Samia Ghali “Depuis 2005, la situation n’a fait qu’empirer.” - Marseille Bondy Blog

Le 08-12-2010
Par xadmin

Samia Ghali, 42 ans, est maire du 8è secteur de Marseille qui regroupe les 15è et 16è arrondissements, dans les quartiers nord de la ville. Elle revient sur les émeutes de 2005 et dresse un état des lieux à la fois pessimiste et lucide.

Samia Ghali, comment avez-vous vécu les événements de l’automne 2005 ?

Comme une évidence. Et contrairement à l’idée reçue, à Marseille aussi des événements se sont produits. Il y a eu des véhicules brûlés, des cars de CRS caillassés, mais ces faits ont été volontairement camouflés.
J’ai la conviction qu’il y a eu alors une volonté politique d’étouffer la réalité, pour faire passer le message qu’il restait des zones où la situation était calme. Mais c’était totalement faux, et ce traitement particulier n’a pas rendu service à Marseille.
On a beaucoup insisté sur le rôle des associations, qui seraient là pour jouer les pompiers de service. Il y a une part de réalité, mais les acteurs sociaux ne peuvent pas tout régler. Ils n’ont pas à faire régner la sécurité dans les quartiers. Un animateur n’est pas un policier.
En conséquence, depuis 2005, à Marseille, comme les choses étaient censées aller mieux qu’ailleurs, on a continué à vouloir nier la réalité. Les effectifs de police sont restés très insuffisants, et la situation n’a fait qu’empirer. Jusqu’à aujourd’hui, et l’actualité récente, avec tous ces morts, où l’on se rend bien compte que la violence n’a jamais été enrayée.

Quelles sont les raisons de cette nouvelle expression de violence ?

Il y a le trafic de drogue, mais il n’y a pas que ça. Depuis le début 2010, il y a eu 18 morts par balles à Marseille. On ne peut pas réduire cette réalité au seul trafic de drogue.
C’est la facilité d’accès aux armes qui doit nous interroger.
Aujourd’hui, un jeune qui a une arme considère qu’il a atteint le summum. Et pour une bêtise, une dispute, ou une histoire de filles, certains sont capables de tuer. Parce qu’ils ne font plus la part des choses. Il y a beaucoup de facteurs qui mènent à cette situation. D’abord, je le redis, le manque de police sur le terrain. Mais ce n’est pas tout. Il y a un phénomène dont on ne parle pas souvent : les jeunes des quartiers, comme tous les autres, traversent la crise d’adolescence.
A 14 ou 15 ans, on n’est pas un voyou. C’est un âge où l’on a besoin d’être encadré.
Or, ces jeunes sont très souvent en rupture scolaire, ils manquent de repères et il y a un mal-être qui s’installe. Quand un jeune ne va plus à l’école, il est toute la journée en bas de chez lui, à la merci de toutes les dérives.

Qu’avez-vous entrepris pour améliorer la situation ?

Depuis que je suis maire, j’ai mis en place des forums pour l’emploi. Mais on se heurte à deux problèmes : soit les jeunes ne sont pas motivés, et ils ne participent pas, soit ils n’ont pas les qualifications. Ces raisons sont liées à la même cause : la rupture scolaire.
Un décalage s’est créé entre ce que nous, adultes, nous leur demandons, et ce qu’ils sont en capacité d’entendre.
Il faut renouer du lien. Depuis que j’ai pris mes fonctions, j’ai fait en sorte que les habitants reviennent à la mairie. Les gens ont le besoin d’être considérés et le sentiment d’être rejetés. C’est la même chose avec les jeunes. J’ai organisé un concert de rap dans le parc de la mairie. Je ne l’avais pas demandé, mais trois cars de CRS ont été réquisitionnés. Des incidents auraient pu éclater car des policiers se sont mal comportés. Pourtant la situation est restée calme.
La police est absente au quotidien mais on déploie des effectifs démesurés quand ce n’est pas justifié.
Aujourd’hui aussi, la réaction du gouvernement n’est pas adaptée. Il envoie des renforts éphémères pour ramener l’ordre, alors que nous avons besoin de présence constante dans certains quartiers.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Je suis très pessimiste. Car le gouvernement et le président de la république n’apportent aucune réponse. Les choses sont pourtant claires : si on ne met pas les moyens maintenant, la situation va de nouveau dégénérer. Et tous ceux qui vivent à Marseille le savent bien, s’il y a un jour un élément déclencheur, l’explosion sera très forte.
Cela dit, même si le risque existe, je ne crois pas qu’une émeute organisée ait lieu à Marseille.
Ce que je redoute beaucoup plus, à court terme, ce sont les meurtres. Si les choses restent en l’état, il faut s’attendre à des meurtres à répétitions. Entre jeunes du même quartier, et pour des motifs qui seront dérisoires. Si des mesures concrètes et durables sont engagées, on peut encore rétablir la situation. Mais elle risque de nous échapper.

Propos recueillis par Jan Cyril Salemi

Samia Ghali est née le 10 juin 1968 à Marseille. A l’âge de 16 ans, elle s’engage en politique et rejoint le Parti Socialiste. En 1995, elle obtient son premier mandat et devient adjointe à l’éducation dans le 8è secteur. En 2008, lors des élections municipales, Jean-Noël Guérini, le candidat socialiste, assure qu’il fera d’elle sa première adjointe s’il est élu maire. Malgré la défaite à la mairie centrale, Samia Ghali est élue maire du 8è secteur. Elle est également sénatrice depuis 2008.

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