
Tremblay : les petits commerçants baissent le rideau

Ils ont longtemps été les personnages phare de la vie dans la cité. Depuis quelques années, ils disparaissent peu à peu. Les petits commerçants de l’avenue Pasteur à Tremblay en France, ville de 35000 habitants, se sentent abandonnés par les politiques.
Au premier abord, la rue Pasteur semble avoir été désertée par les petits commerçants. Une bonne moitié de la rue principale de Tremblay en France, banlieue tranquille située à trente minutes en RER du centre de Paris, est désormais occupée par des agences immobilières et des banques. Au bout de la rue, une quarantaine d’artisans tentent de survivre. Ils étaient 80 il y a encore cinq ans.
Dans le quartier, les Letellier sont connus de tous. Mari et femme tiennent, 80 heures par semaine, leur boucherie chevaline au 25 de l’avenue Pasteur. Au milieu des steaks de cheval, des boudins noirs et des terrines, ils font la bise à leurs clients, les appellent par leurs prénoms. Chaque achat est l’occasion de prendre des nouvelles du mari, d’échanger sur les problèmes de sécurité et des porte-monnaie désespérément vides. « Certains clients viennent acheter un rôti d’un kilo. Si le poids du rôti dépasse de cent grammes, ils n’hésitent plus à me demander de couper une tranche pour ne payer qu’un kilo », explique Catherine Letellier, couteau à la main, derrière son comptoir. Ce constat est repris par tous les petits commerçants du coin, inquiets de voir leur chiffre d’affaires s’effriter.
Des politiques impuissants a equilibrer grandes enseignes et petits commerces
D’après un sondage de l’observatoire des commerces datant de 2012, 81 % des commerçants considèrent que les politiques ne comprennent pas leurs préoccupations. « Les hommes politiques sont aveugles et sourds, ils ne connaissent pas notre situation », indique Farida Hannan, gérante du pressing. Cette dernière a ouvert un point relais de la Redoute pour gagner quelques euros en plus par mois. « Regardez ce Thévenoud ! Vous croyez qu’on pourrait oublier de payer nos impôts ou notre loyer ? Au bout d’un mois, on nous aurait déjà rappelé à l’ordre. »
Les clients, des retraités et très peu de jeunes ménages, n’ont plus les moyens d’acheter chez les petits commerçants. « Nous sommes des dépanneurs », témoigne Gandry Sabeur qui a ouvert son épicerie, Le verger de Tremblay, il y a moins d’un an. « Les gens se déplacent chez nous pour l’appoint, s’il leur manque un citron ou trois tomates pour une salade. Sinon, ils font leurs courses dans les hypermarchés. » Les petits commerçants de l’avenue Pasteur sont écrasés par les monstres de la grande distribution. Pas de publicité possible, pas de promotion et surtout l’impossibilité de rénover leurs vitrines sorties des années 1980. « Lorsque nous avons ouvert cette boutique il y a quarante ans, on payait 18% de charges. Aujourd’hui c’est 52 % et les salaires ont baissé. Alors pour investir… », indique Guy Letellier.
Beaucoup ont l’impression d’être abandonnés par les politiques. En modifiant les règles de l’urbanisme commercial, la loi de modernisation de l’économie (LME), votée en 2008, devait faciliter l’ouverture d’enseignes de moins de 1000 mètres carrés. Objectif raté. La grande distribution n’a jamais autant dominé dans l’Hexagone. Les chantiers commencent sans attendre la décision de justice autorisant la construction des bâtiments. Les entreprises sont ensuite rarement condamnées à démolir. Comme si les pouvoirs publics étaient impuissants à rééquilibrer le rapport de force entre grandes enseignes et petit commerce.
Vers qui se tourner ?
Georges Maitre revient souvent dans cette rue où il a passé tant d’années de sa vie. L’ancien poissonnier de l’avenue Pasteur a dû mettre la clé sous la porte il y a trois ans. « L’Etat n’aide pas ceux qui triment. On n’est pas pauvres, on n’est pas riches mais on paye pour tout. Il y a une logique d’assistanat en France alors qu’il faudrait valoriser l’effort et le mérite. » L’effort et le mérite, Marlène Pérez en a fait preuve pendant longtemps. Elle tenait une librairie à quelques pas de la boucherie. Depuis son départ, en 2010, ses voisins en parlent régulièrement. En trois ans, cette passionnée avait dû licencier deux employés. Malgré cela, elle ne pouvait pas se verser de salaire. Elle a été obligée de vendre la maison familiale hypothéquée pour racheter la librairie.
Cette déception se fait sentir dans les urnes. La colère des commerçants ne signifie pas pour autant qu’ils se tournent vers le Front national. Selon une enquête réalisée par le CSA après le premier tour des élections présidentielles de 2012, 50% des artisans et commerçants ont voté pour Nicolas Sarkozy. Seuls 18% d’entre eux ont soutenu Marine Le Pen. Ils restent toutefois dépités par les hommes politiques. Sans illusion sur leurs marges de manœuvre, ils ne croient plus au changement. « J’ai écouté de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande faire des promesses. Avec l’âge, ça fait douter de leur volonté de changer les choses. »
Jeudi 13 septembre, les députés ont voté quelques mesures pour essayer de redynamiser les petits commerces. Ils ont facilité le droit de préemption des communes pour maintenir une diversité commerciale en centre-ville. Les municipalités devront ainsi être informées de l’activité projetée par les acheteurs de locaux. Elles pourront alors empêcher qu’un commerce de bouche ne devienne une agence bancaire. « Le problème des politiques, c’est qu’ils ne réagissent que lorsque quelque chose de grave vient d’arriver. Ils se rendent compte qu’on est important une fois qu’on est mort. »