Roissy, antichambre du bled

Le 07-09-2012
Par Dounia Ben Mohamed

Chaque année, c’est le même cirque. Le terminal 2 de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle est pris d’une drôle d’effervescence : le retour au bled pour les vacances d’été. Ambiance… 

Aéroport Roissy Charles de Gaulle, terminal 2. Chaque année, à cette période de l’année, c’est le même scénario. L’aéroport est pris d’assaut par une espèce loin d’être en voie de disparition malgré ces temps de crise : les vacanciers. Le T 2 en particulier, d’où décollent les avions à destination du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Région de naissance ou d’origine de nombre de personnes vivant en France. Il y a ceux qui partent, ceux qui reviennent, ceux qui ne font qu’accompagner ou accueillir leurs proches. Quelle que soit la raison de leur présence, on lit sur leur visage la même expression : un mélange de joie et d’appréhension. La joie à l’idée de partir, retrouver leur terre natale, leurs proches, la chaleur et la douceur de la Méditerranée, le bruit et l’odeur du bled. Celle de retrouver parents, oncles ou tantes, enfants partis passer l’été chez les tontons du bled. Mais l’inquiétude aussi. A l’idée de rater son vol, de dépasser la franchise bagage, de rater papy à sa sortie des douanes… De rentrer au bled plus largement.
 
Je ne suis pas retourné au bled depuis plus de dix ans, Je ne pouvais pas rentrer si  je n’avais rien fait.

L’angoisse du retour

Hakim 38 ans, seul, lit et relit sa carte d’enregistrement. Dans moins de deux heures, il prendra l’avion pour Oran. La ville qui l’a vue naître. Celle où il a laissé parents, frères et sœurs, amis, il y a plus de dix ans. « Je ne suis pas retourné au bled depuis plus de dix ans, confie-t-il, passant la main sur sa barbe de quelques jours. Avant, je ne pouvais pas. Je n’avais pas encore mes papiers. Et après… Après je devais travailler, gagner de l’argent … Je ne pouvais pas rentrer si  je n’avais rien fait. » Mais comme nombre d’hommes dans sa situation, l’arrivée en France s’est accompagnée de désillusions et d’année en année les rêves se sont envolés. « Mes parents sont âgés. Je pouvais plus attendre. » Mais à l’idée de les avoir déçu, il angoisse. « En même temps, ils ne m’ont jamais rien demandé. Tout ce qu’ils veulent c’est me revoir » tente-t-il de se convaincre avant d’ajouter sourire aux lèvres : « si ! Ma mère me demande à chaque fois quand est- ce que je vais me marier !» Très vite le sourire s’efface et l’appréhension se lit à nouveau sur son visage.
 

Les petits plats de mamies, les fruits juteux des marchés, les pâtisseries gorgées de miel

A quelques sièges de lui, trois adolescents, visiblement frères et sœurs, discutant des premiers mets qu’ils vont dévorer à leur arrivée en Tunisie. Les traits marqués par le jeûne, leurs premières images du bled sont celles des petits plats de mamies, des fruits juteux qu’on retrouve sur les étals des marchés, des pâtisseries gorgées de miel qui abondent en ces temps de ramadan. « Moi, je vais me gaver de hendi (figues de barbarie). M’en fout si je suis malade. » « Arrête, la première chose que je veux manger moi c’est du salami. » « Tout ce que je veux moi c’est une bonne boga (soda) bien fraîche. » « T’es nul, y’en a en France. » « Ouaih, mais c’est pas pareil. La boga du bled, elle a un autre goût… » 
 

Perdus dans l’immensité de l’aéroport

En dehors de ces quelques passagers qui attendent leur vol, en cette fin de matinée, il règne un calme inhabituel dans le terminal. En dehors des vas et viens de ceux qui peinent à retrouver leur comptoir d’enregistrement dans l’immensité du site. Depuis la fin des travaux d’aménagement et de modernisation de cette partie de l’aéroport, Charles de Gaulle a pris les allures d’une ville à part entière. Restaurants et fast food, boutiques de prêt à porter, supérettes, agence de location de voiture, jusqu’à La Poste. Tout type de service est à disposition. A condition de les trouver. A force de lever les yeux vers les panneaux, écrans de télé et autres éléments d’orientation, il n’est pas rare de voir des voyageurs se percuter, envoyant de rapides excuses en différentes langues à la volée avant de reprendre le pas de course. 
 
Impossible de voyager léger quand on rentre au pays.

L’enregistrement des bagages, l’étape redoutée

Soudain, le calme de l’heure précédente est rompu par un intense brouhaha. Une vague d’hommes, femmes, enfants bardés de valises, sacs, cabas, déboule et chamboule l’espace. Pas de temps à perde, le vol pour Oran doit décoller dans une heure. Ils étaient convoqués 3 heures avant le décollage mais le gros des passages n’arrive que maintenant. Des problèmes de circulation sans doute. Des problèmes de bagages surtout. C’est le moment redouté de tous. Impossible de voyager léger quand on rentre au pays. En plus de ses propres nécessaires de voyage, il faut penser aux fameux cadeaux pour la famille. Des traditionnels paquets de thé et café aux médicaments en passant par les foulards, bonbons pour les enfants et autres présents régulièrement emportés. Sans oublier les commandes spéciales : un appareil photo pour le cousin, une parure de drap pour la nièce qui va se marier, des escarpins dernières tendances pour la petite sœur… Bref, des tas de bricoles à entasser dans des bagages largement en surpoids.
 
Remplis les sacs et dépêche toi ou l’avion va partir sans nous.

Des chaussures encore étiquetées, des paquets de café, des tablettes de chocolat…

Loin des comptoirs, dans un coin, une femme, la quarantaine, tente d’imposer à un sac de voyage déjà imposant, des chaussures encore étiquetées, des paquets de café, des tablettes de chocolat... Près d’elle, sa fille, la quinzaine, soupire. « Chaque fois c’est la même merde. Je lui ai dit qu’elle avait trop de kilos. Mais elle croit toujours qu’elle va réussir à arnaquer les gens de l’enregistrement. Alors que ça marche jamais. Et comme elle veut pas payer, elle veut passer ça en bagage en main. » Elle sort alors deux ou trois grands sacs en plastique qu’elle avait minutieusement pliés et mis de côté. « Viens ! hurle-t-elle à sa fille en arabe. Remplis les sacs et dépêche toi ou l’avion va partir sans nous. » « Qu’elle se démerde ! », marmonne sa fille avant de tourner les talons. Elle va s’asseoir et tapote nerveusement sur son Smartphone sans jeter un regard sur sa mère.
 
Même s’ils sont bruyants, stressés, les passagers qu’on y croise sont les plus sympas. Même si leur vol a cinq heures de retard, ils ne disent rien et attendent. Ils sont tellement heureux de rentrer au pays

Un terminal animé

Ce type de scène, Rose y assiste régulièrement depuis qu’elle travaille à l’aéroport. Profitant de sa pause pour avaler un café, elle sourit et commente : « Roissy l’été, c’est une autre ambiance. D’abord parce que c’est la période de l’année où l’aéroport est le plus fréquenté, avec Noël ; et après, parce que les gens sont toujours stressés. Tout est indiqué mais il faut tout leur expliquer, tout leur montrer, s’amuse-t-elle. Ce terminal est celui que je préfère. Même s’ils sont bruyants, stressés, les passagers qu’on y croise sont les plus sympas. Même si leur vol a cinq heures de retard, ils ne disent rien et attendent. Ils sont tellement heureux de rentrer au pays alors que les autres sont prêts à vous tuer. » Et d’ajouter : « Par contre, ils sont toujours en excédent. Alors, c’est le cirque avec les bagages. » La pause est terminée, il faut y retourner. Le terminal retrouve peu à peu son calme. Pour quelque temps. Un vol pour Marrakech est affiché pour 18h. Ses passagers ne vont pas tarder à arriver.
 

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