« Territoires » v.s « diversité » ?

Le 05-07-2012
Par Erwan Ruty

Si la droite faisait peur aux quartiers et aux minorités, la gauche ne les a pas pour autant trop fait rêver. Reste l'apparition d'une thématique nouvelle, mais abstraite, qui pourrait les concerner au premier chef : celle « d'égalité territoriale ». 

 

Contrôle au faciès, Livret A, Qatar...

Quelques mesures symboliques qui pouvaient, sans trop de risque, donner satisfaction aux Français issus de l'immigration et des quartiers, semblent encore suspendues aux négociations entre lobbies et décideurs. L'absence de lobby des banlieues ou de la diversité se fera sentir sur les arbitrages finaux, à n'en pas douter. Il en va ainsi du fameux récépissé que les fonctionnaires de police pourraient délivrer à toute personne contrôlée, afin de diminuer les « contrôles au faciès ». Gageons que le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, sous la pression des syndicats policiers et Préfets, aura surtout ces derniers à l'oreille. Autre mesure : l'augmentation du plafond du « Livret A », qui contribue largement au financement du logement social. Celui-ci ne l'a pour l'instant été que de manière limitée, sous la pression du lobby des assureurs qui y sont opposés... Autre symbole, qui certes dépend peu du gouvernement : la dilution de la manne promise par le Qatar aux banlieues, se fera finalement au profit de l'ensemble des PME françaises... Initialement arraché par l'ANELD, jeune association d'élus se revendiquant « de la diversité », cette offre n'a, semble-t-il, pas résisté longtemps à la pression d'autres lobbies plus installés. 
 

La « diversité » orpheline ?

Enfin, le décès inattendu d'Olivier Ferrand, contribue à affecter la prééminence « idéologique » du concept de diversité à gauche, concernant les questions liées aux quartiers populaires et à leurs habitants. En effet, le dirigeant de Terra Nova s'était fait le chantre de cette notion née à droite dans les fourgons de l'Institut Montaigne, pour devenir un mantra incontournable en France, dans les mots, les têtes, les images et la communication. Avec pour argument (électoralement sans doute fondé dans le contexte actuel) que la victoire de la gauche en 2012 ne pouvait être acquise qu'avec le soutien des classes moyennes, des femmes, et des minorités (notamment ethniques) ; et non plus grâce au soutien des « classes populaires ». Achevant donc de regarder la vie politique à travers un prisme plus sociétal, si ce n'est marketing (parfois ethnique), que social. On voit aujourd'hui que la diversité, réalité assez floue, ne commande (pour l'instant) pas de politique publique précise. 
 

L'égalité territoriale : une remarquable innovation 

Si rien n'est décidé au sommet de l'Etat sur ces questions, il n'en reste pas moins qu'un symbole fort a été émis : celui de créer un ministère de l'Egalité des territoires (avec à sa tête Cécile Dufflot, élue de la région Ile-de-France et ex maire-adjointe de Villeneuve-Saint-George), auquel est couplé (soumis ?) le ministre de la Ville (François Lamy, proche de Martine Aubry, député de l'Essonne, maire de Palaiseau, président de la Communauté du Plateau de Saclay).
On sort donc d'une longue période de ghettoïsation institutionnelle des banlieues dans un ministère de la Ville spécifique et minoré, alternant avec une soumission institutionnelle (à Matignon, et à un « grand bourgeois de la Sarthe », François Fillon, sous prétexte de transversalité « interministérielle », à l'époque du secrétariat d'Etat de Fadela Amara).
Avec ce nouveau ministère de l'Egalité des territoires et avec Cécile Dufflot à sa tête, on innove doublement : conceptuellement, on acte que le vrai problème de la société française est sa « fracture territoriale » entre banlieues pauvres, campagnes (zones rurales) délaissées, zones péri-urbaines anomiques et métropoles dynamiques. Il y a donc victoire « idéologique » sur ce concept mou de « diversité » (qui aura certes permis à quelques personnes estampillées comme telles, d'accéder à des postes à responsabilités). 
Innovation politique courageuse, mais bien fondée, ensuite, puisque les écologistes sont par essence un courant de pensée qui réfléchit en termes d'équilibre des territoires : codéveloppement Nord-Sud,  refus de l'externalisation des dégâts environnementaux et sociaux du libéralisme, respect des différences et de la (bio-)diversité des cultures locales notamment...
 
Reste une question : cette égalité territoriale, ce ré-équilibrage, se feront-ils plutôt au profit des zones rurales et péri-urbaines (comme le réclame Christophe Guilluy, qui a préempté le débat intellectuel sur la question et séduit la droite, et la droite de la droite) ? Ou plutôt au profit de ceux qui critiquent la « gentrification » (comme Jacques Donzelot) et luttent contre les discriminations territoriales, comme bien des maires de banlieue ? 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...