
La Reynerie, Tabar... : l'autre Toulouse – Episode 1 : La Reynerie

Il n'y a pas besoin d'aller bien loin pour voir l'autre visage d'une ville jeune, dynamique, mais clivée comme Toulouse, comme le rapportait déjà un ouvrage de François Simon et Jean-Pierre Fonvieille, publié en 2000, « La fracture toulousaine ». Reportage à La Reynerie.
La Reynerie, un peu moins de 10 000 habitants, à une poignée de stations du Capitole, est une cité qui semble en suspens depuis des décennies, sans avoir trop profité du boom économique des hautes technologies qui ont fait décoller la ville après l'arrivée de EADS et du CNES notamment. Des petites cités bordent un paisible lac artificiel, copropriétés d'un côtés, HLM de l'autre. Un mini centre commercial où les épiciers ont baissé le rideau pour sortir leurs étals dehors, des grappes de jeunes qui tiennent les murs, ou siègent depuis des années au volant de leur voiture à l'arrêt. Et puis derrière, des barres d'immeubles, dont certaines vont être éventrées par des projets de rénovation urbaine. Pour mieux laisser passer la police assurent certains : Messager, Satie...
Maison de l'image et des rumeurs
Mais ce qui provoque la plupart des discussions, au ton suspicieux, ce sont les monticules de terre fraîchement retournée qui s'accumulent au milieu de la cité : préfiguration de la construction de la Maison de l'image. Avec le photographe Reza pour l'inauguration et l'animation d'ateliers. Difficile de croire que l'inauguration soit déjà prévue alors que les travaux ont à peine commencé, mais les rumeurs les plus variées échauffent déjà les esprits sur le coût de ce travail, sans qu'on sache trop s'il s'agit d'une exposition, d'ateliers... 30 000 euros évoqués par-ci, 250 000 par-là... qui dit mieux ? A la mairie, on précise : « Reza a plusieurs projets avec Toulouse, certains déjà en cours. Les sommes qu'il évoque sur son blog et attisent les rumeurs mêlent tout cela. Quant à la maison de l'image, on ne sait même pas quand elle va ouvrir ! Après 2014, sûrement. »
« Je vis au quartier, je meurs au quartier »
Au début des conversations, c'est un mélange de fatalisme et de colère qui s'exprime. Mais aussi une vraie soif de voir du neuf. A peine arrive-t-on à la cafeteria tenue par Nabil, une roulotte et dix chaises plus un barnum pour les jours de pluie, que le tôlier met de côté ses kebabs-frites pour se précipiter sur un exemplaire du Journal Officiel des Banlieues qu'on lui tend, au regret tout de même que ce ne soit pas Paris-Match. Il sort de son camion et va s'asseoir, se plongeant pendant de longues minutes dans la lecture du canard. Son pote Jaoued Sofi, de l'association Ambition Jeunesse, passe des coups de fil et serre les mains, distribue conseils en matière de boulot, et adresse mails pour envoi de CV. Il est dégoûté. En Master 2 de Management des entreprises, au chômage après quelques interims et contrats en CAE (Contrats d'accompagnement dans l'emploi), il manage actuellement plutôt les poignées de chômeurs qu'il croise toute la journée. Son association a eu la bonne idée de monter des rencontres sportives entre jeunes des quartiers et équipes d'entreprises : « C'est de la médiation sportive. On se disait : pourquoi on joue toujours contre nous et pas d'autres gens de l'extérieur ? Après, en plus, certains jeunes ne veulent plus travailler hors de leur quartier. L'extérieur leur fait peur du fait de tout ce qu'ils vivent. Je vis au quartier, je meurs au quartier. On a donc monté une équipe foot-entreprise, avec notamment des jeunes diplômés au chômage. Ces rencontres avec d'autres équipes, menées suite à un partenariat avec un petit snack de Papus, le Royal King, nous ont permis de faire embaucher quelques CDD, de trouver quelques postes en intérim... » Il n'y a pas de petite victoire qui ne mérite d'être célébrée, dans un contexte aussi précaire.
Croit-il en la rénovation urbaine ? En la mixité ? « Faire venir des gens d'ailleurs, ça ne marchera pas. Ils veulent faire une cité pour les étudiants [on est juste à côté de la fac du Mirail, 23 000 étudiants, NDLR], il y aura des vols. Reloger des gens ailleurs, ça ne marchera pas non plus : certains étaient partis à Ramonville [une cité voisine plus pavillonnaire, NDLR], ils sont revenus : ils n'ont pas trouvé la sociabilité d'ici, il y a une différence de culture ».
« Le foot, ça structurerait »
Car la sociabilité existe bien. Genneviève Bourrousse en témoigne. Cette douce retraitée à la jeunesse difficile, religieuse en terre de mission (mission impossible ?) habite tout en haut d'une des barres de La Reynerie. Elle s'occupe du local de la CNL (Confédération Nationale du Logement), mais tente surtout de gérer toutes les petites misères des familles du quartier avec une foi qui n'a pas peur de remplir le tonneau des Danaïdes, y compris ce jour-là pour réconforter une mère et son fils suite à une rixe avec une autre famille. « On a organisé une fête de quartier au pied de l'immeuble, il y avait 250 personnes. Il n'y a même pas de maison de quartier ! La mairie pense qu'il faut des gens plus costauds pour gérer ça et ne les trouve pas, ils cherchent des gens qui ont un idéal, et un projet.... Mais ils pourraient quand même aider à monter des équipes de foot pour les gosses, pour qu'ils aillent ailleurs. Ca les structurerait ».
Une croisière dans l'humanité
Des groupes de parole ont été mis en place avec les habitants et des travailleurs sociaux. « Mais il y a une gêne à parler. En plus, au début, les gens pensaient que de faire des réunions donnerait des avantages immédiats. Avec l'ancienne municipalité, c'est eux qui décidaient de tout. Mais c'est vrai qu'avec le bailleur, ça se passe bien. Ils tiennent compte des rapports que je leur fait trois fois par an pour dire ce qu'il y a à améliorer. » Genneviève est sceptique tant sur les projets de rénovation (« Les nouvelles constructions, c'est du papier à cigarette. Ici, à Satie, on refait tout, dans 25 ans, ça sera par terre. »), que sur la mixité (« Les copropriétés mélangées aux locataires, ça ne marche pas, surtout quand les premiers ne sont pas riches, et repoussent toujours les travaux à effectuer. A Messager, la mairie essaie de racheter les copropriétés pour faire avancer les travaux... ») Alors ? Que faire ? Continuer à se bagarrer pour les petits riens qui font vivre, malgré les difficultés. Ne pas renoncer. « C'est sûr que je passe une retraite active ici, sourie Genneviève. Mais ça me coûte moins cher que de partir en croisière sur des yachts ! Ici, je fais une croisière dans l'humanité... »