Belleville, c’était mieux avant ?

Le 30-01-2013
Par Erwan Ruty

Attention, gros mot : gentrification. Un mal universel qui frappe toutes les grandes villes, chassant les couches populaires vers les périphéries. Le quartier de Belleville, à Paris, est un exemple de ce mal qui frappe sournoisement depuis les années 80. Le film Babelville en rendait compte en amorce d’un débat mené par l’association Trajectoires, fin janvier.  

 
Le tout à l’occasion d’une séance qui se tenait à la Belleviloise, soit dit en passant haut lieu de cette gentrification… Le film, datant de 1993, a vieilli : images jaunies, coupes de cheveux improbables, bouis-bouis miteux (mais chaleureux, bien sûr), looks qui sont au vêtement ce que Lidl sera plus tard à la gastronomie, tout dans ce film respire le old school suranné. Seule la ville était en train de rajeunir. Rajeunir ? Aux dépends des habitants traditionnels : les pelleteuses, que l’on voit affamées dans ce documentaire à fleur de pavé de Philippe Baron, habitant du coin en lutte contre les projets urbanistiques, sont de sortie. Finalement, elles se sont tues : les habitants ont réussi à stopper la ZAC prévue par Didier Bariani, le maire d’arrondissement bientôt renvoyé chez lui par les électeurs. 
 

Gentrification insidieuse

Et pourtant, pas de quoi se réjouir. Un monde a quand même disparu. De manière sournoise, selon Mohammed Ouaddane, l’organisateur de la rencontre et animateur de l’association Trajectoires, lui aussi habitant du cru : « Il y a bien une gentrification insidieuse. On est dans un processus irréversible. Les acteurs associatifs qui résistaient ne le peuvent plus. Et encore : certaines de ces associations étaient montées par des propriétaires qui ne voulaient pas voir leur capital être dévalorisé par les projets de ZAC [Zone d’aménagement concerté]. Mais beaucoup d’habitants n’avaient pas les moyens de participer à ces luttes, ils sont partis. C’était une période de transition. Maintenant, on délocalise autrement les gens. Mais c’est toujours la même orientation de fond, comme avec le Marais précédemment. »
 

Quelle alliance de classes ?

Autant dire qu’il n’agrée que moyennement aux propos d’une sociologue présente assurant que la victoire contre la ZAC est due à « une alliance de classes entre bobos et habitants du quartier qui n’étaient pas du tout du même genre ». Selon elle, il y aurait bien eu « auto-formation pour apprendre à discuter d’égal à égal avec la mairie. » Tant à cette époque, comme le relève le film, « dans les réunions de concertation, les habitants n’avaient pas la parole, ils devaient l’arracher ! »
 

Disparition des savoir-faire traditionnels

Les vieux que l’on voit dans le film ne sont plus là pour témoigner, pour la plupart, tel ce chibani de la rue Lasage qui refuse d’aller voir la mairie pour le rétablissement de l’électricité dans son garni. « Le propriétaire s’est taillé. Mais je ne veux pas d’argent : je suis habitué à la bougie. C’est bien, c’est pas bien ? On supporte. » Ou la gérante de chez Fanfan.
Pourtant, tout n’est pas joué, comme le fait remarquer l’un des participants, car il reste de grands cités HLM : « il y a une paupérisation du bas-belleville, et un accroissement des niveaux de vie entre différents sous-quartiers. » Reste que l’économie n’est plus ce qu’elle était : disparition des savoir-faire qui se transmettaient, du travail local, des petits ateliers, bref, « tout ce qui fait qu’on ne se trouve pas dans une capitale avec ce qu’elle offre uniquement comme activité de consommation », comme le spécifie une des intervenantes. « Les taxiphones et la restauration de différents pays ne change rien », insiste Mohammed Ouaddane. 
 
La conclusion à un exilé qui s’est retrouvé dans des HLM froids et propres du XVème arrondissement : « Je ne voulais pas quitter la rue Ramponneau. Mes enfants, dès qu’ils ont un moment de libre, ils s’enfuient à Belleville. Ils me disent : Qu’est-ce qu’on fait ici ? On s’ennuie… ». 
 
NB : l’association Trajectoires, dans une longue trajectoire de débats dans ce quartier, depuis 1999 (cafés littéraires à la Maroquinerie), proposait ce film dans un cycle de rencontres « Belleville-Ménilmontant en images ». Après des rencontres autour de la Commune, de « Silence, on rénove », de « Belleville est un roman », ou sur des thématiques comme « Jazz à Belleville », « Mémoire ouvrière », « Femmes d’ici et d’ailleurs » ou encore « Exil et immigration », relancera son cycle « De capitale en capitale » (avec sans doute un « Paris-Barcelone » et pourquoi pas un « Paris-Casablanca »). Mais toujours avec comme thèmes centraux l’ouverture à la question sociale. 
 
 
 
 

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