USA ou France ? Mon micro balance

Le 13-12-2012
Par Charly Célinain

1973, Bronx, Etats-Unis : naissance de la culture Hip Hop. Les rappeurs du monde entier se doivent d'y aller en pèlerinage, y compris les plus radicaux. Enthousiasme ? Déception ? Quelles conclusions Ekoué, de La Rumeur tire-t-il de son voyage au pays de l'oncle Sam ?

 
Les Etats-unis. Le pays où tout est possible. Où les stars du rap sont des millionnaires respectés comme Jay-Z et vont serrer la pince, de temps en temps, au Président, qui connaît leurs morceaux. Autant dire que de ce côté de l'Atlantique, ce n'est pas exactement la même musique. Ici, l'ex-président de la République et ex-ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy a poursuivi en justice le groupe La Rumeur, pas millionnaire mais très respecté, pendant 8 ans... Quand ces artistes ont eu l'occasion de traverser l'Atlantique, leur regard était forcément comparatif. Ekoué partage avec nous son expérience du contexte, de la mentalité, de la vie made in USA...
 
 

De la vente d’esclave au mécénat

Ekoué s'est vu offrir un séjour d'un mois chez les « Yankees » dans le cadre du fameux « International Visitor Leadership Program », plus connu sous l'abréviation IV. « Ces échanges sont destinés à promouvoir une meilleure compréhension mutuelle entre les Français et les Américains », selon le site de l'ambassade des Etats-Unis. L'esprit critique acerbe de l'artiste semble avoir été émoussé au contact par la réussite de certains membres de la communauté noire. Notamment un entrepreneur dans l'immobilier, dixième fortune d'Atlanta qui a racheté un immeuble, en face de ses bureaux, où se déroulaient, deux siècles auparavant, des ventes d'esclaves. « Au sous-sol de cet immeuble, il y a avait une salle remplie d'ordinateurs avec des jeunes, majoritairement noirs devant les écrans. Ils préparaient les concours pour avoir des bourses pour les plus grandes universités américaines », raconte Ekoué. 
 
La France se voile les yeux, pourtant elle a la même logique communautaire... mais dans les hautes sphères du pouvoir.

Communautarisme français

La comparaison est inévitable : « En France, des exemples comme ça, j'en vois pas. Des mecs qui se sont construits dans le ghetto, arriver à un tel niveau de réussite, à ma connaissance il n'y en a pas. » Un point nuancé par les propos de son collègue de La Rumeur, Hamé, dans une interview du  2 novembre 2008 pour le JDD : « Parmi les plus grandes fortunes américaines, on trouve des Noirs américains. Mais la condition globale des Noirs américains, elle est juste abominable. J'ai pu le constater à Brooklyn, Staten Island, il existe une sous-humanité où les Noirs sont sur-représentés. Il suffit de se référer à la réalité du système pénitentiaire américain où les afro-américains représentent 80% de la population carcérale. ». Malgré tout, Ekoué constate une différence déterminante : « A Atlanta, il y a cette volonté de faire naître des vocations. La France se voile les yeux, pourtant elle a la même logique communautaire... mais dans les hautes sphères du pouvoir. »
 
J'avais cette idée reçue que les américains n'avaient pas de conscience politique. Pourtant, les discours les plus virulents sur l'impérialisme français et le néo-colonialisme, c'est là-bas que je les ai entendus

Paradoxe américain

Avant d'aller sur place, Ekoué avait une certaine image des Etats-Unis. « Un pays avant-gardiste, parfois brillant mais également capable de désastres géopolitiques », selon ses dires. Au cours de son voyage, il a eu l'occasion d'affiner son jugement : « J'avais cette idée reçue que les américains n'avaient pas de conscience politique. Pourtant, les discours les plus virulents sur l'impérialisme français et le néo-colonialisme, c'est là-bas que je les ai entendus, c'est pas dans les quartiers français. » Le rappeur de La Rumeur souligne le fait que la France, comme les Etats-Unis, exercent  de nouvelles formes de colonialisme englobant des enjeux géopolitiques et pétroliers. Là encore, ce dernier ne peut s'empêcher de noter une petite différence : « Aux Etats-Unis, des voix se sont élevées  en opposition à la guerre en Irak, on pouvait entendre des gens dire « n'allons pas tuer des milliers de personnes juste pour le pétrole ». Il ne me semble pas avoir entendu ça en France par rapport au conflit Libyen. »
 
Là-bas, les élites ressemblent à la réalité raciale des Etats-Unis. Il n'est pas rare de voir des blancs se faire soigner par des dentistes noirs.

Discrimination

La discrimination existe là-bas comme ici, il y a des riches, des pauvres... Mais là encore Ekoué fait une distinction : « Là-bas, les élites ressemblent à la réalité raciale des Etats-Unis. Il n'est pas rare de voir des blancs se faire soigner par des dentistes noirs. » Comment les minorités françaises pourraient arriver à faire aussi bien ? Tout en précisant bien qu'il n'est peut-être pas le mieux placé pour répondre à cette question, l'artiste français semble penser qu'importer l'affirmative action, comme elle est appliquée là-bas, peut être un début de solution. De plus, ce dernier pointe le comportement d'empire colonial de la France, qui « pille les anciennes colonies ». « A l'heure où la monnaie française est l'Euro, ces pays utilisent encore cette monnaie de singe qu'est le Franc CFA. En rien, l'Afrique de l'Ouest n’est indépendante » s'insurge le rappeur. « Il faut les aider, d'accord, mais arrêtez de les piller. Par exemple, il faut s'inspirer de ce qui est fait en Indochine et au Brésil, où ils ont trouvé un modèle souverain. »
 
La communauté noire n'a jamais été représentée en France.

Représentation

Un malaise français que ressent également un autre rappeur expatrié, Booba. Pourtant aux antipodes d'un point de vue artistique, les artistes semblent se rejoindre sur ce point : « En France, quand tu es issu de deux cultures différentes, tu ressens ce rejet d’une manière encore plus forte. Il y a une partie de toi qui est blanche mais certains ont décidé de refuser son existence, et tu ne peux rien faire. Un jour, mon grand-père, le père de ma mère, qui est blanc donc, devait me garder et il a raconté que j’étais le fils du concierge. C’est mon frère qui m’a rappelé cet épisode. Aux Etats-Unis, je n'ai plus de contrôles de police, je ne suis pas confronté aux problèmes de recherche de boulot, d'appartement. En France, je ne me suis jamais senti chez moi. La communauté noire n'a jamais été représentée en France. J'ai grandi à une époque où il n'y avait pas de Noirs à la télé, dans les pubs, pas de Roselmack aux infos. Rien ne nous ressemblait » (propos tenus dans Snatch en novembre 2010).
 
Le rap que je défends est proche de mes codes. Les codes dans lesquels j'ai grandit c'est Tati, Dockside et 501

Identité française

Quand on évoque une possible envie de faire une carrière musicale outre-atlantique, la réponse intervient quasiment avant la fin de la question : « Pas du tout ! » Et il s'en explique immédiatement : « Le rap que je défends est proche de mes codes. Les codes dans lesquels j'ai grandit c'est Tati, Dockside et 501. D'ailleurs, ce qui faisait kiffer les grands frères, ce n'était pas les baggy jeans, mais les costumes italiens, Armani... » Nous l'aurons bien compris, Ekoué tient à se démarquer de tout mimétisme avec les américains même s'il ne condamne pas ceux qui le pratiquent : « S'ils se sentent bien comme ça, tant mieux pour eux mais nous, on ne rentre pas dans cette logique de mondialisation. ». Avant d'ajouter : « Et quoi, j'vais changer de langue aussi ?! Non, on parle de la réalité en France. » Et c'est exactement la même ligne de conduite quand on en vient à parler de cinéma : « A New York, dans l'école d'Hamé [Tish school of arts, NDLR] ils ont tellement adoré son court-métrage [Ce chemin devant moi, NDLR] qu'ils l'ont diffusé dans un réseau de salles indépendantes. Ils ont apprécié le fait de ne pas voir des clones de « projects » [grands ensembles américains, NDLR] mais les vrais quartiers français. On les a fait voyager ! ». 
 
Même si certaines choses sont bonnes à prendre aux Etats-Unis, Ekoué n'est pas non plus prêt à prendre sa Green card. Il reste avant tout un rappeur français d'origine africaine, qui parle de réalité française, comme il nous le confirme : « Mon premier morceau s'appelait « Blessé dans mon ego » (1997), il commençait sur ces mots : « Devant les cle-ons du bled, devant la famille, pas de hip-hop machin, pas de pantalon aux chevilles... » Mes racines sont africaines, je n'ai pas changé. » 
 
 
 

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