
Restauration rapide : « Barbarie mondialisée contre civilisation orientale » ?

Entretien avec Périco Légasse, critique gastronomique porté « nature et tradition », contempteur de l’alimentation industrielle, notamment auteur de « A boire et à manger ».
E.R. : Comment la restauration évolue-t-elle ?
Périco Légasse : On est dans une société technologique, qui va vite. C’est pareil avec les fast-foods. On ne se prend pas la tête : on ingurgite de la nourriture. C’est la négation du repas, qui a une culture, qui est un acte social. Le bistrot traditionnel, où on mange un sandwich avec du bon pain, du bon beurre et du bon jambon où on ne voit pas la patronne à travers la tranche, se raréfie. De même que les brasseries sont trop chères pour la clientèle nouvelle. D’autant plus que c’est mauvais, rapporté au prix, avec des produits congelés… On n’est pas à l’UNESCO avec ça ! Ces restaurateurs ont voulu faire du profit sur le dos des clients. Or, maintenant, il y a plus de concurrence qu’avant, notamment une offre de cuisines « exotiques » : voir le sushi à 8 euros ! Avant, il y avait une cuisine « du terroir » de banlieue : le couscous, les pizzerias, les brasseries… on constate maintenant une résurgence de certains restaurateurs un peu traditionnels, avec la nouvelle clientèle bobo.
E.R. : Vous opposez souvent les fast-foods américains aux kebabs…
P. L. : Oui. D’un côté il y une la barbarie mondialisée qui n’aime que les bonbons, les sucres, qui constituait ses steaks hachés en raclant les carcasses de viande à la sortie des abattoirs, et pour qui l’alimentation, c’est du marketing. C’est une logique industrielle, où on traite le client comme du bétail, et où l’addiction fait partie du concept : le Coca donne soif, le hamburger donne faim. On infantilise le consommateur en ne lui faisant aimer que le sucré. Salé, amer, acide etc, c’est trop compliqué. De l’autre, on a la civilisation orientale du kebab, avec une gamme de viandes variées, qui est une cuisine issue de traditions méditerranéennes qui remontent à la nuit des temps.
Propos recueillis par E.R.
Le kebab, késako ?
Inventeur présumé du kebab actuel, Mehmet Aygun, travaillait dans un restaurant turc à Berlin. Il fait passer la viande grillée depuis l’assiette traditionnelle (avec boulgour) à un morceau de pain, avec salade, oignons… et frites parfois ! Les sauces se développent parfois à l’infini, certains vendeurs n’hésitant pas à faire jouer la fibre patriotique en les nommant : « sauce marocaine », « sauce tunisienne » etc. Traditionnellement, la viande grillée à la broche est cuisinée entre la Grèce et la Mésopotamie. 1000 kilocalories pour 5 euros, record à battre ! Estimations de ventes en France : 250 millions de kebabs / an, pour environ 10 000 points de vente. Au total : 1,97 milliards de sandwichs seraient vendus en France, tous types confondus (kebabs, hamburgers, sandwiches etc).
E. R.