Les banlieues dans le purgatoire

Le 07-09-2012
Par Erwan Ruty

 

Le budget de l’Acsé gelé. Le récépissé contre le contrôle au faciès oublié. 80 plans de licenciements prévus. L’intérim en berne (-9% en un an). Les fonds promis par le Qatar dilués dans un hypothétique et flou ensemble de PME... Les nuages s’amoncellent au-dessus des banlieues. 

 
Pourtant, le bilan global des 100 premiers jours du nouveau pouvoir n’est pas mauvais : loyers relativement plafonnés, loi SRU devant passer de 20 à 25% du parc des villes de plus de 3500 habitants (et les amendes devant être multipliées par cinq), (très faible) hausse du SMIC, recrutement de 1000 professeurs dans le primaire, emplois d’avenir en partie (mais pas seulement) dédiés aux quartiers, retraite à 60 ans pour les carrières longues, arrêt de la RGPP, salaires des patrons du public plafonnés, contribution exceptionnelle sur la fortune, alourdissement des droits de succession, évasion fiscale compliquée, surtaxe des banques et des sociétés pétrolières, hausse limitée des prix de l’énergie et baisse (très faible) du prix de l’essence, hausse de l’allocation de rentrée scolaire, plafond du Livret A relevé, et on en passe… 
Rappelons-nous aussi de la période d’où nous sortons à peine : un sarkozysme de plus en plus virulent. Rappelons-nous aussi que le vote du 6 mai était surtout un vote de refus du président sortant, et même encore plus de sa personne que de sa politique. Tout n’est pas totalement noir.
 

Quel projet pour les banlieues ?

Pourtant, les bonnes mesures prises durant l’été restent souvent symboliques ou indolores. Qui plus est, la crise n’est pas coupable de tout. A Gauche, l’absence de projet, notamment pour les quartiers, va peser sur les années à venir si rien ne change rapidement. Ou à tout le moins, si des signaux forts ne sont pas tout de suite envoyés à ceux qui désespèrent de la politique. Le principal problème résidant dans l’absence de consensus à Gauche sur les grandes questions économiques et sur les solutions alternatives pour sortir d’une crise qui engloutit tout. 
Qui plus est, après trente ans de libéralisme, nous sommes définitivement entrés dans une société de marché où tout s’achète (à la baisse), et où la société est dans son ensemble convaincue que tout s’achète (à la baisse). Dans cette ambiance, rien n’est possible pour une Gauche qui est idéologiquement défaite. Qui n’a pas de relais syndicaux, associatifs, dans l’éducation populaire, les médias, suffisamment puissants pour accompagner une transformation globale de la société, ni même pour porter un projet nouveau pour les banlieues. 
Nous ne le répéterons jamais assez : « L’union fait la force, et la misère la divise / En période de crise, chacun mise sur son biz » (NTM / NAS, « Affirmative action »). 
A court terme, la seule politique possible semble donc celle d’une résistance à l’implosion d’une France fracturée entre zones rurales, zones urbaines, zones pavillonnaires périurbaines… et banlieues populaires. Implosion sociale, effondrement économique, déliquescence politique et extrême-droitisation des esprits, tel est le cocktail délétère qui menace de dissoudre la République à terme.   
Comme les marseillais le disent déjà, « ceux qu’on lâche font parler la Kalash ». Une situation de pourrissement, qui certes n’est extrême que dans certains quartiers, menace néanmoins des territoires de plus en plus vastes. Et surtout, le repli sur soi guette partout.
 
Les quartiers qui sont en crise depuis trente ans savent intuitivement que la croissance des Trente glorieuses ne reviendra pas. Depuis que la société industrielle s’est effondrée, ils n’ont plus de place dans le système productif français. Déjà que les populations issues de l’immigration africaines elles-mêmes n’avaient une place que marginale et dominée dans le roman national…. 
Un double défi doit donc être relevé, qui ne relève pas seulement d’une question de moyens, mais aussi d’un projet global de société. Il faudra certes un ministère de l’Egalité des territoires pour repenser cette place dans l’architecture de la société française, mais beaucoup plus que cela : un effort du pays lui-même, et notamment de ses élites, pour repenser à un nouvel édifice qui fasse société.
 
Les banlieues sont dans le purgatoire, sur le fil du rasoir. Avec elles, toute la France peut basculer d’un côté ou de l’autre, rapidement. Le changement, et pas celui qu’on attend ni celui qui assure qu’il faut « tout changer pour que rien ne change », le mauvais changement, hirsute, violent, pourrait bien venir très vite et faire très mal. Gare !
 

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