Valls, Kaaris : même constat

Le 06-02-2015
Par Farid Mebarki

Les politiques n’écoutent pas les rappeurs. Après les terribles attentats de janvier, ils semblent découvrir ahuris un décor que près de 10 millions d’habitants arpentent chaque jour. Dans « Zoo », Kaaris, rappeur musculeux de Sevran, pousse la caricature à son paroxysme : défilés de kalachnikovs, regroupements nocturnes de jeunes menaçants et envie de revanche scandée avec brio sur chaque rime.

 

Cauchemar futuriste ?

Ou énième avatar pathétique du rap game ou constat lucide des ruptures qui balafrent la France ?
Pour Manuel Valls, le constat va au-delà de l’imagination de Kaaris. Ni la sociologie d’un Lapeyronnie, ni les rapports d’alerte de l’Onzus n’avaient osé la comparaison du Premier ministre selon qui une situation d’apartheid existe en France et seule une politique de repeuplement sera à même d’inverser la tendance. Le monde politique est en émoi alors que les administrations dans un réflexe pavlovien, produisent les solutions techniques et symboliques qui pourront répondre au défi identifié par Matignon. Entre autres : faire venir les classes moyennes en banlieue par le renouvellement urbain (Jean-Louis Borloo 2003), encourager le service civique (Luc Ferry 2002, Martin Hirsch 2009), élargir le service militaire adapté (Michel Debré 1961), renforcer l’usage des contrats aidés (Michel Beullac 1977). Mais aussi d’authentiques mesures de gauche comme la revitalisation de la loi SRU (Lionel Jospin 2000), l’enseignement de la laïcité (Jules Ferry 1882), la promotion de la démocratie associative (Pierre Waldeck-Rousseau 1901)… Valeurs républicaines en bandoulière, laïcité au front et égalité comme leitmotiv, le gouvernement ressuscite la politique de la ville sans le dire. On a même l’impression qu’il la réinvente tant le discours républicain semble draper une politique qui s’est toujours pensée comme un appui technique.

 

On s’intéresse aux quartiers populaires après des crises ou des drames

Manuel Valls, républicain conservateur naguère sarko-compatible et adepte des coups de menton lors de ses visites en banlieues, aura donc réussi à créer la rupture. Coup de barre à gauche, retour à l’esprit de mai 2012 qui avait vu les banlieues apporter un soutien nord coréen au candidat du PS ? Ou simple répétition de ce cycle infernal qui, par raccourcis ou ricochets, veut que l’on s’intéresse aux quartiers populaires après des crises ou des drames ? Même si les propositions permettront à n’en pas douter d’atténuer le marasme et l’abandon qui sévissent au-delà des périphériques, on peut douter de leur efficacité.

 

Une préférence pour l'inégalité ?

Toutes ces mesures recuites rétropédalent avec l’enterrement en catimini de la politique de la ville orchestrée avec concertation en trompe-l’œil par François Lamy (2014). Le prolongement de « l’esprit de janvier » voulu par François Hollande fait l’impasse sur les revendications que les combats des quartiers populaires portent depuis des décennies : le droit de vote des étranges aux élections locales ou encore la lutte ferme et impitoyable contre les discriminations. En ces temps troubles il s’agit, dit-il, de maintenir une stabilité… La volonté présidentielle, les incantations républicaines ou les injonctions à être Charlie, ne sauraient aboutir dans un pays qui semble désormais assumer une préférence pour l’inégalité (François Dubet 2014).


Ce nouvel intérêt pour les banlieues apparaît comme contraint ; davantage soufflé par une actualité tragique. Contrairement à son prédécesseur, François Hollande et par extension la gauche, n’ont pas lié leur destin politique au sort des quartiers populaires. Nicolas Sarkozy, sur le registre identitaire et sécuritaire, avait dès 2002 compris que les banlieues sont au cœur du récit national, au cœur du modèle français, de ses clivages et de ses limites. Là où il a revendiqué par électoralisme les banlieues, François Hollande les a sympathiquement ignorées. Le chemin semble encore long pour que Kaaris entonne un jour la Marseillaise.

 

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