Berthet One, d’une cellule à une case de BD

Le 27-01-2012
Par xadmin

Il ne vous aura pas échappé que ces derniers jours, l’emblématique festival international de la bande-dessinée d’Angoulême bat son plein (du 26 au 29 janvier). Cette 39ème édition accueille pour la première fois un dessinateur qui n’a pas fini de faire parler de lui tant son parcours est atypique.

« Il y a une vie après la prison ». C’est le leitmotiv de Berthet One. Le dessinateur de 35 ans qui a écopé de 10 ans de prison pour braquages -il en fera 5- en sait quelque chose. Ce fan de BD qui a grandi à la cité des 4000 à La Courneuve, s’inspire de son vécu agité pour remplir les bulles de ses BD. Et ça cartonne, dès les 3 premières semaines de la sortie de L’évasion (mi-novembre 2011), il s’en écoule 5000 exemplaires. Il se choisit comme pseudo Berthet (son prénom) mais pour se distinguer de l’autre dessinateur Philippe Berthet ( il a fait certains dessins de la mythique BD, XIII) et parce qu’il n’a pas envie de signer de son patronyme, il lui rajoute « one ». Forcément,  il ne peut être que le premier ! « J’ai un mental de coyote. J’aurais pu dire hyène mais je n’aime pas leurs tronches. Je ne suis pas quelqu’un qui baisse les bras. Je suis prêt à bouffer du lion car je sais ce que je veux faire de ma vie maintenant. L’an dernier, je me promenais dans les allées du festival et je me disais l’année prochaine, je viendrais ici en dédicace », explique-t-il , joint par téléphone d’Angoulême. Une force de caractère qui s’explique sûrement par son parcours chaotique.

Incarcéré à 29 ans, Berthet prend conscience en prison qu’il peut encore changer son destin et reprend ses études. Il obtiendra en prison un BTS Communication d’entreprises. «A l’école, je n’étais pas tebé (bête ndlr), mais je ne faisais pas mes devoirs, je n’écoutais pas le prof en classe, je préférais dessiner mes potes, les profs », raconte-t-il. Puis c’est l’engrenage, en 2009, il est emprisonné pour braquages. De cette période, il en parle sans tabou dans ses dessins et lors des ateliers qu’il anime aussi bien dans les quartiers réputés difficiles qu’ailleurs. « Parfois, c’est une porte d’entrée pour intéresser les jeunes. En début de séance, il y a toujours un début de brouhaha. Je commence en leur disant : « j’ai une histoire particulière. J’ai pris 10 ans de prison !» Généralement, le silence s’installe immédiatement, ils veulent en savoir plus. Ils sont intrigués. Cela me permet d’avoir ensuite des échanges nourris. J’essaie de leur délivrer un message positif, qu’il y a beaucoup de talents en banlieues et pas seulement autour du foot et du rap. »

«  Ramener nos banlieues dans leurs rues à eux »

Lors de ces ateliers, il tente de réconcilier les jeunes avec la lecture et l’écriture.  « Parce qu’au final, la bande-dessinée, c’est tout cela et pas seulement savoir manier un crayon. Il faut réfléchir à une histoire, la découper, l’écrire. Quelqu’un qui ne sait pas très bien dessiner mais qui est très imaginatif peut se lancer. Cela peut être aussi un travail à deux. Je veux juste leur dire que tout est possible et que l’art n’est pas seulement réservé à une élite. » Pour sa première exposition en 2010, dans une galerie du très chic 6ème arrondissement de Paris, il s’attache à faire venir des « petits du quartier ». « Je voulais qu’ils voient autre chose, qu’ils se donnent des perspectives d’avenir. Tout ce petit monde s’est bien mélangé, les gens étaient à l’aise. Il y avait des flics, des juges, un plombier. Les jeunes ont kiffé de discuter et montrer un autre visage de la banlieue. »
C’est avec humour grinçant que Berthet One aborde et déconstruit les préjugés véhiculés autour de la banlieue par les médias.

Une success story

C’est en prison que ce passionné de dessin depuis son adolescence découvre qu’il a un vrai talent inexploité. « On me le disait avant quand je griffonnais en cours mais je ne calculais pas, je ne prenais pas cela au sérieux ». Il va se lancer dans cette nouvelle carrière qui s’ouvre à lui grâce à un gardien passionné de BD. « Un matin, il a vu mes dessins que je n’avais pas eu le temps de cacher et m’a dit « tu as de l’or dans les mains ». Il m’a demandé de lui faire un dessin pour le lendemain. C’est comme ça que cela a commencé ». Lui qui dévorait alors les vieilles BD disponibles à la bibliothèque, se prend à rêver. Il s’inscrit à des cours de dessin et présente ses travaux chaque année de 2006 à 2009 à Issy-les-Moulineaux dans le cadre d'une exposition "talents cachés". Puis c’est la consécration en 2010, Le festival  d’Angoulême organise en marge de sa sélection officielle le premier concours Trans-murailles, ouvert aux détenus. Berthet rafle le prix  juste avant sa sortie de prison le 2 février.
Une amie à lui, convaincue de son talent (décidément, il peut compter sur de nombreux anges gardiens), le pousse à présenter son travail à une galerie spécialisée dans le Graff, qui vient d’ouvrir dans le cœur de Paris. Après plusieurs semaines d’atermoiement, il pousse enfin les portes de la galerie. «J’ai commencé d’abord par raconter mon histoire, et puis j’ai montré mes quelques dessins, tout de suite, le galeriste m’a proposé de faire une exposition de mes planches ».
Parallèlement, il entreprend de démarcher un éditeur. C’est au Festival d’Angoulême qu’il le trouvera. Le jeune homme d'origine congolaise, est invité par Fréderic Mitterrand, ministre de la Culture, à venir discuter à bâtons rompus à la préfecture de Charente-Maritime. Cette caution artistique, son histoire et le succès de son exposition lui ouvrent de nombreuses portes. Mais cet amateur de « Fluide Glacial » signe avec Indeez, une petite maison d’édition. « Je préfère être un Roi chez les petits plutôt qu’un petit chez les Rois. »
Fier de ses origines « banlieusardes », il va détourner les codes la rue pour vendre sa BD comme un CD. Normal, son manager n’est autre que celui de Seyfu !


Nadia Hathroubi-Safsaf

 

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