelle de son ouaille à balancer des noms et des dossiers, pourtant, les taquets et les pichenettes fusent sur NTM, Casey, les Nubians et autres El Pidio. Parfois, on parlera même d’uppercuts : « Aujourd’hui, la plupart des mecs qui font du rap hardcore n’ont jamais mis un coup de tapette à une mouche ». Voilà, ça c’est fait…
Bref, l’auteur nous fait rire souvent, mais reconnaissons que bon nombre d’expériences sont d’un goût douteux : la liste des méfaits dont il se flatte est longue comme un jour sans pain. On est loin de la retenue de Yazid Kherfi (« Repris de justesse », tout aussi autobiographique), ou encore de la verve polar de Abdel Hafed Benotman (« Eboueur sur échafaud »), alters-egos braquos de la même génération qui, eux aussi, ont transcendé leur expérience, par l’écriture notamment. Ok, Jean Gab’1, c’est du roman ; on ne cherchera donc pas trop à dénouer le bon grain de l’ivraie, le vrai du mytho. Reste que le rythme y est, que le style est unique, et que l’histoire, vibrionnante et picaresque comme un film de Philippe de Broca, captive, de la première à la dernière page. Et puis un tel phénomène, qui assure « mon rêve, c’était de faire L’école des fans avec Dédé Balavoine », tout en citant tout-de-go, en guise de mentors musicaux, « Renaud, Michel Delpech, Carlos, Alain Barrière, Jules Vignot, Yves Duteil et Hugues Auffray »… ce personnage de roman peut-il vraiment être tout à fait mauvais ?!