
Rénovation des quartiers : paroles justes et images brutes

Rarement deux ouvrages sur la rénovation urbaine se sont aussi bien complétés. « Archives 01 » est un livre de photos, « On voudrait entendre crier toutes les voix de nos cités » un recueil de paroles. Deux méthodes pour un résultat : rendre compte du quotidien des habitants.
Avec ses pieds et son vélo, Aude Tincelin a quadrillé les grands ensembles en pleine rénovation urbaine, à travers l'Ile-de-France. Cette photographe indépendante a travaillé une année, du printemps 2011 au printemps 2012, avec Nathalie Pierrer, une journaliste du Parisien, édition Seine-Saint-Denis. A quatre mains, elles ont écrit « Archives 01 », publié aux éditions Illimitées, un petit livre de photos que l'on peut glisser dans sa poche. Petit livre de plus de 300 clichés de villes vides, de bâtiments parfois délabrés, souvent rénovés. Tous en travaux ou sur le point de l'être. Il n'y a pas d'habitants, ou quelques rares silhouettes. Aude Tincelin a choisi d'appuyer sur le déclencheur tôt le matin, en semaine, là il y a peu de monde. « Je ne photographie pas les gens. Je ne justifie pas ma présence. Ce sont des portraits de quartiers. Je ne triche pas. Il y a des moments où il n'y a personne dans les rues. L'idée, c'était de ne pas rajouter quoique ce soit à ce que je voyais », explique la photographe. Au final, les images sont justes et sans bruit. Des images silencieuses.
« Une parole complexe, construite progressivement »
C'est la parole qui est juste dans l'ouvrage « On voudrait entendre crier toutes les voix de nos cités ». Ce livre est le fruit d'un travail effectué par la Fédération nationale des centres sociaux et l'association Question de ville, qui rassemble les directeurs des centres de ressources pour la politique de la ville. En 2011, plus de 300 personnes ont participé aux rencontres organisées par ces deux structures. Trois rencontres dans quinze quartiers, de la Picardie à la Guyane, en passant par le 93. Trois rencontres pour laisser le temps aux habitants de s'exprimer, de détailler leurs expressions et pourquoi pas d'envisager des pistes de solutions. « La parole a du se construire progressivement », explique Bénédicte Madelin, la présidente de Question de ville. « Et cette parole est complexe. Les habitants mesurent très clairement la difficulté des solutions à envisager ».
« Dissocier la cité des capuches et des foulards »
« Archives 01 » décortique aussi le complexe... de l'image que renvoient les quartiers. Dans sa démarche, la photographe a voulu avant tout travailler sur la ville, ses représentations et ses fantasmes. Son but est de dissocier les bâtiments des préjugés qui germent dans beaucoup de têtes. « Je voulais regarder la ville dans laquelle je me trouvais, comme je pouvais regarder la rue de Rivoli, à Paris. Je voulais dissocier la cité des capuches et des foulards. C'est important pour moi de naviguer sur nos représentations, sur notre façon de percevoir ces grands ensembles. On nous dit tout et n'importe quoi sur ces quartiers, à tel point que nous n'en avons finalement plus aucune représentation », détaille Aude Tincelin. Et jusque dans la méthode, elle n'a pas choisi la facilité : « Je voulais prendre le temps de marcher et d'aller voir. Je me suis toujours rendu dans ces quartiers en transports en commun et à vélo. Je ne mitraille pas trop, je ne prends que quelques photos. Mes images sont toujours au ras du sol. C'est important pour moi de proposer un regarde de marcheur ».
les habitants n'ont pas les mêmes priorités que les politiques publiques.
« Il ne manquerait pas grand chose pour que tout aille bien »
L'insécurité dans les quartiers, les habitants ne la voient pas. L'insécurité routière et le problème que posent les deux-roues dans les cités sont en revanche des priorités. C'est ce type de constat que « On voudrait entendre crier toutes les voix de nos cités » met en avant. « Mais finalement, les habitants ne sont pas aussi malheureux que ça, ils sont très patients », raconte Bénédicte Madelin, la présidente de Question de ville qui nous confie que le livre aurait d'ailleurs pu s'appeler « Il ne manquerait pas grand chose pour que tout aille bien ». En résumé, « On n'a rien appris de très nouveau, sauf peut-être une chose : les habitants n'ont pas les mêmes priorités que les politiques publiques. Par exemple, ce qui m'a marqué, c'est que la parole des plus anciens est massivement bienveillante à l'égard des jeunes. Nous l'avons constaté dans de nombreux quartiers. Ils nous ont rappelé que ce sont d'abord les jeunes qui sont victimes du chômage. » Des propos qui pourraient recadrer certaines priorités des politiques publiques pour « On voudrait entendre crier toutes les voix de nos cités », des clichés qui recadrent une réalité à la lumière crue pour « Archives 01 ».