
Bobigny, 09.01.13 : François Lamy face à 350 banlieusards assoiffés de changement

« La France devrait s’inspirer des banlieues ! » Ce cri du cœur d’un habitant résume bien l’envie, la foi et la spontanéité des habitants qui ont vidé leur sac aux pieds du ministre à la Ville lors de la première rencontre de sa tournée de concertation en banlieue.
Réussite réelle, qui témoigne de la vivacité de cet exercice de démocratie participative
Salle comble à la Préfecture de Bobigny, ce soir d’hiver froid et pluvieux de début d’année 2013. La première des quatre consultations publiques prévues par le ministère de la ville (avant Rennes, Strasbourg et la Seyne-sur-Mer) dans le cadre de son tour de France des quartiers, a donné lieu à des échanges nourris, parfois passionnés, mais respectueux. Dans une salle archi-comble, bigarrée, bien loin des séances ronronnantes si communes aux projets de démocratie dite participative et de consultation. Mais là, c’était une réussite réelle, qui témoigne de la vivacité de cet exercice, de la part d’une ville qui s’est lancée dans l’application du concept fourre-tout de « démocratie participative » depuis 1995, et qui à ce titre mérite le label de précurseur français du domaine : « Assises de la ville », comités de quartiers (« Parlons franchement ») dans la dizaine de quartiers de la ville, Comités d’initiative citoyenne, pour des projets spécifiques, journaux-écoles (comme les ateliers Dawa), etc, etc…
La France, la vraie, black, blanc, beur et sans peur
Du mélange pour éviter les clichés
Le « peuple », lui-même, était donc bien là ce soir : jeunes, vieux, français, étrangers, hommes, femmes, sweats à capuche et babas à catogans, pères de famille et éducatrices, associatifs rageux et professeurs propres sur eux, collégiennes indignées et locataires en colère… la France, la vraie, black, blanc, beur et sans peur. De parler, de raconter ses misères et ses rêves. Et quand l’animateur demande au jeune premier intervenant (comme à tous les autres) de bien préciser « ce par quoi il faut commencer, ce qu’il ne faut surtout pas rater quand on parle de politique de la ville », ce dernier enchaîne direct : « Il faut insister sur l’égalité. Payer des amendes pour ne pas créer des HLM, ça ne va pas. Il faut du mélange pour éviter les clichés. » Ce qui ne peut manquer de rappeler un fameux slogan, en ce trentième anniversaire de la Marche pour l’égalité de 1983 : « La France, c’est comme une mobylette : elle a besoin de mélange pour avancer ».
Mon objectif, c’est de faire monter les budgets que les autres ministres allouent aux quartiers
Une colère contenue
La réunion, elle, avancera cahin-caha, au gré d’une trentaine d’interventions libres (et parfois décousues : éducation, sécurité, environnement, emploi, logement, etc…), avec une belle vigueur, et face à un ministre très à l’écoute, répondant parfois franchement, mais parfois aussi sur la défensive. « Mon objectif, c’est de faire monter les budgets que les autres ministres allouent aux quartiers, avec Vincent Peillon sur l’accès des 2-3 ans à l’école dans les quartiers, par exemple. Mais on doit d’abord changer les outils de la politique de la ville. » Il va sans dire que le ministre n’aura pas pu répondre à la foultitude des interrogations et des indignations, dont on pourra quand même penser qu’elles se sont exprimées mezzo voce ce soir-là, au regard de la situation dramatique dans laquelle se trouvent les quartiers… Les associations elles-mêmes témoigneront de cette colère contenue, y compris les plus en pointes dans la lutte pour la promotion des quartiers, comme Ac Lefeu, missionnée par le ministère pour un suivi de la concertation et qui devra faire part de nouvelles propositions dans six mois.
Pourquoi tourner à nouveau dans les quartiers ? Ac Lefeu l’a déjà fait il y a cinq ans
Concerter avant d’agir, ou à la place d’agir ?
A tel point que certains dans la salle s’en étonneront : « Pourquoi tourner à nouveau dans les quartiers ? Ac Lefeu l’a déjà fait il y a cinq ans, ils ont charbonné, et depuis, leurs cahiers de doléance sont au placard ! » La concertation, en effet, semble bien souvent la première carte que tout ministre nouvellement élu sort de sa manche. Fadela Amara l’avait déjà fait en 2008 à Vaulx-en-Velin, en 2009 à Dreux pour s’échouer à quelques encablures de la promenade des anglais à Nice en 2010. On peut même penser que les ministres qui concertent le plus sont ceux qui ont le moins de moyens : écouter pour donner l’impression d’agir ? Faire parler en attendant de (voire même « faute de ») pouvoir changer ? Créer une concertation comme on créé une commission ? Une autre voix, dans le public, en provenance de Bagnolet, enfonce le clou : « la concertation, ça sert à rien, après, les lois tombent d’en haut de toute façon ! »
« Il faut de nouveaux modèles »
Mais la mauvaise humeur n’a pas pour autant dominé les débats. Certains font clairement crédit au ministre d’une récente prise de fonctions, qui ne lui permet pas de tout bouleverser tout de suite. Et d’ailleurs, la plupart des revendications et récriminations ne lui sont pas directement adressées. Ainsi : « Il faut valoriser les quartiers, il faut de nouveaux modèles, pour que les gamins rêvent à autre chose qu’à ouvrir un bar à chicha. Ils devraient rêver d’être pompier, pilote… » Besoin d’actions de tutorat pour les étudiants, besoin de concertations entre habitants pour changer le rapport à son quartier, besoin d’aide à la petite enfance, besoin d’inciter les entreprises à revenir, besoin de sécurité, refus d’être le déversoir des pollutions des autres villes… Et beaucoup de choses autour de l’emploi, on s’en serait douté, avec un taux de pauvreté à près de 33% dans les ZUS, selon le dernier rapport de l’Observatoire des zones urbaines sensibles, et un chômage endémique, pointant à 40% pour les jeunes hommes dans certains quartiers.
Il faut accueillir la culture dans les banlieues
La culture en banlieue, pour attirer le grand public
Mais certains débats soulevés ne seront pas traités. Ainsi d’une question lancinante dans les quartiers, relevée par l’animateur du débat car évoquée en filigrane dans le reportage à base de micro-trottoirs réalisés dans différentes banlieues de France, et diffusé en amorce de la séance : « Faut-il quitter le quartier quand on a un beau métier, ou y rester pour y créer de l’activité ? » Question restée sans réponse ; néanmoins, implicitement, beaucoup de prises de parole iront dans le sens de la nécessité de créer des lieux et événements culturels symboliques forts pour attirer le grand public dans les banlieues : « Il faut accueillir la culture dans les banlieues, comme avec la Villa Médicis à Clichy-sous-bois, car sinon, les jeunes ne font que rêver d’ailleurs » interpelle ainsi un étudiant habitant cette ville.
On a conventionné l’ouverture de Pôles emplois dans les banlieues
Lamy : « On a besoin d’une nouvelle Marche de l’égalité »
Le ministre lâchera quelques os à ronger pour un public qui a faim de changement maintenant : « Avec Michel Sapin, on a conventionné l’ouverture de Pôles emplois dans les banlieues. Nous allons proposer, avec Cécile Duflot, un changement de méthode dans l’attribution des logements, qui pourrait se faire à l’échelle intercommunale maintenant. Il faut aussi changer la manière dont fonctionnent les appels d’offre, afin que ce ne soient pas que les grandes entreprises nationales qui aient accès aux marchés, mais aussi les petites entreprises locales. » Avant de lancer, en guise de conclusion, ou presque : « On a besoin d’une nouvelle Marche pour l’égalité ». Assurément, agir dans les quartiers, même pour un ministre, est plus simple quand le peuple se mobilise.
Il ne faut plus faire pour, mais faire avec
Et si certaines interventions se font sur le mode « il ne faut plus faire pour, mais faire avec, il faut du participatif, il y a un dialogue à renouer entre ceux qui proposent des actions, du travail, et ceux à qui cela est destiné », certains spécialistes sont eux carrément désabusés sur l’action publique, ne vantant plus que l’action « par le bas » : « Je ne crois plus en la capacité de l’Etat à faire évoluer les choses, nous déclare ainsi, en marge des débats, un agent préfectoral, mi-fataliste, mi-idéaliste. Les politiques ne pensent plus qu’à l’étape suivante, et les collectivités ne font que du clientèlisme. Il faut repartir par le bas, avec des actions locales, du community organizing. » Grosse ambiance chez les hauts serviteurs de l’Etat…
NOTE : Le Ministre, comme ses prédécesseurs, souhaite proposer moult réformes sophistiquées pour aider les banlieues. Et si charité bien ordonnée commençait par le ministère lui-même ? En effet, par exemple, pourquoi faire appel à une agence de communication aussi gourmande que bien établie comme celle qui a été sollicitée pour produire des micro-trottoirs vidéo, animer et filmer les débats à bobigny ? Alors que la Seine-Saint-Denis regorge de petites structures locales pleines de talents et de compétences dans la communication... et qui sont en difficultés...