
Marseille 2013, « capitale de la rupture » ?

En cette année 2013, Marseille-Provence est la capitale européenne de la culture. Pendant 12 mois, ce territoire va revêtir ses habits de lumières pour enchanter toute l'Europe. Reste à savoir si l'ensemble de la culture marseillaise sera en l'honneur : quid de celle qui a fait les grandes heures des cultures urbaines françaises, hip-hop compris ?
« Descendez à la Capitale », tel était le slogan des affiches placardées dans le métro parisien qui annonçaient que Marseille-Provence (« MP ») serait la capitale européenne de la culture en 2013. Le lancement du projet avait lieu les 12 et 13 janvier dernier, à grand renfort de feux d'artifice, de parade de chars. Une fois n'est pas coutume, des festivités avaient lieu dans les quartiers nord de la ville. Les habitants de ces quartiers pouvaient légitimement penser ne pas être oubliés dans la programmation des événements de toute cette année.
Capitale underground
Malheureusement, il semblerait que les organisateurs aient choisit de mettre en avant une culture plus élitiste au détriment des cultures populaires de la cité phocéenne. Mais quid des polars sociaux trempés dans l’amertume de Jean-Claude Izzo, des rageux de Radio Galère (inventeurs de la punchline la plus ter-ter de France « Le béton est armé, pourquoi pas nous ? »), des souvenirs des lascars strass et paillettes de la Fonky Family, des furieux descendants du Massilia Sound System, des rebelles du rap à la Keny Arkana ou Faf Larage, des apatrides bigarrés de Radio Gazelle, de tous ceux qui ont travaillé avec la Cosca ou dans les ateliers d’écriture de la Belle de Mai, tous ceux qui comme Karim Dridi ont filmé les gitans, les arabes et tous les basanés des marges (« Khazma », « Bye-Bye »), bref, quid de tous ceux qui ont tressé la légende des quartiers qui font de Marseille l’autre capitale française des cultures underground et que Kamel Saleh et Akhenaton avaient si bien brossé dans « Comme un aimant » ? Quid de tous ceux qui auraient pu faire de Marseille « la capitale de la rupture » ?
Où sont passées les cultures populaires ?
Pour Ahmed Nadjar, journaliste du site Med'In Marseille, quand on parle de culture marseillaise aujourd'hui, un nom vient automatiquement en tête : « IAM ! C'est un symbole de Marseille. En plus ils viennent du quartier, avenue de la République. La scène rap est oubliée au profit d'une culture plus élitiste. » Simple oubli ? Avec plus de vingt ans d'activité, IAM est devenu plus qu'un simple groupe de rap. Le groupe représente Marseille presque autant que l'OM. Hamed, rappeur du groupe B.Vice, originaire de la Savine, a reçu le soutien de la mairie de son secteur (8ème) pour organiser des événements avec les habitants du quartier : « Des tremplins, peut-être un festival multicolore mais, quoiqu'on fasse, le quartier reste en marge. On devra faire avec les moyens du bord, alors que si nous étions intégrés au MP 2013, nous aurions eu des budgets plus conséquents. » A leurs détracteurs, les organisateurs du MP 2013 opposeront le fait que des initiatives comme « Quartiers créatifs », intégrant des habitants des quartiers ou des événements plus hip hop, sont programmés. Néanmoins, ces initiatives ne relèvent-elles pas plus du cache-misère que d'une vraie volonté d'intégrer ces cultures ?
Nous, dans les quartiers, nous n'avons pas eu d'informations, pas d'invitations, pas de communication pour nous inciter à participer à cet événement.
« Restez tranquilles ! »
En même temps qu'une partie de la culture locale, c'est tout une partie de la population qui est écartée, comme nous le confirme Hamed : « Nous, dans les quartiers, nous n'avons pas eu d'informations, pas d'invitations, pas de communication pour nous inciter à participer à cet événement. En 2012, la ville a arrosé quelques associations pour tenir la population « difficile ». Mais on a vraiment l'impression que les pouvoirs publics nous disent « Restez tranquilles, faites pas chier ! » ». Il faut dire que les événements violents de ces derniers mois à Marseille sont en contradiction avec l'image que la mairie veut donner de la ville. Un décalage abordé dès 2009 par le rappeur RPZ dans son morceau « Capitale de la rupture », expression reprise par sa consœur Keny Arkana pour un titre de son dernier album, sorti en décembre dernier. Cette dernière n'est d'ailleurs pas tendre avec le MP 2013 : « MP2013 n'a d'autre projet que de promulguer la culture dominante, il n'y a rien qui est mis en place pour la culture locale [...] La rupture que j'évoque, elle est dans cette fracture qui se creuse entre l'image de Marseille que l'on vend et la réalité sociale qui vire au drame. » (Télérama.fr, 18 janvier 2013)
Gaudin va lâcher le steak, il est grillé.
2014 en ligne de mire
« Si les jeunes de la Castellane, de la Savine... descendent aux événements, ça pourrait dégénérer et MP 2013 devenir un fiasco. Et comme 2014 est l'année des élections municipales, tout doit bien se passer » explique Hamed. D'ailleurs, selon ce dernier, il semblerait que les spéculations vont bon train quant à la succession du maire de Marseille, en place depuis 1995 : « Y'a du monde qui veut la couronne ! Gaudin va lâcher le steak, il est grillé. A gauche, Samia Ghali veut monter sur le trône mais les anciens ne veulent rien lâcher. En plus, Guerini espère se refaire une santé et revenir donc il n'a pas désigné de successeurs. ». Le compte à rebours a donc commencé. Si pour l'instant tous les violons s'accordent pour faire de ce MP 2013 une réussite et donner une image lissée de la ville, il paraît évident que la trêve prendra fin en même temps que cette année de festivités.
Ahmed Nadjar espérait que le fait d'avoir été désigné capitale européenne de la culture apporterait « un souffle nouveau », ferait « bouger Marseille ». C'était sans compter sur des politiques qui font de cet événement une pré-campagne, en laissant les habitants des quartiers pauvres sur le bas côté.
CC & ER