
Saint-Denis, ville de cinéma ?

Un film, c’est aussi un environnement, des territoires, des habitants. Des villes qui ont besoin du cinéma pour changer leur image, des populations qui attendent beaucoup de cette économie nouvelle, une jeunesse qui aimerait avoir ses entrées dans ce milieu fermé. Coup d’œil à Saint-Denis où le cinéma prend ses marques.
Petit coup d’œil à la programmation du Festival de Cannes 2011 : Le film d’ouverture de Woody Allen, Midnight in Paris, recèle des scènes tournées aux puces de Saint-Ouen. La Conquête, de Xavier Durringer, a été filmé à Saint-Denis et Aulnay-sous-Bois. L'Apollonide de Bertrand Bonello, et Pater d’Alain Cavalier, sont aussi passés par là lors de leurs recherches… Pourquoi les paysages de banlieue s’invitent-ils à l’écran ? «En Île-de-France, il existe un fond de soutien sous condition de tourner au minimum cinq semaines sur le territoire. Or, Paris accueille dix tournages par jour en moyenne, c’est saturé. La banlieue offre donc un espace idéal » estime Stephan Bender, chargé de mission à la Commission du film de Seine-Saint-Denis, une initiative lancée par l’association « Le pôle audiovisuel, cinéma, multimédia du Nord parisien », dont le rôle est de mettre en relation gratuitement les mairies et les boîtes de production afin de faciliter et développer les tournages sur le territoire. Conséquence : « On assiste à un mouvement de fond : les villes de Seine-Saint-Denis se dirigent vers une politique ouverte sur le cinéma. Saint-Denis, Montreuil, Bobigny, Saint-Ouen, Aulnay-sous-Bois sont très sollicités. Mais dans l’ensemble, beaucoup s’organisent afin de mettre à disposition des interlocuteurs identifiés. Les productions font appel à eux pour éviter les mauvaises expériences: l’idée, c’est de ne jamais se considérer en territoire conquis. Car au début, face aux exigences des parisiens habitués des tournages, les boîtes de production se croyaient tout permis en banlieue. Il reste d’ailleurs des élus peu convaincus de l’intérêt d’un tournage pour leur commune car, en plus du coût généré, c’est une véritable invasion ! Mais depuis que la banlieue est devenue un thème de plus en plus existant dans le cinéma français, une habitude et un savoir faire se sont créés. »
Depuis quatre ans, la ville de Saint-Denis a ainsi chargé Farida Tagredj de la gestion de ce type de demandes. « En 2008, nous avions une trentaine de demandes d’autorisation de tournage, aujourd’hui nous en sommes à soixante dont environ une quarantaine de tournages effectifs », calcule-t-elle. Une augmentation qui s’expliquerait en partie par la « qualité de l’accueil » réservé aux équipes et par la souplesse qu’offre la ville, qui rentabilise efficacement la venue des mordus de péloche. Car mobiliser les services de la ville, utiliser son image, changer le quotidien de ses habitants a un coût. En contrepartie, la commune dégage des recettes non négligeables. « En 2007, nous étions à 2 500 euros, aujourd’hui, on a atteint un minimum de 10 000 euros par an. Une somme qui s’ajoute au pot commun et sert également à aider des structures ou associations dans le milieu de l’audiovisuel local. »
Promotion cinéma
Mais au-delà de la rentabilité économique, le cinéma s’avère être une géniale campagne de communication et de promotion des villes. La page d’accueil du site Internet de l’office du tourisme de la ville de Bergues en témoigne. « Venez découvrir (…) une ville qui par la magie du 7ème art a été transformée en capitale emblématique du Nord : nous parlons bien évidemment du film de Dany Boon, Bienvenue chez les Ch'tis. » Un business rentable pour la ville qui organise des « Ch’tis tour », balades basées sur les coulisses du tournage du film.
Pas encore d’« Esquive tour » à la cité des Francs-Moisins où avait été tourné le film d’Abdellatif Kechiche, mais le cinéma permet d’offrir un autre regard sur la ville, comme le rappelle rappelle Farida Tagredj. « L’image véhiculée par les médias est toujours négative. Le cinéma permet de montrer autre chose. Saint-Denis, c’est aussi un territoire qui a du cachet, des lieux historiques comme la Basilique, le musée d’Art et d’histoire, c’est une ville qui plaît lors des repérages. ».
La volonté de promotion de la ville va-t-elle jusqu’à se risquer à imposer ses conditions au 7e Art ? Car si les autorisations se font en fonction des « choses possibles et réalisables », la lecture du synopsis est un préalable. « Il a pu arriver une ou deux fois en quatre ans que nous refusions un scénario jugé trop violent, mais c’est rare. Cela reste du cinéma, de la fiction. Il peut arriver par contre que nous fassions le choix de ne pas laisser apparaître le nom de la ville dans le générique » explique Farida.
D’un côté comme de l’autre, des petits arrangements sont possibles. La mairie vise sa tranquillité et son image, les boîtes de production plus de rapidité et de praticité. « Le maire peut refuser un tournage au titre de son pouvoir de police sur la ville. On imagine qu’un film sur le procès d’Outreau à Outreau peut raviver de mauvais souvenirs, susciter des tensions », poursuit Stephan Bender… Pour maîtriser l’image de la commune, « certaines mairies proposent des réécritures de scènes ! Mais cela se fait de moins en moins. » A l’inverse, « du côté des boîtes de production, il est arrivé, que pour aller plus vite, elles ne dévoilent pas leurs véritables intentions... Mais elles ont compris qu’il valait mieux être franc. Les productions qui tournent dans les banlieues sensibles ne prennent pas ce risque. »
Un monde qui reste fermé
Certes, des figurants sont sollicités, les commerces fonctionnent, les associations et nouvelles agences de sécurité qui connaissent les quartiers et leurs habitants font lien. Des possibilités s’offrent. Mais tout cela reste encore timide. Djamel Bensalah a réalisé une partie du tournage de son nouveau film, Beur sur la ville, à Saint-Denis. Le réalisateur dionysien a imposé à chaque chef d’équipe de prendre des stagiaires issus des quartiers populaires. C’est comme ça, et grâce à un ami faisant partie du casting du film, que Mamadou, 26 ans, habitant du 10e arrondissement de Paris, est devenu machiniste. « J’ai eu de la chance et mon travail a plu. Mais le milieu reste encore très fermé. Si tu ne connais pas quelqu’un qui est dedans, tu ne peux pas y rentrer. »
Bally Bagayoko, maire adjoint à la jeunesse de Saint-Denis, regrette cet élitisme et ce manque de débouchés. « Mis à part faire de la figuration sur des rôles de jeunes de quartiers populaires, de délinquants, ou s’occuper de la sécurité des tournages, il est rare que les jeunes se voient proposer des opportunités intéressantes. Cela provoque de la frustration, en particulier sur un territoire qui regroupe un conglomérat d’acteurs dans le domaine. Il faut former et « vendre » nos jeunes pour être capable de présenter des candidats aux différents projets en cours. » Tout reste donc à faire pour que le cinéma ne soit pas un miroir aux alouettes pour les habitants d’une ville comme Saint-Denis qui en rêvent…
Manon L’Hostis el Hadouchi
D. Bensalah : « C’est important pour moi de tourner dans ma ville ! »
Djamel Bensalah est de retour à Saint-Denis. Le célèbre réalisateur de 34 ans, à qui l’on doit notamment, « le Ciel, les oiseaux et… ta mère », a tourné les scènes clefs de son prochain film « Capitaine Khalid »1, en plein centre ville. Extrait de la rencontre.
Que raconte votre nouveau film ?
C’est l’histoire de Khalid Belkacem : le plus mauvais flic de France qui va enquêter sur l’histoire la plus pourrie de France ! En fait c’est un film sur la discrimination positive dans la police. L’histoire d’un gamin de banlieue qui va devenir flic pas parce qu’il est bon, mais pour une question de quotas.
Pourquoi tourner à Saint-Denis ?
Parce que c’est ma ville. C’est important pour moi de tourner dans ma ville et malgré la neige, on a réussi ! Tous mes films évoquent Saint-Denis : mes personnages en parlent ou en sont originaires, mais je n’y avais jamais tourné. Et là, je filme dans Saint-Denis, avec des figurants d’ici, mais ça parle d’une ville qui n’existe pas : Villeneuve-sous-bois ! C’est une banlieue imaginaire mais universelle. C’est un peu partout, une banlieue pourrie, rigolote où tous les trucs qui déconnent dans la société française sont réunis.
Vos films ont toujours un lien avec la banlieue. Pourquoi ?
Parce qu’on raconte ce qu’on est. Moi j’ai grandi ici et mes préoccupations, mes envies, toutes les choses que je fais tournent autour de ces personnages et de ces situations que j’ai vécues en étant gamin. Mon cinéma est à l’image de la vie que j’ai : coloré, multiethnique, multiculturel. Je suis issu d’un milieu populaire, je suis donc plus à l’aise pour en parler. Je peux raconter la bourgeoisie, mais s’il y a une dose de banlieue dedans, d’où « Neuilly sa mère ». Même « Le ciel, les oiseaux et … ta mère » ou « Il était une fois dans l’oued », c’est le principe du poisson hors de l’eau : on le jette dans un monde qu’il ne connait pas et on voit comment il se démerde. C’est plus facile pour moi de raconter ce que je connais.
Propos recueillis par Nadia Sweeny / Ressources Urbaines pour le site de la ville de Saint-Denis
1 Intitulé Beur sur la ville par la suite
L’interview complète : http://ville-saint-denis.fr/jcms/jcms/prod_32072/djamel-bensalah-cest-im...