La Reynerie, Tabar... : l'autre Toulouse – Episode 2 : Tabar

Le 16-10-2012
Par Erwan Ruty

La Reynerie et Tabar, deux cités toulousaines qui se relèvent diversement du trauma de l'explosion d'AZF, en 2001. Reportage à Tabar, où plus rien n’est comme avant. 

Un drame sans doute plus révélateur d'un sentiment d'exclusion des habitants que d'une complète destruction de leur lieu de vie. Et malgré tout, lorsqu'on s'échine à tenter de comprendre les projets urbains, l'aménagement, les cités et leur histoire, la conversation dévie invariablement sur l'humain, l'ennui, le vide, les envies, les rêves, les liens, mêmes difficiles.
 

« AZF ? Jamais je n'ai eu aussi peur »

Tabar est un petit labyrinthe de barres basses (trois, quatre étages pour la plupart), avec des voies d'accès qui serpentent entre elles comme pour mieux perdre le voyageur qui du coup ne risque pas de se hasarder par là, alors qu'à côté, de plus riants quartiers comme Papus, à côté de Bagatelle, jouxtent et servent de villégiature à des cadres moyens. Tabar, c'est un peu Berlin avant la chute du mur. Et pourtant les murs ont tremblé en 2001, avec AZF : « J'étais gardien d'immeuble à Empalot au moment de l'explosion. Ma vielle BMW a fait un bond d'un mètre ! Des bombes qui explosent, des balles qui sifflent, j'en ai entendu ! Mais jamais je n'ai eu aussi peur. Je ne suis pas sorti de chez moi pendant une semaine... » L'homme qui parle est un phénomène rare, un film, une pièce de théâtre, un sketch, une star dans le quartier. Le boss du quartier même. « Dédé ». André Wittouck. Un ancien légionnaire, d'origine anglo-belge. Un vieux gars râblé, le visage buriné, toujours rieur et mordant, le gars à qui on la fait pas. 
 

La chapelle mexicaine de Tabar

Il s'active au milieu d'une ribambelle d'enfants et de quelques acolytes, artistes entre deux âges, l'une, Brigitte, peintre de motifs muraux ambiance Chiapas ou locale, l'autre guitariste jamais à court de classiques de la chanson française, Moulaï. Depuis 47 ans, Dédé règne sur quelques arpents au coeur de la cité, enclave encerclée comme à Fort Alamo (ou Camerone), dernier des Mohicans d'une vie qui n'existe plus que dans ses souvenirs, avec pour ultimes centres de résistance et d'activisme : une minuscule « chapelle mexicaine » (c'est son nom), plantée d'un drapeau Bleu-Blanc-Rouge à son sommet, de trois pieds de tomate et melons qui résistent eux aussi à ses pieds, ainsi qu'un city stade où s'égayent quelques ados (« Ca a apporté une bouffée d'oxygène. Ils respectent le lieu d'ailleurs »). C'est là que le coeur de la cité bat. Dédé est connu comme le loup blanc, et semble d'une certaine manière respecté par tous, y compris ceux qui biznessent juste de l'autre côté des barres. Chacun son territoire, et les vaches sont bien gardées... « Il faisait bon vivre, au début ici. Le terrain de foot, de pétanque... » 
 

« L'argent restera toujours chez les riches »

On est juste sous un couloir aérien, et à côté de la rocade toulousaine. La conversation est ponctuée de décollages et d'atterrissages. « Quand ils lâchent le kerozen avant d'atterrir, ça tombe ici... Et la rocade, c'est toute la journée. Imaginez : il y a sept ans, Tabar n'existait pas sur les plans de Toulouse. C'était une cité fantôme... » Un voisin apporte alors un courrier à Dédé. Il ouvre : une invitation pour le onzième « anniversaire » d'AZF. « J'irai. J'y vais chaque année. Pour les morts, et pour les procès. Mais l'argent restera toujours chez les riches ». Les morts sont au nombre de trente. Beaucoup d'autres ne s'en sont que difficilement remis. François Grelier, de la cité du Parc à la Reynerie, par exemple, qui a lutté pendant plusieurs jours entre la vie et la mort, et puis a d'une certaine manière provisoirement ressuscité dans la lutte menée avec son « Comité des sans fenêtres ». Mais il reste des séquelles. François Grelier est encore régulièrement hospitalisé, en soins intensifs en ce mois de septembre. C'est lui a porté ce combat inégal à bout de bras, face à Total (propriétaire d'AZF) et à la mairie d'alors, de Droite, qui protégeait le groupe... contre ses administrés des quartiers populaires, leur semblait-il... 
 
« J'étais parti du quartier pendant dix ans, je suis revenu. Trois jours après, il y a eu AZF. On m'a traité de corbeau ! », raconte, mi-rigolard, mi-amer, André Wittouck. « On nous a cantonné pendant des semaines de l'autre côté de la rocade, au milieu des lapins et des serpents. La population s'en est trouvée endormie, endolorie. Le lien social n'existe pratiquement plus. Il y a eu un changement de personnalité, une méfiance générale de tous contre tous. J'ai essayé de la réveiller par la musique, j'étais forain. Faire du cinéma en plein air, il y a eu 500 personnes une fois, des marchés de nuit, des vides-grenier. Ca, ça marche : il n'y a aucun commerce de proximité, et à Papus, les prix sont beaucoup plus élevés que dans les grandes surfaces. Ici, il y a beaucoup de retraités et de familles mono-parentales. Pas de travail. » Le tout avec 2000 euros de la mairie. Du coup, parfois, l'ancien légionnaire, ancien de la DAS, ancien révolutionnaire (tendance LCR de l'époque où il fallait savoir cogner), est fatigué : « Je suis dans l'associatif depuis longtemps. Ca marchait mieux dans la Légion ! Mais ça m'a donné une autorité. Parce qu'ici, c'est la loi du Talion. Il faut des fois ouvrir la boîte à claques ! » raconte Dédé, soudain gourmand. 
 
 
 

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