NYFA : l'appel de l'Afrique à sa diaspora

Le 29-06-2012
Par Dounia Ben Mohamed

Près de 600 leaders politiques et économiques africains s'étaient donné rendez-vous du 8 au 10 juin à Libreville, pour poser les bases d'un think thank d'un genre nouveau : le New York Forum Africa (NYFA). L'occasion pour ce pays leader de lancer un appel inédit à la diaspora. 

Le tout afin de mettre fin à l'un des plus anciens maux de l'Afrique : la « fuite des cerveaux ». Jusqu'à présent, c'est depuis Berlin, Paris, New York ou Genève que le sort de ce continent était scellé. L'arrivée d'une nouvelle génération de décideurs à la tête des états comme des entreprises du continent, tend à changer la donne. Pour preuve, la tenue, du 8 au 14 juin dernier, à Libreville, d'un sommet d'un genre nouveau. Le New York Forum Africa. Un concept que l’on doit à Richard Attias, géant dans la communication évènementielle sur la scène internationale (et accessoirement époux de l’ex Madame Sarkozy, Cécilia Attias). Ce dernier, après avoir organisé pendant plusieurs années le forum de Davos, lui a créé un concurrent à New York, davantage axé sur le monde des affaires : le New York Forum. Un concept qu’il a depuis entrepris de délocaliser… en Afrique. Le New York Forum Africa, selon lui, « se veut un forum panafricain de premier plan, réunissant toutes les générations de décideurs et d’experts afin de collaborer à l’émergence d’une Afrique gagnante, innovante, prospère, autonome, stable, qui jouerait un rôle de premier plan dans le nouvel ordre économique mondial. »

Une première édition au Gabon

Et pour sa première édition africaine, le choix s’est porté sur la capitale gabonaise pour un certain nombre de raisons. La plus évidente, du moins pour les organisateurs : la position géostratégique de ce pays, à moins de six heures de l’Europe, et au carrefour entre l’Afrique de l’Ouest, de l’Est et Australe. C’est aussi parce que le Gabon d'aujourd’hui est un pays en pleine ébullition. Dans le cadre de la feuille de route initiée par le chef de l’Etat à son arrivée au pouvoir, qui prévoit de faire du Gabon un pays émergent d’ici 2025, il est donc en pleine campagne promotionnelle à travers le monde pour attirer les investisseurs. Ali Bongo Ondimba n’aura sans doute pas manqué d’arguments pour convaincre les organisateurs du NYFA d'accueillir l’évènement à Libreville. Il aura pu s’appuyer sur la réussite de la Coupe d’Afrique des Nations, co-organisé avec brio par le Gabon, à la surprise générale. Mais si le NYFA devait être pour le Gabon une nouvelle opération d’autopromotion, pour les organisateurs et les participants, en revanche, l’objectif est ailleurs.

Associer la diaspora au développement du continent

Le NYFA a été pensé et développé comme un nouveau think thank dont l'ambition n’est autre que de repenser l'avenir du continent. En fédérant toutes ses énergies, ses compétences. A commencer par la diaspora. « Je veux dire à nos jeunes que nous sommes fiers d’eux et nous comptons sur eux pour l’avenir. Demain, le continent sera entre de bonnes mains, a déclaré le président de la République gabonaise, Ali Bongo Ondimba. Vous devez revenir sur le continent et nous, les leaders comme moi, devons mettre en place les moyens nécessaires pour que ce retour vous soit profitable ». Encore faut-il les attirer sur le continent. « L'Afrique doit davantage intégrer la diaspora, a recommandé Richard Attias. Quand ils vont travailler en Europe pour des cabinets comme McKinsey ou autre, c'est parce qu'on ne leur offre rien à la hauteur de leur compétence et de leurs ambitions dans leur pays d’origine ». « Il faut créer l'offre », a insisté l'ancien ministre des finances du Maroc, Salaheddine Mezouar. Lequel parle en connaissance de cause : le Maroc est le seul pays du continent, ou presque, à avoir mis en place une politique à destination des Marocains de l'étranger. A travers le ministère des Marocains résidant à l'étranger (MRE), dont l'objectif est non seulement d'encourager les ressortissants à investir au Maroc, dans l'immobilier notamment, mais également à apporter leur contribution au développement socio-économique de la nation, en mettant à contribution les compétences acquises ailleurs.

Favoriser le retour des compétences par une compétitive

« Il faut que les pays donnent envie à leur élite de rentrer, poursuit l'ancien ministre. Au Maroc, on a favorisé le retour des compétences en créant une offre. » Une opération de séduction été mise en place, à destination des jeunes étudiants marocains partis étudier en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs, en partie grâce à des bourses de l'Etat marocain. Dans des secteurs comme la communication, les nouvelles technologies, l'engineering entre autres, le Maroc a lancé des offres d'emploi, ciblant les Marocains en cours de formation dans des grandes écoles de Paris, Londres ou New York, pour leur proposer des postes de cadre à pourvoir dès l'obtention de leur diplôme.

Juste retour des choses

« Même si le salaire n'est pas toujours équivalent à des postes similaires en Europe, beaucoup comme moi ont  très vite été séduits, confie Hassan, ancien élève de HEC à Paris, aujourd'hui consultant dans une société marocaine. D'abord parce qu'on était tout de suite recruté pour des missions à la hauteur de nos diplômes, alors que le marché de l'emploi est saturé en France. Surtout pour nous, originaire d'Afrique. Ensuite parce que c'est un juste retour des choses : on a pu étudier à l'étranger grâce aux bourses mises en place par l’État, ce qui signifie qu'ils ont parié sur nous ; c'est normal, en retour, de contribuer au développement de notre pays grâce au savoir-faire acquis ailleurs. » 

Des jalousies qui découragent

Reste que si tous les pays du continent mettent à la  disposition de leurs meilleurs élèves des bourses pour étudier à l'étranger, à différents niveaux, dans l'idée de les voir revenir au pays, rares sont ceux qui accompagnent cette politique d'un encouragement au retour par une offre d'emploi compétitive. « Au contraire, quand tu veux rentrer au pays, pour y monter une affaire, créer des emplois, t'investir chez toi quoi, ils font tout pour te ralentir ou te barrer la route, comme si tu représentais une menace pour eux ! dénonce Amadou, Malien. C'est pire pour ceux qu'ils veulent travailler dans la fonction publique. Alors qu'eux font l'effort de revenir, sachant qu'ils seront moins bien payés, qu'ils auront moins de moyens techniques et humains à leur disposition, ils sont mis en bas de l'échelle par les aînés qui ont peur de les voir leur piquer leur place. »

« Nous-mêmes, Africains, nous dénigrons notre continent »

A ce problème générationnel, s'en ajoute un autre : l'image du continent. Ceux qui l'ont quitté depuis longtemps ont du mal à voir les changements en cours. Et les amener à reprendre le chemin de l'Afrique passe aussi par un changement de regard sur le continent : « Nous-mêmes, Africains dénigrons notre continent en parlant de risque plutôt que de potentialités », juge Liban Soleiman, un de ces jeunes qui s'est formé à l'étranger avant de s'engager pour le développement du continent. Il est aujourd'hui conseilleur spécial du président de la République gabonaise. C'est un fait, alors que les pays du Nord, "la vieille Europe", en premier lieu, traversent une série de crises économiques et financières, l'Afrique affiche une croissance économique soutenue, entre 4 et 6% pour 2012. La démographie de l'Afrique est également une source d'opportunités : sa population devrait atteindre les 2 milliards d'habitants d'ici à 2050. Mais si les défis restent nombreux : bonne gouvernance, stabilité des États, construction des infrastructures, sécurité alimentaire... L'émergence d'une nouvelle génération de talents déterminés à se faire entendre sur la destinée de leurs nations et de leur continent, et d'un nouvel état d'esprit qui entend asseoir le décollage du continent, en pariant sur ses forces vives, permet d'envisager toutes les possibilités.

A l'image du NYFA. 

De l’avis général, des hôtes, des participants avant tout, cette première édition aura tenu ses promesses. Un nouvel espace de réflexion et de décision en Afrique, pour l’Afrique, et par l’Afrique, est né. Encore faut-il aller au bout de l’idée. Ce qui signifie rejouer l’exercice dans un an… et dans une autre ville. A la clôture du NYFA, ABO a donné rendez-vous pour l’an prochain, même lieu. Richard Attias, lui, s’est dit ouvert à toute proposition. 
 
 

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