
Sport : les jambes et (aussi) la tête

Loin des excès du haut niveau, le sport enseigné dans les assos de terrain offre souvent aux jeunes un cadre où se développer, apprendre le sens des mots « exigence » et « persévérance ». Une structure où grandir, en somme.
Dans les quartiers, le fantasme du fils d’immigré qui réussit dans le rap ou le sport, nourri par quelques exemples en Une des magazines, masque une réalité du terrain : oui, le sport reste un creuset fondamental d’insertion sociale dans les quartiers populaires. Un moyen, quand les outils républicains sont cassés, de grandir, d’avancer, de trouver ses repères et sa place.
« Avant, je n’avais rien à faire de la journée »
Demandez à Angi. A Chauffailles, dans la grande banlieue lyonnaise, il a osé, voilà six mois, pousser la porte du Battle Combat Club, une association qui enseigne plusieurs sports de combat. Dans ce territoire semi-urbain, le tissage n’a plus la cote, délitement économique oblige. « On voit arriver des publics en situation de grande précarité qui quittent Lyon, glisse Jean-Noël Charollais, président du club. D’où l’idée de s’orienter, peu à peu, au-delà du sport, vers les cultures urbaines et le hip hop. » Voilà pour le décor qu’a découvert Angi, 16 ans, débarqué là « par hasard, parce qu’un copain m’en avait parlé dans une soirée. Avant, je n’osais pas y aller, ça m’impressionnait. Je voulais pas d’un club où les autres ne feraient pas attention à toi et te taperaient fort dedans. Mais là, tout de suite, j’y étais. J’ai été surpris, oui. J’ai pas été mis à part… » Depuis quelque temps, l’adolescent était fâché avec l’école, où il faisait « un peu le fou ». Le bahut ne l’avait plus revu depuis le mois de juin. « Franchement, je n’avais rien à faire de la journée, à part réparer des motos. J’attendais toujours l’entraînement avec impatience. Heureusement que j’avais quelque chose à faire le soir. » A raison de quatre séances par semaine sur le ring, version boxe thaï et pancrace, il apprend… à se calmer. « Avant, voilà, quoi… J’étais un peu speed. Là, je me défoule là-bas, et après, je suis tranquille. » Précision : Angi a repris le chemin de l’école. « Et quand je vois les autres faire des conneries, je me vois comme j’étais avant… »
« Il y a dans les arts martiaux des valeurs, une philosophie, une éthique, contrairement à l’image qu’on a parfois d’eux. Et comme d’autres sports, ils amènent à un ado un cadre, une structure, une régularité. » Mickaël Grundman est professeur de karaté à l’Île-Saint-Denis, au nord-ouest de Paris. Du genre à s’être construit depuis tout jeune par et pour son sport, et à transmettre aujourd’hui ce qu’il a appris aux autres. L’intérêt de la démarche, il l’a vécu par l’exemple : « Vous êtes un jeune adulte, vous traînez un peu, quelques conneries, vous pouvez vite vous laisser tenter par la vie de la cité. Mais le sport vous régule. Quand vous savez qu’il y a entraînement le samedi matin, vous ne traînez pas le vendredi soir. »
Ajoutez à cela la confiance en soi que peuvent acquérir des gamins en manque de repères, les progrès qu’ils effectuent sur les plans psychomoteur ou du développement corporel, et on comprend vite que le club devienne aussi un lieu éducatif. « On le sent dans la relation qu’on a avec les parents, reprend Mickaël. Quand un gamin dévie, ils viennent me voir, me demandent si je peux lui en toucher un mot. L’Île-Saint-Denis est une ville toute petite, on connaît les profs des écoles, on parle des jeunes avec eux. Certains parents nous envoient leurs enfants parce qu’ils savent que nous portons ces valeurs. On a un rôle d’éducation. On est d’ailleurs éducateurs sportifs, pas préparateurs physiques au niveau national. »
Le sport-éducation populaire
Même constat à Belley, près d’Annecy, où Antoine Banal est entraîneur d’un club de boxe. « Ici, certains adolescents qui ont arrêté leur scolarité, qui n’avaient plus de situation sociale stable, ont pu profiter de ce que leur apprenait la boxe. Une estime de soi, un rythme et une hygiène de vie. Un enfant qui avait des problèmes de motricité ou un autre hyperactif ont eux aussi fait de gros progrès. »
Le tableau, évidemment, n’est pas toujours aussi idyllique. Le sport n’échappe pas, dans les quelque 170 000 clubs (pour 16 millions de licenciés), tous sports confondus, qui maillent le territoire français, aux dérives de la compétition à outrance et de la marchandisation des talents que beaucoup de médias imposent comme modèles. Le football, calé en première ligne des disciplines les plus télévisées, prend souvent de plein fouet le décalage entre les excès du haut niveau et les difficultés d’expliquer aux jeunes que ce n’est pas forcément la voie à suivre. Mais même là, il est des cas où les éducateurs, souvent bénévoles, se retroussent les manches pour assurer leur mission de lien social au gré des rebonds d’un ballon. « Nous travaillons sur d’autres principes que le modèle de la compétition qu’on voit à la télé », prévient Rheda Cherrouf, entraîneur au comité de Paris du foot FSGT, une fédération multisports qui a fait de l’éducation populaire un cheval de bataille. Où les matchs, les courses, les combats et les entraînements, la sueur, les victoires et les larmes ont beaucoup plus de valeur, finalement, que les millions qui circulent tout en haut de la pyramide.