
Exilés, émigrés, immigrés

Dès 1789, des centaines de nobles fuient la France, apeurés par l’orage révolutionnaire et soucieux de protéger leurs privilèges. Ils se réfugient en Angleterre, en Prusse, dans l’empire austro-hongrois et ce qui deviendra la Belgique.
Vaudeville tragi-comique
2013 n’est pas 1789, et, on l’aura remarqué, François Hollande n’est pas un sans-culotte robespierriste. Depardieu n’est pas non plus le comte d’Artois, frère de Louis XVI et premier chef des émigrés contre-révolutionnaires. C’est d’ailleurs pourquoi on ne peut s’empêcher de penser, comme ironisait Karl Marx en comparant Napoléon III à Napoléon Ier, que l’Histoire est tragique, et que, quand elle se répète, elle le fait de manière comique. Car, par rapport aux premiers « émigrés » de 1789, et avec successivement Arnault, Depardieu et Bardot, on est bien en plein vaudeville tragi-comique. Il était temps, est-on tenté de dire, que les hyper-riches tombent le masque de comportements d’une indécente avidité, et on a bien envie de clamer, à la suite des prémonitoires argentins et du cri de Jean-Luc Mélenchon qui s’en suivit : « Que se vayan todos » ! « Qu’ils s’en aillent tous ! » S’ils ont envie de se repaître de leurs fortunes dans les palais du premier dictateur venu, grand bien leur fasse. Ces symboles décatis ne peuvent de toutes manières plus représenter qu’une France à bout de souffle.
Exil par le bas
Pourtant, le problème est plus vaste, car cette guignolade se double d’une autre réalité plus triste, elle, celle d’un exil « par le bas », pourrait-on dire, qui complète cette fuite des riches pour des raisons diamétralement opposées. Il s’agit de la fuite de nombreux français des périphéries qui ne trouvent pas de travail ou de quoi se loger décemment en France et partent à Londres, New York, Montréal, Dubaï ou Sydney, où ils sont accueillis à bras ouverts en raison de leur niveau d’études, de leurs compétences, de leur expérience, de leur dynamisme… Abdellah, Céline, Jil, Fahim, Juliette, autant de français maghrébins, antillais, varois ou issues de ce qui sont devenues autant de marges d’une société qui repousse de plus en plus de gens loin de son centre, et qui se sentent bridés dans leurs envies, sous-employés en France (*). Ils ont tous trouvé des conditions de travail et de vie qu’ils n’envisageaient plus ici. Tous ces jeunes entrepreneurs ou entreprenants semblent avoir implicitement répondu à un autre appel, publié il y a quelques mois, et émanant pourtant des lisières du show-biz, celui-là : un tonitruant « Barrez-vous ! », propulsé par un trio faisant plus penser au film de Sergio Leone « Le bon, la brute et le truand » qu’à une communauté de Robin des bois partageux.
Ce double mouvement, contradictoire dans ses intentions, l’un porté par l’avidité, l’autre par la nécessité, révèle néanmoins l’humeur centrifuge des élites ou de ceux qui pourraient en faire partie et restent bloqués dans un pays à l’ambiance sclérosée, renfermée, voire « moisie », comme l’affirmait naguère un écrivain mondain.
Lueur d’espoir : la France accueille encore chaque année pas loin de 200 000 nouveaux immigrés, et entre 90 000 et 120 000 étrangers obtiennent la nationalité française chaque an, depuis des années... Pour 120 émigrés à Londres ou en Belgique par an, on est encore loin de l’hémorragie que redoute (espère ?) la presse de droite. La France n’est pas un repoussoir pour tout le monde.
* A lire l'article : «Abdellah s'est barré ! »