Amadou Gaye Le griot des petites gens

Le 24-02-2012
Par xadmin

Après avoir rendu hommage aux chantres de la négritude dans un premier spectacle, Amadou Gaye récidive avec « Paroles de nègre ». Un retour sur scène après des débuts dans la réalisation, pour se tourner vers la photo ensuite, avant de revenir à la comédie aujourd’hui. Avec la même idée « chanter les petites gens ». Portrait.

 


L’homme est fatigué. Il a joué la veille. Malgré une bronchite. Les traits tirés, il garde tout de même sa bonhomie. Touchant, Amadou Gaye est avant tout un homme qui aime parler. De lui, des autres avant tout. Il parle vite, de peur d’oublier des épisodes de l’histoire de ses vies, quitte à perdre le fil, mais tout en arrivant à le reprendre quelques minutes plus tard. Les quelques cheveux blancs qui s’échappent de sa tignasse ramassée sous un couvre-chef très parisien, laisse deviner qu’il n’est pas tout jeune. Alors que son énergie, sa mémoire d’éléphant, démontrent qu’il est encore plein de vie. Et d’envie. Il fait des allers retours entre le présent et le passé, le Sénégal de son enfance, la France, son lieu de vie. « Ma mère m’a toujours dit, on est le territoire où l’on vit. » Pour lui, ce sera Paris, incontestablement. Il revient sur ses débuts dans la réalisation… à l’âge de 13 ans ! Et sur ses déboires à son arrivée en France. « Je voulais être acteur mais quand je suis arrivé à Paris je n’ai pas trouvé ma place dans le cinéma français. J’ai joué un peu, mais on ne me proposait jamais de rôle qui m’intéressait. Ce n’étaient que des caricatures. Je n’aimais pas ça. » Ce sera alors la photo. Le temps de trouver mieux, mais finalement, il se laissera prendre au jeu. Il prendra des cours du soir à l’école Louis Lumière pour entrer une école de photo et finir … photographe de mode. Ce qui peut surprendre au regard de son parcours. D’ailleurs, il ne s’y plaira pas. « Je m’emmerdais. L’univers du mannequinat est très formaté. Je voulais être libre mais on n’était pas du tout dans la création. Je n’étais pas à l’aise. Je cherchais mon identité dans la photographie. Et puis je me suis dit : attends ! Quand j’étais petit, au Sénégal, nous avions des griots qui chantaient la beauté des femmes, des petites gens. » C’est là qu’il devient le griot des petits gens, à son tour, à Paris. 

Montrer cette France rayonnante de couleur et d’arc en ciel

Nous sommes dans les années 80. « A cette époque, je n’aimais pas du tout les photos que l’on publiait dans la presse sur les Noirs, l’immigration, toujours des choses cafardeuses. Je ne retrouvais pas la réalité que je vivais, personne ne parlait du métissage. Je voulais montrer ce vivre ensemble, cette France rayonnante de couleur et d’arc en ciel. » Il va ainsi réussir à vendre ses clichés à des agences de photographie et sera publié dans différents types de presse. « Mais personne ne voulait me signer ! Quitte à me payer en double droit. On me disait : "Ce n’est pas nous, ce sont nos lecteurs". Mais j’ai persisté. » Amadou obtiendra gain de cause. Il publiera plusieurs livres de photos dont « Génération métisse » préfacé par Yannick Noah. Suivi de « Paris la Douce » et « Paris la Garce ». « Le Paris des femmes. Des femmes joueuses, qui cultivent le futile, l’agréable et le dérisoire. Des femmes libres. J’aimais photographier ces femmes.  Comme les griots de chez moi. » Le premier sera tiré à 500 000 exemplaire, le second, en argentique, à 100 000. « Je les ai dédicacés dans les bars. C’est mon truc. Rencontrer les gens. J’expose un peu partout. Dans les marchés, les cafés.» Dans son quartier, Belleville. Même s’il n’y vit plus, il y reste très attaché. « Il y a bien des Français qui photographient l’Afrique moi je photographie la France ! C’est ici que je devais construire quelque chose. Et je suis content de l’avoir fait. Des Africains sont venus me voir à mon spectacle et m’ont dit « Tu nous représentes  bien ! » Un spectacle justement qui s’impose à lui comme une évidence.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Je fais appel à la négritude qui est en moi »

« Ce sont mes voix intérieures qui m’ont dit de faire cela.» Après le succès de « Négritudes » qu’il présentera à Paris, dans la région parisienne mais également en province, en 2010 et 2011 il récidive avec « Paroles de nègres ». « C'est un mélange de manioc, de canne à sucre servi avec du bon vin Français. » Les auteurs sont tous noirs, d'Afrique, de la Martinique, d'Haïti, de la Guyane, de la Guadeloupe et d'Amérique du nord.… Les grands noms de la négritude. Des plus connus, Césaire, Senghor, au moins célèbre mais tout aussi intéressant. Du Guadeloupéen Paul Niger, qui fut un des premiers avocats noirs, à Jacques Roumain, écrivain et homme politique haïtien fondateur du parti communiste haïtien. Et bien d’autres encore. « C’est dans la continuité du précédent spectacle mais avec de nouveaux auteurs, de nouveaux textes. Un jeu différent. J’ai toujours eu du plaisir à les lire, depuis gosse. J’avais envie de faire partager ces poèmes. » Un spectacle fait et dit par Amadou Gaye cette fois. « Pour le précédent spectacle, Gabriel Deby m’avais mis en scène. Il m’a laissé une grande liberté. Un metteur en scène peut briser cela. Rompre le fil de la création. Ce qui est important c’est de donner à voir, à entendre et à sentir. Et la mise en scène suit naturellement. » Une mise en scène loin des canons académiques français. Seul sur scène pendant près d’une heure, il vit ces textes, redonne corps à leur auteur. Un exercice très physique pour lequel il s’impose un travail de préparation très exigeant. « Je répète 4h par jour, aux Buttes Chaumont ou au parc Monceau. Le rythme me vient comme cela. En marchant. Je fais appel à la négritude qui est en moi. Et c’est ce qui plaît aux gens. Je suis le griot de ces poètes. Ce n’est pas un travail de militant. » Plus l’œuvre d’un passionné de la littérature nègre. « Le mot nègre inquiète les Blancs et peut faire peur à certains Noirs. Cela vient du fait qu’il a été longtemps instrumentalisé politiquement. 

Une littérature à part entière

« Pour ma part, je retiens le mouvement littéraire né à Paris dans les années 30 alors que les murs de France étaient recouverts des « rires Banania ». Paris où se rencontrèrent et discutèrent les étudiants noirs venus de partout : d’Afrique, des Grandes et Petites Antilles, de l’Amérique, de l’Océan indien. Paris où ces étudiants découvrirent leur négritude dont les chefs de file furent le martiniquais Aimé Césaire, le sénégalais Léopold Sédar Senghor et le guyanais Léon Gontran Damas. Ils font naître la poésie négro-africaine d’expression française. Et c’est une littérature à part entière. Belle, flamboyante, rayonnante de fierté retrouvée et gorgée de fraternité qui traverse toutes les frontières. La négritude a été trop décriée parce qu’elle a été instrumentalisée, politisée. Mais c’est un mouvement littéraire, une littérature à part entière. Enfin, une littérature qui gagne à être connue et reconnue en France. Qui n’est pas assez enseignée. » 

Des Noirs, des Blancs et même des Jaunes !

Alors que l’intérêt est manifeste. Pour preuve, la réussite de son spectacle. « Hier, la salle était pleine ! Des Noirs, des Blancs, il y a même des Jaunes ! Des vieux, des jeunes. C’est très intergénérationnel. Des gens du quartier et d’ailleurs. Je ne cherche pas à toucher un public en particulier. Ce sont des poèmes qui valent la peine d’être connus. Je me dis que je dois les faire connaître. Et je prends du plaisir à le faire. » Au Théâtre Popul’air du Reinitas, dans le 20e arrondissement jusqu’à fin mars avant de le faire voyager à nouveau, en province. « Ce théâtre est un laboratoire pour moi. Belleville m’inspire. Même si depuis quatre ans j’habite à Fontenay-aux-Roses (92), j’y retourne toujours. Le 19e, le 20e, ce sont les meilleurs quartiers de Paris. Ce sont des quartiers où l’on vit ensemble. Quand on a voulu déloger les immigrés pour les envoyer en banlieue, tous les habitants du quartier, les commerçants, les artistes s’y sont opposés. Une bataille qu’ils ont gagnée. On y trouve une véritable solidarité. Les gens se mélangent. » Même si c’est moins le cas aujourd’hui. « Ça c’est un peu perdu. C’est lié à la politique. Il n’y a pas la volonté que les gens vivent ensemble. » 
 

Dounia Ben Mohamed

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