
Printemps des quartiers: « Nous ne sommes pas des Mohamed Mérah »

Programmé avant les tueries de Toulouse, le Printemps des quartiers qui s’est tenu à Bagnolet le 31 mars, a été rattrapé par l’affaire Mérah. Du moins pour les intervenants. Car du côté de la salle, les attentes étaient d’un autre ordre : comment faire face aux discriminations et à l’islamophobie dont sont doublement victimes les habitants des quartiers populaires. Ambiance.
Force est de constater que le public s’est rendu nombreux à la rencontre. 600 personnes selon les organisateurs. Peut-être moins. Quoi qu’il en soit, le gymnase Jean Renault qui accueillait la manifestation, affichait complet. Avec une population assez inhabituelle pour ce type d’évènement. Des jeunes aux mères de famille, voilées ou non, jusqu’aux Chibanis. Des habitants du quartier essentiellement. Ainsi que des étudiants, des universitaires. Des personnes « d’apparence musulmane » comme diront certains, en grande majorité. Des personnes sensibles à la question de la vie dans les quartiers, surtout parce qu’ils y vivent. Et donc victimes d’une double discrimination, en tant qu’habitants des quartiers populaires français et en tant que citoyens français ou non de confession musulmane. D’où la présence, plus qu’importante, de l’affaire Mérah dans le débat.
« Pas de voix pour les islamophobes »
« On ne pouvait pas ne pas en parler, admettra Youcef Brakni, qui ouvre la séance. Ni de l’instrumentalisation dont cette affaire a fait l’objet. Au lieu de s’interroger sur les raisons qui pourraient nous permettre de comprendre son acte, on n’évoque qu’une raison, le djihadisme salafiste. Utilisé à toutes les sauces sans savoir de quoi l’on parle. » Le jeune homme évoquera ensuite les pressions qu’ont subi les organisateurs pour interdire le meeting. « Tous les 5 ans, pendant les élections, tout le monde sait qui sont les musulmans. Pas de voix pour les islamophobes ! » lâchera-t-il, approuvé par des applaudissements et des sifflements dans la salle. Neimane Amraoui, du Groupe d'Associations de Bagnolet, relance en témoignant de ses expériences à la fois personnelles et collectives, en tant que militant musulman de Bagnolet. « Ici à Bagnolet, quand on a voulu créer la mosquée de Bagnolet, ils se sont tous unis contre nous. »
« En tant que musulmans, que faire ? »
« Ils », les élus locaux, les représentants des collectivités locales, pour lesquels « il y aurait de bonnes et de mauvaises mosquées, les bonnes étant sous la tutelle de l’Etat » et donc bénéficiant de subventions. Eux, ont refusé d'être "mis sous tutelle". « Quand il y a eu en 2004 la loi contre le voile, on s’est dit en tant que musulman, que faire ? Monter des associations oui, mais nous on voulait aller au-delà, créer quelque chose de nouveau. Ce qui passe par l’autonomie. Avec quelques sacrifices. Comme le fait de ne pas avoir de salle. Seule chose possible pour nous dans les quartiers pour faire entendre notre voix. Mais au niveau national, on ne pèse rien. Il faut exporter le modèle de Bagnolet, via les Indigènes de la République, via le printemps des quartiers, pour mettre en lien toutes les minorités, toutes les banlieues, et faire comprendre que les quartiers ont la possibilité de s’organiser pour revendiquer leurs droits. »
« C’est avec la sortie du silence que l’on a vu apparaître l’islamophobie. »
L’intellectuel musulman suisse Tariq Ramadan a de son côté appelé l’assistance à créer « un rapport de force ». « Depuis 1989, on entend, à gauche comme à droite, attention à ne pas confondre islam et islamisme. Mais on ne parle que de djihadisme et forcément on s’en prend à l’islam (…) Ce n’est pas à eux de nous dire comment penser, nous habiller, prier ! » Le but selon lui : « Faire taire la parole critique (…) Le plus grand danger pour les politiques c’est de donner à ceux qu’on a mis dans l’altérité les moyens de la pensée critique et démocratique. Et c’est ce qui est en train d’arriver ». Un constat fait également par le sociologue Saïd Bouamama, militant du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires. « C’est avec la sortie du silence que l’on a vu apparaître l’islamophobie. »
« On se drape des valeurs de la République pour justifier l’exclusion et la discrimination. »
L’islamophobie justement, qui selon la juriste Nawel Gafsia, a trouvé une arme de taille en la loi de 1905. « Depuis plusieurs années, notamment à travers la question du voile, on se drape des valeurs de la République pour justifier l’exclusion et la discrimination. » A l’égard des musulmans en l’occurrence. « Comme cela peut faire l’objet de sanction pénale, on va trouver une nouvelle manière, on va justifier l’exclusion par le biais de la laïcité. » Un concept qui se voit alors détourné. « Ce qui n’est pas sans conséquence, on stigmatise les musulmans, notamment les femmes voilées, victimes de discriminations. Au nom du respect de la laïcité, et du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, on va interdire aux femmes de travailler, d’avoir accès à une formation, un emploi qui leur permettrait d’être indépendantes de leur mari. Ce qui est totalement contradictoire. »
« Il y aura un avant et un après la tragédie de Toulouse Montauban. »
Houria Bouteldja qui devait apporter le mot de conclusion, admettra avoir changé son intervention depuis l’affaire Mérah. Car selon elle, incontestablement, « il y aura un avant et un après la tragédie de Toulouse Montauban. » « Mohamed Merah c’est moi. Comme moi, il est d’origine algérienne, comme moi il a grandi dans un quartier, comme moi il est musulman. (…) comme moi, il a subit l’incroyable campagne mediatico-politique islamophobe qui a suivi les attentats contre les deux tours » confie-t-elle avant de s’en démarquer : « Mohamed Merah, c’est moi et ça n’est pas moi. (…) Par son acte, qu’il soit un jeune homme paumé ou agent de la DCRI, il a rejoint le camp de nos adversaires. (…) Nous ne pouvons pas combattre le racisme et le devenir nous-mêmes.»
« Non, Mérah, ce n’est pas moi ! »
Si son intervention, poignante et juste, sera attentivement suivie par une salle plus qu’absorbée, ses propos déclencheront de vives réactions. « Non, Mérah, ce n’est pas moi ! », affirmera un jeune homme. « Un produit français. On est tous allé à l’école avec des Mohamed Mérah, dira un autre. Mais on ne va pas se laisser piéger. Nous sommes en période électorale. » Un autre encore, prendra à parti, une fois n’est pas coutume, Tariq Ramadan : « Vous critiquez les Etats-Unis, Israël, mais vous soutenez le CNT [le conseil national de transition libyen] et vous être proche des Qataris, dites nous clairement quelles sont vos positions ! Vous prenez à partie la salle mais soyez plus clair pour être plus crédible. » Ainsi, contre toute attente, le public n’était pas venu pour parler de l’affaire Mérah, ainsi que l’indique une jeune femme : « J’avais cru comprendre que c’était une conférence sur les quartiers et pas sur l’affaire Mérah ». « On attend de vous des réponses très concrètes, interpellera un jeune homme. Comment réagir aux discriminations dans les quartiers ? » « Si on s’arrête à toutes ces attaques, on est écrasé, mais dans le monde, répond une jeune femme, une vague d’espoir s’est levée et a fait tomber des dictateurs pourtant soutenus par la France et les USA. Ce qui est en marche c’est l’organisation collective, en suivant ce qui a été fait à Bagnolet, on saura comment réagir. Comme aux Etats-Unis où à deux crimes racistes [celui de Trayvon Martin et de Shaima Alawadi, Irakienne] dans les écoles, des enfants ont répondu en prenant des photos de personnes en sweat à capuche et foulard, même combat. » Et la jeune femme, voilée, manifestement émue, d’ajouter le geste à la parole en recouvrant son foulard d’une capuche.
« Si on pense que l’on va changer le parti de l’intérieur on se trompe »
La réponse, ou du moins une esquisse de réponse, viendra d’Alima Boumédiene, ancienne Sénatrice des Verts. « Le travail associatif, militant est important parce qu’il laboure le terrain et participe à la prise de conscience. Il n’y a pas aujourd’hui de désert politique dans les quartiers mais une réelle prise de conscience » Partant de sa propre expérience, elle invite, elle aussi, l’auditoire à s’organiser politiquement pour faire plus de poids. « S’engager dans un parti ou créer un parti politique, je sais ce que c’est, j’ai donné. Si on pense que l’on va changer le parti de l’intérieur on se trompe. Le rapport de force ne pourra se faire que si on créé un parti, pas le nôtre, mais un parti ouvert à tous, seul moyen de se faire entendre et de se faire respecter. »
La leçon de cette rencontre, est que le public musulman version 2012 est un public averti, exigeant. Contrairement à certaines idées bien répandues, les jeunes musulmans des quartiers, loins d’être des Mérah en sommeil, ne cherchent ni nouveaux prêcheurs ni nouveaux messies mais des outils, des supports pour mieux se faire entendre, se défendre, face à une montée de l’islamophobie qu’ils ne sont plus prêts à subir. Et à défaut d’avoir pu trouver écoute et soutien au sein des grandes formations politiques françaises, ils se tournent désormais vers le secteur associatif, y compris vers des associations à caractère religieux.
Dounia Ben Mohamed