Les banlieues et le Qatar : la passion l'emporte encore

Le 18-01-2013
Par Erwan Ruty

Le 17 janvier, L'Institut du monde arabe accueillait un débat intitulé « Les banlieues et les paris du Qatar ». Point de départ obligé, le fameux « fond qatari », et son projet d'investissement dans les quartiers français, projet annoncé comme « miroir des difficultés du modèle social français ».

 
Mohammed Hakkou, élu à Gonesse (95), conclura son intervention par un aveu qui résume assez bien l'aventure mouvementée qu'il a connu en temps que membre de l'ANELD (Association nationale des élus pour la diversité), et surtout comme homme par qui le scandale est arrivé, puisqu'il fut l'un des neuf membres de la délégation a avoir fait le voyage au Qatar en 2011, avant d'obtenir la promesse du don de 50 millions d'euros qui provoqua tant de remous : « on s'est pris les pieds dans le tapis, avec ce projet ». 
 

L'ombre des Etats-Unis

« L'annonce de ce fond a été comme une bombe atomique. Une véritable cacophonie ! Pourtant, à l'ANELD, on avait hésité entre aller voir la Chine, le Brésil, le Qatar et d'autres... On avait été reçus par des conseillers d'Obama, par des conseillers d'Hilary Clinton... L'ambassadeur du Qatar nous a répondu en quinze jours ». L'ombre de l'investissement des Etats-Unis dans les banlieues planera d'ailleurs sur l'ensemble des débats. Parfois ironiquement (« Les qataris seraient-ils des sortes d'arabes avec un logiciel anglo-saxon dans la tête ? » ironisera ainsi un auditeur dans le public !), parfois pathétiquement, sur l'air de : « L'investissement américain ne provoque aucun remous parce qu'il s'agit d'un pays occidental ». Voire ! Non seulement l'ambassadeur des Etats-Unis et ceux qui sont chargés de cette action en savent quelque chose, mais, qui plus est, l'investissement états-unien dans les banlieues est financièrement bien loin des 50 millions d'euros (environ trois millions d'euros par an, selon un participant)... « La Qatar a voulu recopier le modèle américain », jugera Nabil Ennasri, intervenant présenté comme « spécialiste du Qatar ». 
 

Valse des chiffres

Reste que la passion parfois incontrôlée qu'a suscité ce fond a laissé des traces, loin de la réalité. Comme le fait justement remarquer Mohammed Hakkou, « les chinois investissent 150 millions par an en France. » Autre intervenant, autres chiffres : « Entre six et sept milliards sont investis par le Qatar en France depuis 2009. Beaucoup moins que la Chine et les Etats-Unis ». Quoi qu'il en soit, le nouveau fond qatari, anciennement dédié aux banlieues, sera augmenté après les élections présidentielles de 100 millions d'euros (auxquels viendront s'ajouter 150 millions d'euros de la Caisse des dépôts et consignations), soit un total de 300 millions d'euros, doit être investi (dilué ?), selon les sources, dans des projets innovants, ou dans des territoires en difficultés (zones rurales, zones désindustrialisées, ZUS, etc...) Tout espoir n'est donc pas définitivement perdu, mais reste le débat de fond : pourquoi tant de passion ? Car Mohammed Hakkou n'a pas seulement suscité la gêne appuyée des politiques (« La banlieue, c'est moi ! Pourquoi êtes-vous allé voir une petite association ? » aurait ainsi interrogé l'ancien ministre de la ville du gouvernement Fillon, l'éphémère Maurice Leroy aux qataris...)
 

Influence

Heureusement, quelques évidences émergeront tout de même dans ce débat, essentiellement grâce aux interventions de Naoufel Brahimi El Mili, professeur en sciences politiques, en évoquant ce fond comme un élément d'une politique de « soft power » : influence et visibilité (forte implication dans les révolutions arabes, chaînes télévisées, messages religieux d'Al Qaradawi...), pour un pays qui garde en mémoire la faiblesse d'un autre émirat, le Koweït, envahi par Saddam Hussein en un rien de temps. Pour un pays qui n'aura, d'ici quelques décennies, plus une goutte de pétrole. Et de rappeler ainsi : « le Qatar veut d'abord se protéger. Ces investissements, c'est une assurance-vie ». D'autres participants enfonceront le clou de la normalité : « les Etats-Unis achètent les consciences, les qataris aussi », ou encore : « Comme disait de Gaulle, la France n'a pas d'amis, elle a des intérêts ; le Qatar aussi », interviendra un autre...
 
Beaucoup de passions donc, pas mal d'énervement et de lieux communs, dans la salle comme à la tribune, pour un sujet brûlant qui mériterait un peu plus de tempérance... Un débat passionnel qui ne semble pas prêt de mourir, alors que l'affaire paraît, elle, enterrée depuis quelques mois. Mais nombreux sont ceux qui sont encore prêts à ressusciter cette sorte de débat zombie pour régler des querelles que la situation catastrophique des banlieues n'est pas prête d'éteindre...
 

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