
Les sénégalais de Paris contre « le putsch constitutionnel de Wade »

Des centaines de Sénégalais se sont réunis, samedi 4 février, à Paris sur l’esplanade du Trocadéro, contre la candidature du président sortant, Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle du 26 février. De Dakar à Paris, même mot d’ordre : « Nadem ! Nadem ! », « dégage » en wolof.
Les vendeurs de tours Eiffel et autres camelotes à touristes ont échangé leur barda contre des pancartes, T-shirt, et mégaphones. « Aujourd’hui, on ne travaille pas. C’est trop grave ! lâche à bout de souffle Ousmane, 24 ans. Il y a des morts au Sénégal ! Il faut qu’on les soutienne. Ici même. Même si on est en France, on reste Sénégalais. » Avec lui, près d’un millier de Sénégalais selon les organisateurs, qui ont sans doute vu un peu large. Reste que malgré le froid, les Sénégalais de Paris ont répondu massivement à l’appel des partis et mouvements de la société civile sénégalaise en France. Un rassemblement unitaire avec un seul mot d’ordre : dénoncer le « putsch constitutionnel de Wade ». Depuis plusieurs mois, la candidature à un troisième mandat du chef de l’Etat sénégalais, 84 ans, embrase le pays de la Terenga. Avec l’annonce par le Conseil constitutionnel de la validation de cette candidature contestée, la colère est montée d’un cran. Des manifestations, à Dakar, la capitale, comme en province, ont mal tourné, avec des affrontements entre les forces de l’ordre et les frondeurs. L’élection présidentielle, prévue le 26 février, suscite toutes les inquiétudes. Celles des Sénégalais de la diaspora notamment. Des premières opérations spontanées organisées la semaine dernière devant l’ambassade du Sénégal à Paris, loin d’avoir déplacé les foules, ont fini par des arrestations de jeunes gens qui ont cherché à forcer l’entrée. Cette fois, l’ambiance est bon enfant même si nul ne cache sa colère.
« Wade doit savoir que même la diaspora ne le suit plus »
Le titre de rap qui tourne en boucle est couvert par les cris de la foule qui a adopté le slogan de la rue sénégalaise : « Nadem ! Nadem ! » « Dégage » en wolof. A la tribune, installée à l’arrache, des représentants de partis et associations de Sénégalais en France se succèdent. Gare à celui qui fait la promo d’un candidat en lice pour la présidentielle, il est copieusement hué par les manifestants et rappelé à l’ordre par les organisateurs. « On n’est pas là pour faire de la politique ! On est là pour le Sénégal. » Applaudissement. Ben, militant associatif, prend le micro : « Ira-t-on aux élections avec Wade ? » « Non ! », hurle l’assistance. Et l’homme de reprendre : « Il ne peut y avoir d’élections libres et transparentes avec un candidat qui est prêt à tout pour s’accrocher au pouvoir. Nous devons le dire à nos responsables politiques. Il faut refuser ce piège électoral et rester vigilant. L’avenir de notre pays en dépend. » « On en a marre » reprend un autre, faisant écho au mouvement des jeunes rappeurs « Y en a marre » très actifs au Sénégal. « La classe politique a failli. Les conditions d’une guerre civile sont réunies et les opposants politiques sont prêts à aller aux urnes, comme s’ils avaient un deal avec Wade ! » Le médiateur enchaîne : « Ce qui se passe ici est symbolique. Nous sommes en train de montrer à Wade ce que c’est que la démocratie ! » Toute l’après-midi, des discours du même ordre se suivront. Une urne à la main, Bousso, membre de l’organisation, fait la collecte. « Ce rassemblement est une réussite ! se réjouit la jeune femme. Tous les représentants de la vie politique et sociale sénégalaise en France sont présents pour dire non à Wade. Il doit savoir que même la diaspora ne le suit plus. » Alors que lors de son arrivée en 2000, jusqu’à sa réélection en 2007, ils étaient une majorité à croire en lui.
Pas un mot sur Youssou NDour
En marge de la foule, blottie dans son manteau, Wemsy, doctorante de 28 ans, écoute avec attention les propos des uns et des autres. « Je ne suis pas d’accord avec tout, souligne-t-elle. Je pense au contraire qu’il faut tout faire pour que les élections aient lieu et éviter que le Sénégal ne tombe dans l’instabilité ou que l’armée ne prenne le pouvoir. Ce qui serait terrible. Pour ça, il faut tout faire pour convaincre Wade de se retirer. » Aussi, selon elle, le soutien de la diaspora sénégalaise au front-anti Wade peut avoir de l’impact. « Je suis en France depuis cinq ans, je suis restée très attachée au Sénégal. Je suis ce qu’il se passe en ce moment avec beaucoup d’intérêt et d’inquiétude. On manifeste comme on peut pour soutenir nos frères et sœurs à Dakar. Il y a eu des morts. Il faut leur montrer qu’on est avec eux. » Malgré la distance. Pas un mot en revanche sur le candidat débouté, Youssou Ndour. Incontestablement, la candidature de ce dernier a davantage suscité l’intérêt des médias et chancelleries occidentales plus que les Sénégalais eux-mêmes, qu’ils soient au pays ou à l’étranger.
200 000 Sénégalais en France
En attendant, d’autres rassemblements de ce type sont prévus à Paris dans les jours qui viennent, promettent les organisateurs. « Nous restons mobilisés, assure Doro Sy, porte-parole du parti socialiste sénégalais en France. Samedi, il y avait beaucoup de monde. Des jeunes surtouts, des étudiants, qui ont parfois manqué d’expérience politique. Mais nous allons corriger tout cela très rapidement. Nous devons rester républicains et agir dans la non-violence. Surtout, il faut rappeler aux Sénégalais de la diaspora qu’ils peuvent dès maintenant et jusqu’au jour de l’élection, retirer leur carte d’électeur dans tous les consulats sénégalais de France. » La France compte près de 200 000 Sénégalais. Plus que jamais, leur voix sera décisive le 26 février.
Dounia Ben Mohamed