
« Transports doux » pour voyages longs ?

L’écologie, oui. A condition d’en tirer un avantage quotidien. C’est un peu le deal, en banlieue. Alors, pour développer l’écologie populaire les habitants des cités doivent y trouver leur compte. A commencer dans les transports en commun. Vélo, bus, métro, tram… ces moyens de transport dits « doux », préconisés par les écologistes, sont-ils possibles pour tous ?
«J’essaie d’éviter un maximum les transports! », lance Sofia, jeune vacataire de l’éducation nationale. A 29 ans, la jeune femme réside, depuis peu, dans la cité des Raguenets à Saint Gratien (Val d’Oise). Chaque matin, elle se rend dans une ville voisine. Et son mode de transport privilégié, « c’est le bus.» A sa grande satisfaction. «20 minutes à l’aller. 20 minutes au retour. Je ne peux pas demander mieux.» Si les transports en commun restent une nécessité pour elle et comme pour les millions de voyageurs qui les empruntent quotidiennement, Sofia considère qu’un temps de trajet trop long est un vrai problème. Voire une discrimination. « Personne n’a envie d’y passer deux heures par jour ! » Evident. Reste que la capacité à la mobilité est un atout professionnel. Et à voir le flot de personnes qui envahit les gares RER le matin, impossible de penser son emploi sans transports en commun. Bertrand, la quarantaine bien portante, est un habitué de la ligne C. Il travaille comme technicien informatique dans le 9e arrondissement de Paris. « Tous les matins, j’en ai environ pour 40 minutes… quand le réseau fonctionne normalement. J’aimerais bien y aller en vélo mais bon, Saint Gratien - Paris, c’est quinze kilomètres. Chaque jour, c’est pas vraiment faisable », note t-il, flegmatique.
Moins rapide certes. Mais tellement plus agréable… En fait, le vélo resterait un mode de transport réservé à une certaine catégorie de la population. « Aux provinciaux et aux plus privilégiés ayant la chance d’habiter à proximité de leur lieu de travail », résume Bertrand. Pourtant Carole, auxiliaire de puériculture, n’est ni provinciale ni issue d’une classe sociale aisée. Mais chaque matin, c’est la petite reine qui la transporte de son domicile à la halte-garderie où elle est employée. « C’est rapide – quinze minutes par trajet, et agréable », explique t-elle. Le facteur proximité est ainsi déterminant.
Quartiers sensibles… à l’écologie
L’écologie ne serait donc pas l’apanage des bobos parisiens soucieux de manger bio et d’utiliser des couches en tissu pour bébé… Non, les habitants des cités peuvent aussi être écolo-compatibles. Sauf que leur parcours initiatique est différent de celui l’écolo de base. Selon Ludovic Bu, co-auteur de « Les transports, la planète et le citoyen» (1), «l’écologie populaire fonctionne à partir du moment où elle résout un problème du quotidien de ces populations.» Dans le cas de Carole, qui économise chaque mois près de 60 euros, l’équation est claire. «Je cherchais à économiser un peu de sous sur mes déplacements. Le vélo, hormis l’achat, ne me coûte rien. Et cerise sur le gâteau, je fais une bonne action pour la planète !» L’écologie, oui. A condition d’y trouver un intérêt. Dans les quartiers, il y a ainsi fort à parier que l’emploi et la mobilité seront les leviers de l’écologie populaire. Un constat largement confirmé par Karim Aït-Youcef, président de Voiture & co (2), une association créée en 1998 avec pour mission le développement du covoiturage. Depuis, la structure a largement amplifié ses son champ d’action. «Nous établissons des diagnostics pour proposer les moyens de transports les moins énergivores. » Parmi les publics concernés, les personnes en insertion. Après un bilan de compétences de mobilité, Voiture & co suggère un moyen de transport adapté pour se rendre sur son lieu de travail. Trottinette, vélo, scooter électrique, twingo ou voiture collective, l’association s’est dotée d’un équipement en phase avec les contraintes environnementales. Les échos de leur travail sont d’ailleurs remontés aux oreilles des pouvoirs publics. A tel point que l’association a essaimé à travers toute la France. A La Ciotat (Bouches-du-Rhône), une agence de mobilité pour les demandeurs d’emploi a même été inaugurée en 2007. Objectif ? « Repérer les demandeurs d’emploi et trouver avec eux un mode de transports le plus écologique en prenant en compte leurs contraintes.» Après quatre années d’existence, le programme rencontre un franc succès. En 2010, l’agence a accompagné 1200 personnes.
Quand le terrain innove…
Pas étonnant, dès lors, que ce genre d’initiatives nées sur le terrain fassent des émules. D’après Eric Le Breton, sociologue spécialiste de la mobilité et de l’insertion, « beaucoup d’initiatives sont mises en place dans les banlieues.» Aux Cosmonautes, cité de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), l’association Les Argonautes mène des ateliers de mobilité apprenant aux usagers à se déplacer dans l’espace urbain. A Grigny (Essonne), il y est question de location de scooter. « C’est d’ailleurs du terrain qu’il faut puiser les innovations, clame le sociologue. N’attendons pas des élus qu’ils innovent quand leur rôle est surtout de gérer ! ». Le problème, selon lui ? « Le principal obstacle auquel se heurtent ces associations est le manque de moyens. Il faut donc les aider à passer à la vitesse supérieure. L’intérêt étant double : créer de la mobilité et favoriser le développement durable. » Sur Plaine-commune, communauté d’agglomération englobant entres autres Saint-Denis et Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), les élus mènent une politique plutôt volontariste sur le sujet. « En 2011, pas moins de un million d’euros seront investis sur le vélo », assure Dominique Carré, vice-président délégué aux transports et aux déplacements. Une mesure parmi une palette d’actions prévues en ce sens. Construction du tramway T5 entre Saint Denis et Sarcelles, Tangentielle nord effective en 2014 ou plan de marche destiné à proposer des itinéraires agréables aux usagers du territoire : la collectivité met les bouchées doubles pour donner du sens au concept d’écologie populaire. Reste qu’Eric Le Breton soulève une interrogation. Les couches populaires vont-elles vraiment profiter de ces aménagements inscrits dans le développement durable? Pas sûr, selon lui. L’amélioration du cadre de vie attire forcément les classes supérieures, qui prennent la place des foyers moins aisés. Ce phénomène porte un nom : la gentrification. Ou comment des villes comme Pantin deviennent à la mode…
Nadia Henni-Moulay
(1) « Les transports, la planète et le citoyen », Ludovic Bu, Marc Fontanès, Olivier Razemon, ed Rue de l’échiquier, 2010
(2) www.voitureandco.com