Les élections selon le PS : joue-la comme Obama

Le 05-12-2012
Par Yannis Tsikalakis

Le charisme d’Obama et le coup de frais que ses équipes ont apporté à la politique américaine ont fait des émules. Notamment au Parti socialiste où l’on s’est ouvertement inspiré des méthodes de campagne des démocrates pour toucher les quartiers populaires français.

 

On a proposé non seulement de faire du porte à porte mais aussi d’en mesurer l’impact de façon scientifique

LA France aux Etats-Unis

« Les bostoniens ». C’est le surnom dont se sont vus affublés dans certains cercles du PS trois brillants étudiants français, Vincent Pons, Guillaume Liegey et Arthur Müller. Leur fait d’armes ? Avoir ramené la bonne parole de l’autre côté de l’Atlantique. En fréquentant des étudiants et des enseignants d’ Harvard et du MIT impliqués dans la campagne d’Obama en 2008, ils sont saisis par l’efficacité de leurs méthodes. Plus que l’utilisation intensive des réseaux sociaux, en train de devenir le b-a ba du marketing électoral, c’est le militantisme de terrain qui attire leur attention. En particulier le porte à porte. Cette méthode « à l’ancienne » est alors appliquée de manière systématique par les démocrates dans les quartiers à fort taux d’abstention. « On s’est dit pourquoi ne pas s’inspirer des méthodes utilisées aux Etats-Unis et montrer que ça marche en France » se souvient Vincent Pons, qui entamait alors sa thèse d’économie au MIT. « On a frappé à toutes les portes et on a fini par se connecter avec l’équipe de Jean-Paul Huchon pour la campagne des régionales de 2010. On a proposé non seulement de faire du porte à porte pour voir comment ça se passait, mais aussi d’en mesurer l’impact de façon scientifique » poursuit-il. Résultat : dans huit villes traitées (Montrouge, Malakoff, Bagneux, Domont, Villetaneuse, Peyrefitte, Sevran et le 11ème arrondissement de Paris) la participation est supérieure de 5% pour les adresses démarchées₁. L’opération est un succès et les « bostoniens » font un carton avec un atelier Yes we can à l’université d’été de la Rochelle. Ils intègreront par la suite une commission de réflexion créée par Martine Aubry  pour préparer un autre succès, celui de 2012. 
 
le modèle américain d’affirmative action mis en place dans les années 60 a permis l’émergence d’une classe moyenne issue des minorités

Les Etats-Unis en France

Entre temps l’influence américaine va se généraliser et, notamment par le biais de l’ambassade des Etats-Unis, des cadres du Parti démocrate vont traverser l’Atlantique pour former les militants français, tous partis confondus, et des « leaders de la diversité et des quartiers populaires »₂. 
La diversité, un sujet qui tient justement à cœur à Mehdi Thomas Allal, coordonnateur du "pôle immigration, intégration et non-discrimination" pour le think-tank Terra Nova proche du PS. Une structure qui a grandement contribué à l’importation des primaires à l’américaine au Parti Socialiste. « Il y a eu des voyages d’études des membres de Terra Nova pendant les primaires américaines pour étudier comment ça se passait sur place » se souvient-il₃. Mais si Mehdi Thomas Allal a les yeux rivés de l’autre côté de l’Atlantique, c’est surtout pour  « le modèle américain d’affirmative action mis en place dans les années 60 [qui] a permis l’émergence d’une classe moyenne issue des minorités₄. En France on est loin du compte puisque l’utilisation du critère ethnique est prohibée par la loi. Les critères géographiques et sociaux sont autorisés et permettent la diversité sociale qui est primordiale, mais ne recoupent pas forcément la diversité des origines qui est également nécessaire ». L’inspiration du multiculturalisme anglo-saxon dans la réflexion de Terra Nova est selon lui « clairement revendiquée, via l’appel à une France métissée lancé Par Marc Cheb Sun5 et Olivier Ferrand6, où plusieurs contributeurs ont fait des propositions sur le logement, l’emploi, les médias, les lieux de pouvoir…pour davantage représenter la diversité » [même si l’on pourra juger ces propositions pour la plupart évasives, NDLR].
 

Made in USA versus made in France ?

Certes la vieille Europe semble à bien des égards épuisée, et l’universalisme républicain français n’a pas forcément tenu ses promesses. Mais fallait-il vraiment attendre les américains pour refaire du… porte à porte ?! Cette méthode basique n’allait de toute évidence pas de soi, à l’ère du numérique. « Le porte à porte était pratiqué en France de façon locale, non systématique, explique Vincent Pons. Certains pensaient que c’était une méthode dépassée (…) Même aux Etats-Unis, ils avaient abandonné cette méthode pendant trente ans au profit de méthodes jugées plus modernes, comme l’envoi massif de courriers et les appels téléphoniques. » Deux lames de fond ont remis cette bonne vieille pratique au goût du jour : «  Le Community Organising, mobilisation de la société civile pour des causes autres qu’électorales, et les recherches universitaires, notamment à Yale, qui ont montré que le porte à porte était plus efficace que l’envoi de courrier ou les appels téléphoniques ».
 
On constate un clivage de classe important au sein des minorités, entre ceux qui ont eu accès aux programmes de discrimination positive et le reste du Lumpen Proletariat qui est resté dans la pauvreté

Prendre le risque d’une certaine communautarisation

Les méthodes réhabilitant le old school de l’équipe d’Obama n’ont pas pour autant changé le sort de 20 millions d’américains –souvent noirs ou latinos- qui vivent sous le seuil de pauvreté (et dont le niveau de vie s’est même encore sérieusement dégradé depuis 2008). Des limites que reconnaît Mehdi Thomas Allal, pourtant favorable au modèle multiculturel anglo-saxon : « On constate un clivage de classe important au sein des minorités, entre ceux qui ont eu accès aux programmes de discrimination positive et le reste du Lumpen Proletariat qui est resté dans la pauvreté ». Autre biais du modèle américain, la communautarisation de la société dans un pays où, à l’exception de quelques quartiers cosmopolites et branchés, les communautés vivent cloisonnées. Un moindre mal devant la réalité des discriminations, d’après Mehdi Thomas Allal, pour qui « si on doit passer par une certaine communautarisation de la société pour que les minorités soient davantage représentées dans les instances de pouvoir, si c’est un passage obligé, je suis prêt à prendre ce risque ».
 
il faudrait utiliser ce qu’on a en magasin : les critères géographiques et sociaux, en laissant tomber les quotas ethniques

Toucher les quartiers populaires 

Avec la nomination de ministres issus des minorités, le gouvernement Fillon avait marqué des points en ce qui concerne leur représentation –ou du moins leur affichage- et pris de l’avance sur le camp opposé. A-t-il pour autant marqué des points dans les quartiers ? « Même en nommant des ministres issus des minorités, ils n’ont réussi à capter que les élites, pas les quartiers populaires, qui continuent de voter massivement à gauche » remarque Mehdi Thomas Allal. Pour lui, les classes moyennes qui ont accédé au pouvoir, y compris dans son camp « ont retiré l’échelle ». Pour la rétablir dans les quartiers « il faudrait utiliser ce qu’on a en magasin : les critères géographiques et sociaux, en laissant tomber les quotas ethniques qui on créé trop de controverses ; mais renforcer les moyens qui sont insuffisants, et soutenir les associations, les médias indépendants ».
 
Les quartiers populaires, Vincent Pons les a visités en 2010 lors de la mise en pratique des méthodes importées. « On ne savait pas à quoi s’attendre se souvient-il. Il y avait des gens un peu remontés contre la politique. Mais le fait d’aller les voir chez eux était à contre-courant de l’idée qu’ils se faisaient de la politique, celle de la lutte des égos, des intérêts personnels. Quand ils voient des bénévoles qui ne sont pas là pour se faire élire, qui ont une démarche désintéressée, qui pensent qu’il y a une différence entre le candidat qu’ils défendent et celui d’à côté, même si aucun des deux n’est parfait, ils sont plutôt réceptifs ».
 
Il aura donc fallu attendre « les américains » pour se rappeler de l’importance du contact humain et que le fait « d’aller au charbon » passe plutôt bien dans les quartiers populaires. God bless community organizing ?
 
 
Yannis Tsikalakis
 
 
₁ Liegey (Guillaume), Muller (Arthur), Vincent (Pons), L'abstention n'est pas une fatalité , Esprit, 2011
 
₂L. Bronner, « Les militants français formés à la méthode Obama », Le Monde, 5 juin 2010.
 
₃Encore que le modèle adopté par le Parti socialiste en 2011 pour désigner son candidat aux présidentielles s’inspirait plus du modèle italien, puisqu’il était ouvert à toute la population, et pas seulement aux adhérents du parti… -NDLR
 
On pourra penser que c’est aussi le cas en France, notamment grâce à la fonction publique (le Bumidom, concernant spécifiquement  les Antillais, même si ce programme a été très décrié pour ses relents parfois néo-colonialiste ; ainsi que les nombreux postes ouverts de fait aux habitants des quartiers populaires dans la fonction publique territoriale (médiation, éducation populaire, régies de quartier, et travail social en général…) - NDLR
 
5Le rédacteur en chef du magazine Respect
 
6Fondateur et ex-président de Terra Nova décédé en juin 2012
 
 

 

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