
« L'avenir de la République se joue ici en Seine-Saint-Denis »

C'étaient les propos de Stéphane Troussel, successeur de Claude Bartolone à la tête du conseil général de Seine-Saint-Denis, à la presse locale. Cela nous avait troublé : d'où venait une telle assurance, concernant un département si souvent décrié ? Communication, ou conviction profonde ? On a rencontré l'auteur de cette belle déclaration, avec Afriscope et Regards2banlieue. A vous de juger.
C'est ici que la République joue son avenir.
« Créer un choc éducatif : C'est ici que la République joue son avenir »
On est le département le plus jeune et le plus pauvre de France. On a donc mis le paquet sur la formation : on ne peut pas avoir des taux de réussite de 10% inférieurs aux autres. Les partenariats public-privé dans la construction des collèges, pour 700 millions d'euros avec Claude Bartolone. C'est une prise de risque, qu'il fallait prendre pour créer un « choc éducatif », pour dire aux jeunes qu'ils peuvent réussir ici. C'est ici que la République joue son avenir.
Vidéo de Regards 2 banlieue :
Quand vous avez depuis dix ans attaqué l'école avec des journées de quatre jours, dont on sait à quel point c'est dramatique dans les quartiers populaires en particulier, que vous avez des suppressions de postes d'enseignants, et qu'en face vous mettez trois francs six sous pour la réussite éducative, ce n'est pas sérieux !
« La politique de la ville ne peut pas réparer tout ce que les autres politiques ont dégradé »
L'Anru n'est pas un échec : il n'y a qu'à voir les transformations à Clichy-sous-bous ou ailleurs, La Courneuve, Epinay... Les 23 000 logements de l'office HLM de Seine-Saint-Denis ne pourraient pas être rénovés sans l'Anru ! Ce n'est pas la politique de la ville qui est un échec : elle ne peut réparer tout ce que toutes les autres politiques ont dégradé. Quand vous avez depuis dix ans attaqué l'école avec des journées de quatre jours, dont on sait à quel point c'est dramatique dans les quartiers populaires en particulier, que vous avez des suppressions de postes d'enseignants, et qu'en face vous mettez trois francs six sous pour la réussite éducative, ce n'est pas sérieux ! Pôle emploi est aussi démuni de moyens.... Ce sont d'abord les politiques de droit commun qui doivent jouer leur rôle, et doivent même le faire plus qu'ailleurs ! On pourrait même s'appuyer sur quelques réussites de la politique de la ville, quand par exemple elle transforme l'action publique en obligeant les bailleurs sociaux à travailler avec les associations, les entreprises de bâtiment et les collectivités locales. Mais qu'on n'ait pas assez mené ces politiques de rénovation urbaine avec des programmes de santé, d'éducation etc, tout cela est vrai.
Les crédits de l'Acsé en matière de politique de la ville, c'est 66 euros par habitant dans l'Essonne, 70 dans les Yvelines, et 35 en Seine-Saint-Denis.
« La Seine-Saint-Denis va cesser d'être contributrice dans le système de péréquation »
On peut attendre de la deuxième étape de l'Anru qu'elle obtienne un fléchage des crédits de Vincent Peillon [ministre de l'Education nationale], de Manuel Valls [ministre de l'Intérieur] ou d'Aurélie Filippeti [ministre de la Culture], vers la Seine-Saint-Denis. Qu'il y ait plus d'emplois d'avenir ici qu'ailleurs, plus de professeurs. Par ailleurs, il ne faut plus saupoudrer, l'Etat doit faire un choix, concentrer les moyens. Et renforcer les mécanismes de péréquation. Les crédits de l'Acsé en matière de politique de la ville, c'est 66 euros par habitant dans l'Essonne, 70 dans les Yvelines, et 35 en Seine-Saint-Denis. 41 en moyenne régionale ! Ca ne va pas. On a quand même obtenu que notre territoire cesse d'être contributeur, jusqu'alors à hauteur de 15 millions d'euros en 2013, dans ce système de péréquation... On va même toucher trois millions. Un fond de 170 millions a été réé pour venir en aide aux départements en difficulté, on va tout faire pour pouvoir obtenir des crédits de cette enveloppe. Comme le disait le président de la République, « il va falloir que Neuilly-sur-Seine paie pour Bondy ». Les habitants de Seine-Saint-Denis vont travailler à La Défense. Ils y créent de la richesse. Quand des bus brûlent à Clichy-sous-bois, les bureaux ouvrent en retard à La Défense ! Mais les crèches, les logements sociaux, les lycées, c'est en Seine-Saint-Denis qu'on les créé ! Il faut plus de solidarité entre ces départements.
Il y a une négociation pour sortir de ces dettes, parfois avec des contentieux
Emprunts toxiques : « La responsabilité des banques est engagée »
On est passés de 92% à moins de 60% de notre dette, en emprunts toxiques. Il y a une négociation pour sortir de ces dettes, parfois avec des contentieux, dans onze cas, où on ne paiera plus la totalité des « prêts bonifiés ». Mais les prêts de cette nature concernent 5000 collectivités en France. La responsabilité des banques est engagée, avec Dexia en particulier. Nous sommes d'ailleurs au Tribunal de Nanterre contre l'une d'entre elle le 09 février...
Mon idée de la mixité, c'est que les gens qui connaissent une amélioration de leur situation, se disent encore « on a tous notre place en Seine-Saint-Denis ».
« Les bobos sont bienvenus, mais les prolos doivent rester »
Je ne crois pas à un pays sans industrie. La Seine-Saint-Denis est encore motrice économiquement. Elle est même créatrice d'emplois, comme à La Plaine Saint-Denis. Le problème est que ces emplois ne profitent pas aux habitants du territoire, notamment les plus jeunes. Parce qu'on a une population active dynamique, avec beaucoup d'entrées sur le marché du travail, et des taux de qualification faibles. Mais je suis toujours partagé entre la nécessité de mettre en avant ces problèmes, et nos atouts, réels : pour l'ensemble de l'Ïle-de-France, c'est ici que ça se passe. Il y a des terrains disponibles et pas chers, des projets de transports... Qui plus est, le modèle de développement façon La Défense s'essouffle. On a de quoi accueillir l'industrie, mais aussi les nouvelles start up du numérique qui ne peuvent pas se payer le loyer à Paris, ou encore des sièges sociaux d'entreprises des services et de la finance. Avec donc des profils d'emplois très différents. Les bobos sont bienvenus, mais les prolos doivent rester. C'est vrai qu'il y a une course de vitesse avec le marché, comme dans toutes les capitales européennes, et avec l'augmentation des prix du marché foncier que cela provoque. Mon idée de la mixité, c'est que les gens qui connaissent une amélioration de leur situation, se disent encore « on a tous notre place en Seine-Saint-Denis ».
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Propos recueillis par Carole Dieterich, Gabriel Gonnet et Erwan Ruty
Photos : Anglade Amédée
Image : Karim M.